De la crise de l’art moderne à la renaissance européenne
La crise de l’art moderne vient de la disparition des grands rituels collectifs. Faute de cérémonies pour célébrer le sacré, les œuvres sont condamnées à finir dans les musées. Dans ce texte, Jean-François Gautier nous exhorte à recréer un art européen au service de nouveaux rituels. Rendez-vous à la galerie Espaces 54 à partir du 20 septembre.
Pourquoi toutes ces œuvres regroupées dans une galerie ? Tout simplement pour rappeler qu’elles ne sont pas demandées ailleurs. C’est là un signe majeur de la crise des arts, typique de la modernité. C’est bien elle qu’il faut s’efforcer de comprendre.
Des siècles durant, les sociétés européennes ont organisé des cérémonies chargées de rituels décorés. Les intronisations de personnages importants, l’évocation de guerres gagnées, la rémission d’une famine ou d’une maladie collective étaient autant d’occasions de se réunir avec solennité. Les pouvoirs ecclésiastiques étaient alors demandeurs de sculptures, de peintures, de musiques ; les cités l’étaient tout autant pour des fêtes de métiers, fêtes de quartiers, fêtes de saints-patrons qui, en chaque lieu, exigeaient des solennités soulignées par des œuvres artistiques permanentes, dépassant le simple cadre de la fête annuelle ; les pouvoirs institutionnels des régions ou des nations, quant à eux, chargeaient tout autant les calendriers collectifs en cérémonies mettant en valeur des institutions juridiques, militaires, scolaires, etc.
Au total, dans ces sociétés traditionnelles, les arts participaient à la ritualisation de la vie collective, qu’elle soit religieuse, paysanne ou civique. Il y avait là autant d’occasions de passer commandes à des artistes dont les tâches consistaient alors, selon le degré de solennité, à développer le plaisant du décor, à souligner la collectivisation du rituel, à provoquer la subjugation des spectateurs, ou leurs interrogations sur leur identité, sur leur devenir. Les artistes trouvaient là des thèmes autour desquels ils pouvaient comparer leurs idées, rivaliser d’imagination, confronter leurs techniques, et surtout s’adapter aux demandes de publics extrêmement divers pour lesquels ils étaient tout à la fois des compagnons de jeux, de questionnements et de représentations.
Les artistes – et cette fonction était capitale – participaient ainsi à l’expression collective de tout ce qui échappe au langage ordinaire. Et c’est bien cela qui survit encore dans les arts exposés dans les musées. Il y eut toujours, dans les familles aristocratiques ou bourgeoises, dans les épiscopats ou les abbayes, des figures de mécènes livrant au public des parties de collections réunies localement. La révolution française décida d’instituer des lieux dans lesquels les œuvres récupérées dans les Églises ou les familles nobles seraient visibles en permanence, mais sans leurs rituels ou leurs cérémonials d’origine. Ainsi commença, sous la direction de Vivant Denon, la grande aventure du Louvre et des musées régionaux.
Il se trouve que cette initiative, à l’exception des rituels de deux empires et de deux monarchies au XIXe siècle, allait condamner les musées français à n’être que des réserves de passé, et les artistes à n’être que des fonctionnaires du décor. A partir de la IIIe République (1871), les rituels religieux, civiques et civils ayant pratiquement disparu, les artistes ne s’y sont plus mesurés entre eux et, à quelques exceptions près (dont les monuments aux morts de la Grande Guerre), n’ont vécu d’autre ambition que d’entrer dans tel ou tel musée pour s’y faire voir.
Le drame de la peinture moderne est ici résumé. Depuis la disparition des rituels sociaux-religieux au cours desquels il importait de faire figurer par des artistes ce que le langage ordinaire ne peut dire ni ne sait dire de la vie collective – depuis cette disparition, les artistes n’ont plus pour occasions de rencontres que les expos des boutiquiers les condamnant à s’adapter aux modes et aux décors de la finance.
Face à cette situation de détresse, de jeunes artistes prennent l’initiative de faire voir ce qui sort de leurs ateliers, toutes choses et tous objets qui ne demandent qu’à participer à de nouveaux rituels sociaux en gésine. La balle n’est plus dans leur camp. Elle est dans les mains des municipalités, des institutions politiques ou associatives redécouvrant de l’intérieur l’ardente nécessité de cérémonials qui, au lieu d’insulter l’avenir en le parant de laideurs, l’apprivoiseront avec patience.
Jean-François Gautier
Exposition Renaissance(s) portraits et figures d’Europe
Du 20 au 25 septembre 2019 de 10 heures à 19 heures, à la Galerie Espaces 54, 54 rue Mazarine 75006 Paris