L’héritage européen, le connaître, le transmettre
Intervention de Philippe Conrad, président de l'Institut ILIADE, lors du colloque « Européens, transmettre ou disparaître » le 18 mars 2017 à Paris.
Après avoir évoqué l’an dernier la question de la menace que l’immigration de masse fait peser sur notre Europe, nous abordons aujourd’hui un autre danger, clairement perçu par nombre de nos compatriotes, celui d’un collapsus, d’une rupture de la transmission civilisationnelle engagés certes depuis plusieurs décennies mais dont les conséquences mortifères apparaissent aujourd’hui de plus en plus clairement. L’intitulé de notre colloque, « Transmettre ou disparaître » rend parfaitement compte de l’urgence dans laquelle nous sommes d’éveiller les prises de conscience nécessaires et d’imaginer les parades à une dérive porteuse de conséquences fatales.
Il est aisé d’établir l’état des lieux. La société marchande contemporaine dont l’hégémonie s’est progressivement imposée au cours des dernières décennies a détruit de fait les valeurs traditionnelles garantes de la continuité de notre civilisation. L’Europe avait construit au fil des siècles un modèle culturel combinant ses héritages anciens, son histoire chrétienne et les acquis de la révolution des Lumières et du progrès scientifique. Tout cela a été remis en cause à la faveur de l’effacement politique qui a accompagné notre « sombre XXème siècle », marqué par la « guerre de trente ans » suicidaire qui s’est déroulée de 1914 à 1945 et par l’américanisation de ses modes de vie qui s’est imposée à partir des années soixante du siècle dernier. Accompagnant ce processus, le phénomène soixante-huitard – dont les nostalgies révolutionnaires frisaient le ridicule tant elles apparaissaient anachroniques – n’en a pas moins entraîné, au nom d’un libertarisme frénétique résumé dans « l’interdiction d’interdire », la remise en cause de la plupart des fondamentaux de nos sociétés avec, au final, le résultat calamiteux que nous constatons aujourd’hui. Il a fallu, pour en arriver là, la « déconstruction » qu’évoquera tout à l’heure François Bousquet, la remise en cause générale des valeurs morales traditionnelles de responsabilité, d’effort, de patriotisme, d’héroïsme ou de dépassement de soi au service d’un idéal en fonction d’un sens donné à la vie, au delà de l’individu narcissique devenu la figure dominante d’aujourd’hui.
On a constaté également, à la faveur des illusions entretenues par un égalitarisme synonyme de nivellement par le bas, un inquiétant recul des savoirs allant de pair avec l’abandon programmé des « humanités « traditionnelles. Tout cela n’est que le résultat d’une démolition patiemment mise en œuvre depuis la désastreuse réforme du collège unique, dont les conséquences prennent toute leur ampleur aujourd’hui, condamnant les parents d’élèves à se tourner vers l’enseignement privé et de mettre pour beaucoup leurs espoirs dans celui dispensé par les écoles hors contrat. Dans une société de plus en plus déshumanisée par l’hégémonie de la technique et le culte exclusif de l’argent et du profit, nous constatons le triomphe de l’immédiat, de l’instantané, du futile ou du dérisoire auquel se rattache compulsivement l’homo festivus du regretté Philippe Murray. La poursuite d’une telle évolution ne peut que s’avérer catastrophique et aggraver encore les différents maux dont souffre aujourd’hui une Europe totalement insérée dans un processus de mondialisation destructeur des identités et synonyme de disparition à moyen terme, dans un monde où les nouveaux rapports de force démographiques et économiques vont fatalement remettre en cause l’ordre établi à l’abri duquel la décomposition que je viens d’évoquer a pu s’imposer au cours des dernières décennies.
