Le pape et le suicide de la civilisation européenne
Une recension du livre de Laurent Dandrieu, Eglise et immigration : le grand malaise, paru aux Presses de la Renaissance (2017).
Peut-on être catholique aujourd’hui et refuser la submersion migratoire de l’Europe ? Telle est la brûlante question à laquelle tente de répondre par l’affirmative Laurent Dandrieu, rédacteur en chef des pages « Culture » de Valeurs actuelles dans un essai brillant d’intelligence, de rigueur et de lucidité.
C’est pour répondre justement à ce malaise des catholiques qui ne se reconnaissent plus dans le discours ecclésial sur l’immigration que Laurent Dandrieu a écrit ce livre, pour « que l’on ne puisse pas dire, le jour où les Européens auront voulu sauver leur continent du suicide, qu’ils aient trouvé sur leur chemin un obstacle insurmontable : l’Eglise ».
Une lignée de papes immigrophiles
Au fil des pages, Laurent Dandrieu dresse l’implacable constat d’une Eglise nageant dans un messianisme délirant, confondant questions d’ordre politique et réponses théologiques où la figure du « Migrant » est quasi-sanctifiée. Cette dérive n’est pas née d’hier et le journaliste consacre une importante partie de son livre à démontrer que les positions du pape François pratiquant « l’idolâtrie de l’accueil » s’inscrivent dans la continuité des papes précédents.
Si Pie XII, premier pape à reconnaître le droit naturel des hommes à migrer, émet des réserves et conditions à cette émigration, Laurent Dandrieu relève qu’à partir de Vatican II, « la hiérarchie des priorités de l’Église, de Jean XXVIII à Benoît XVI est constante : le droit de migrer est un droit de l’homme fondamental, dont les raisons et la légitimité ne peuvent être remises en cause, sans obligation de nécessité mais au nom de simples opportunités d’une meilleure réalisation de ses capacités, de ses aspirations et de ses projets ».
Relevant que le droit des nations à réguler l’immigration reste en principe reconnu, Laurent Dandrieu constate qu’en pratique toutes les politiques qui tentent de mettre en œuvre cette régulation sont condamnées par l’Eglise comme l’expression d’un insupportable égoïsme de nantis.
François, le pape qui n’aime pas l’Europe
François, le premier pape non issu du continent européen, porte à son apogée cette sanctification de l’immigration, multipliant les gestes symboliques (comme de ramener à Rome des familles de clandestins musulmans de Lesbos dans son avion) dans un contexte brûlant (crise des migrants, terrorisme islamique). Selon lui, l’Europe doit ouvrir largement ses portes à tous ceux qui sont « à la recherche d’une vie meilleure ». Rejoignant les vieilles lunes de l’extrême gauche, la notion même d’immigrés clandestins n’aurait plus de sens puisque les frontières seraient abolies…
Pour le pape jésuite d’origine sud-américaine, indifférent aux racines européennes de l’Église, l’Europe n’existe qu’à travers l’entité bruxelloise et ne possède pas d’identité propre, ses seules références culturelles sont les Lumières, les droits de l’homme et la démocratie. Pour lui, « L’identité européenne est, et a toujours été, multiculturelle et dynamique », « formée par de multiples invasions ». Sans immigration, elle est condamnée à n’être plus qu’une « Europe grand-mère, vieille et stérile… ».
Un discours éminemment politique
Par ses prises de position répétées, l’Église déborde largement d’une démarche caritative et humanitaire pour s’inscrire dans le discours dominant de l’idéologie des droits-de-l’homme. Le migrant est considéré comme un individu abstrait, un « Immigré à majuscule », sans prendre en compte ses origines, sa religion ou sa différence de culture et n’est vu que du point de vue personnel ou familial sans considérer les conséquences d’une immigration massive pour le pays d’accueil.
Pire encore, toute politique d’assimilation est rejetée car l’immigré a « le droit de conserver sa langue maternelle et son patrimoine spirituel », ouvrant ainsi la voie aux pires dérives communautaristes.
A la Vieille Europe, autrefois forteresse de la Chrétienté, passée par pertes et profits, l’Église oppose désormais l’immigration conçue comme « une voie nécessaire pour l’édification d’un monde réconcilié » (Jean Paul II), « une préfiguration anticipée de la Cité sans frontières de Dieu » (Benoît XVI), voire « une nouvelle humanité pour laquelle toute terre étrangère est une patrie et toute patrie une terre étrangère » (François).