Il est urgent, face à cette situation, de prendre la mesure de la menace et de définir les conditions et les moyens du sursaut nécessaire. Cette réaction s’appuiera d’abord sur la reconquête de notre mémoire commune, sur la redécouverte et la relecture de notre histoire. Un enjeu essentiel au moment où celle-ci est mise en cause par un lobby très actif réuni auprès de P. Boucheron, le chouchou de notre grand quotidien du soir, qui, s’appuyant sur des réseaux professionnel et médiatique très bien organisés, est à la manœuvre pour remettre en cause la légitimité d’une histoire de France assimilée à une addition de mythes, à une construction artificielle et tardive, imaginée pour donner une expression à un sentiment national désormais dépassé. Je n’insisterai pas sur les sottises et les mensonges par omission qu’implique une telle vue des choses mais il ne fait aucun doute que c’est cette vision, attachée à la « multiculturalité » proclamée de la France et de l’Europe qui s’imposera demain, si nous n‘y prenons garde dans nos établissements scolaires après avoir colonisé nos universités.
Le combat qui doit être livré sur ce terrain est bien entendu d’une importance majeure et commande largement toute autre tentative de réaction face aux entreprises calamiteuses qui sont en cours. Avant de transmettre aux générations qui viennent et qui sont à venir, condition indispensable à la renaissance de l’Europe et de ses nations, il est indispensable de redéfinir clairement comment nous sommes les héritiers de plusieurs millénaires d’une histoire particulière qui a permis à ce continent de jouer le rôle majeur qui a été le sien.
Transmettre cette mémoire mais aussi tut ce qui fit, au quotidien, le propre d’une civilisation spécifique implique le recours à un certain nombre de moyens. Renouer le fil nécessaire avec ce que notre ami Christopher Gérard appelle nos « sources pérennes » constitue une première étape mais Jean-François Gautier nous expliquera pour sa part le rôle qui revient à la musique et à l’éducation musicale dans un monde saturé par les bruits divers qui nous envahissent quotidiennement pour ahurir nos populations. Lionel Rondouin nous invitera à imaginer, à côté du « récit national » (et non du « roman national », une expression qui a valeur d’arme du fait de sa connotation dévalorisante dans la guerre sémantique en cours) un « récit européen » en mesure de contribuer à l’émergence et au renforcement d’une conscience civilisationnelle plus nécessaire que jamais face aux défis et aux menaces de ce nouveau siècle, venu clore le demi-millénaire de la domination occidentale sur le monde. Il faut également reprendre jusque dans ses fondations le chantier de l’école, ce qu’évoqueront plusieurs de nos intervenants et, en ce domaine, la simple nostalgie d’un bon vieux temps idéalisé ne suffira pas, il faut mobiliser les imaginations et les compétences pour inventer de nouveaux modèles, comme surent le faire les Jésuites au tournant de l’époque moderne. La famille, dans le contexte chaotique du moment, doit également retrouver un rôle de premier plan, celui de parents soucieux de compenser les insuffisances actuelles d’un système d’enseignement à bout de souffle, incapable de surmonter l’échec global auquel ont conduit des décennies d’erreurs et de confusions. Il faut également miser sur les mouvements de jeunesse inspirés du scoutisme en mesure de contribuer à la transmission des valeurs morale positives, de préparer nos jeunes à la rude école de la vie et de les protéger des tentations délétères du crétinisme ambiant. La mobilisation nécessaire passe aussi par les supports classiques de la transmission que sont le livre, la revue ou le magazine. Les succès spectaculaires de certains auteurs lanceurs d’alerte nous montrent qu’il s’agit là d’un front toujours important quelle que soit la place conquise aujourd’hui par les réseaux sociaux. Les radios privées peuvent être, bien sûr, des vecteurs de résistance, de Radio Courtoisie au Méridien Zéro. Il en va de même des sites de réinformation comme le Salon beige ou Breiz Info auxquels est venu s’ajouter TVLIbertés dont l’existence est d’ores et déjà un atout majeur pour les militants de la reconquête .
Éclairer sur ces diverses actions, établir entre elles les synergies nécessaire, éclairer les pistes des entreprises à venir, c’est l’objectif du colloque qui nous réunit aujourd’hui. Sa réussite se mesurera à la mobilisation qu’il sera en mesure de susciter car la tâche est immense. Il s’agit d’abord d’éclairer nos concitoyens pour favoriser la prise de conscience indispensable à tout effort de redressement Mais la lucidité ne suffira pas, il y faudra aussi une volonté et une persévérance sans faille. Car nous savons, selon une formule qui nous a toujours été chère, que « là où est une volonté, il y a un chemin. »
Philippe Conrad