« Les chers immigrés musulmans »…
Ce désarmement moral face à l’invasion migratoire est aggravé par une vision angélique de l’islam dont l’Eglise, engagée depuis Vatican II dans la frénésie du dialogue inter-religieux, feint d’ignorer les incompatibilités avec la civilisation européenne, refusant d’en condamner la violence intrinsèque – hormis Benoît XVI lors de son fameux discours de Ratisbonne. Laurent Dandrieu déplore que l’Eglise actuelle porte ainsi sur l’islam un regard christianocentrique le réduisant à ses seuls aspects spirituels et à ses « fausses ressemblances » avec le christianisme.
Le pape François multiplie là encore les déclarations iconoclastes, renvoyant notamment dos à dos violences islamistes et violences commises par des catholiques. Cet aveuglement minore encore la perception du danger que fait peser l’immigration de masse sur l’identité européenne.
L’Eglise s’aligne sur Terra Nova ?
Reprenant la formule du sociologue québécois, Mathieu Bock-Coté, Laurent Dandrieu considère que l’Eglise est passée dans le camp du « parti immigrationniste », le « Big Other » de Raspail – la religion de l’Autre, du Migrant, du lointain… Ce faisant, elle délaisse le peuple, « cet immense vivier de baptisés » qu’elle considère avec indifférence, voire avec une pointe de mépris. Pour l’Eglise en effet, le christianisme culturel des Européens de souche, attachés à leurs clochers et à leurs crèches, lui semble de peu de foi et lourd de bas instincts identitaires.
Abandonnant ainsi les périphéries populaires autochtones au profit de la « nouvelle évangélisation » des périphéries exotiques qui se déversent sur l’Europe, l’Eglise applique pour ses ouailles la même stratégie que le think-tank « Terra Nova » pour l’électorat de gauche.
Vers une nouvelle Réforme ?
Selon Mathieu Bock-Côté, ce livre représente une « méditation subtile et éclairante sur le destin de notre civilisation ». à ce titre, il intéressera tous les Européens, catholiques ou non, qui s’interrogent sur le devenir de l’Europe en ces années décisives. Œuvre courageuse de la part d’un catholique sincère et convaincu qui ose dénoncer les positions suicidaires d’une Eglise passée « de Lépante à Lesbos », Laurent Dandrieu se refuse pourtant à la résignation.
Détectant les premiers signes du réveil dans une partie du clergé, notamment en Europe de l’Est, il appelle à ce que l’Eglise puise dans sa tradition millénaire pour évacuer ces « vertus chrétiennes devenues folles » décrites par Chesterton. S’il reconnaît qu’il s’agit « d’une voie étroite », cette nouvelle Réforme n’est pas sans évoquer celle appelée également de ses vœux par Dominique Venner dans les dernières pages de son livre testament Le Samouraï d’Occident : « Je souhaite que vienne de l’intérieur une nouvelle Réforme dans l’esprit d’un retour à nos sources authentiques dont le pape Benoît XVI a ouvert les perspectives dans son discours de Ratisbonne en 2006. »
Effectivement, à l’origine religion importée du Proche-Orient, le christianisme s’est progressivement européanisé pour prendre souche sur le continent, devenant un élément incontournable de notre identité. Mais le grand mouvement entamé depuis les années soixante de retour à ses origines, abolissant la part européenne de son héritage pour revenir à sa radicalité évangélique, représente un péril mortel. À l’image de la phrase du penseur catholique Joseph de Maistre selon laquelle « l’Évangile hors de l’Église est un poison », il est à craindre que l’Église, oublieuse de la raison grecque et de l’ordre romain, n’utilise ce poison pour se suicider, comme s’en inquiète Laurent Dandrieu, emportant avec elle « ce miracle venu d’Athènes et de Rome (…), la plus rayonnante civilisation que la terre ait porté. »
Benoît Couëtoux du Tertre
Eglise et immigration : Le grand malaise. – Le pape et le suicide de la civilisation européenne par Laurent Dandrieu, Editions Presses de la Renaissance, janvier 2017, 288 pages, 17,90 euros