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C’est lorsque les lumières s’éteignent, que les torches doivent s’embraser !

Conclusion de Grégoire Gambier à l’ouvrage collectif de l’Institut ILIADE Pour un réveil européen, Nature – Excellence - Beauté, (éditions de la Nouvelle Librairie, lancement officiel à l’occasion du colloque annuel de l'ILIADE, le 19 septembre 2020 à Paris).

C’est lorsque les lumières s’éteignent, que les torches doivent s’embraser !

Même dans la nuit la plus sombre, perdurent des lueurs, comme des traces du jour, souvent inexplicables. Ces faisceaux lumineux sont-ils des vestiges, à l’image des étoiles qui, mortes depuis des millénaires, continuent pourtant, du fait de leur distance, d’entonner quelque « chant du cygne stellaire » ? Ou s’agit-il déjà, au plus profond de la pénombre, de l’annonce d’un jour nouveau ? La vérité est sans doute une fois encore dans l’acceptation et le dépassement de la dualité des contraires… Reste une certitude : aux fausses promesses du Grand Soir, préférer la lumière sans cesse renouvelée des petits matins. Comme l’intimait déjà José Antonio : « Notre place est dehors, notre place est à l’air libre, sous la nuit claire, l’arme au bras, tandis qu’au ciel scintillent les étoiles. […] Au dehors, dans une garde tendue, fervente et sûre, nous sentons déjà l’aube, dans l’allégresse de nos cœurs. »

Faire face à la montée du soir

Une civilisation, notre civilisation européenne, semble comme devoir s’effacer, progressivement rayée de la carte de nos représentations physiques, biologiques et mentales. Et pourtant, comment vivre si ce n’est dans l’espoir que l’essentiel subsiste ? Sommes-nous déjà morts, et n’existons-nous plus que par la force d’inertie du temps et de l’espace, la pesanteur de l’histoire et de la mémoire – comme l’ultime scintillement d’un astre depuis longtemps défunt ? Ou bien ne sommes-nous une fois encore qu’à la croisée des chemins, au défi de notre destin – le choix de vivre ou de disparaître, qui toujours a habité les « Vieux Européens » ?

« À mesure que s’effondre davantage le monde que j’ai tant aimé, écrit Renaud Camus, plus beaux m’en paraissent les ultimes vestiges : les ciels, les arbres, les visages, la grammaire, la politesse, les chiens, un cerisier en fleur dans un taillis encore sans feuille, un geste de délicatesse et de bonté » (1). C’est dans ce moment confus, où la tentation de la nostalgie étreint les cœurs les plus fermes, que l’Institut Iliade a décidé d’inscrire son combat. Pour, précisément, échapper à la nostalgie incapacitante qui est le propre de tous les « conservateurs » et a conduit dans l’impasse des générations militantes. Au moment même où, au sortir de la dernière guerre civile européenne, n’ont cessé de monter puis de s’accumuler les périls, exigeant une nouvelle « grammaire » pour notre civilisation.

L’entrée en décadence se manifeste par le sentiment de la défaite, intériorisée au point de rendre insupportable le « fardeau de l’homme blanc » pourtant magnifié par Kipling. La suite logique, c’est l’abandon de soi, le renoncement, le déshonneur et finalement la mort. Après avoir baissé les yeux, on baisse les bras. Avant d’accepter le Grand Remplacement, on accepte le Grand Effacement – on renonce à être soi-même. On commence par mettre genou à terre et l’on finit par tendre son cou au couteau des égorgeurs, dont l’ardeur au massacre s’en trouve évidemment décuplée.

La guerre d’Algérie n’est pas finie

De L’Art français de la guerre (prix Goncourt 2011) à Féroces infirmes (2019), Alexis Jenni décrit en romancier les stigmates d’une guerre sans nom, dont les blessures ne cessent pourtant de travailler en profondeur notre société. Il fut un temps pas si lointain en effet, dans des départements pourtant français, protégés par la loi française, avec ses préfets, sa police, ses instituteurs et ses journaux, où les Européens ont payé au prix fort le seul fait d’être Européens. En ce temps-là, les Français de souche européenne ou « FSE », selon la terminologie officielle, sont passés en quelques années à peine du statut de « colons » à celui de cibles, pour ne pas dire de proies. Le rapport de force s’est irrémédiablement inversé – les « dominants » sont devenus « dominés ». Le massacre d’Oran, le 5 juillet 1962, plus de trois mois après la fin officielle des hostilités, dans l’un des plus puissants bastions des derniers partisans de l’Algérie française, en constitue le paroxysme : le « FSE » a été pourchassé dans les rues, traqué et saigné comme un animal. Les chiffres restent sujets à caution. Guillaume Zeller estime que près de 700 Européens ont été victimes des tueurs du FLN (2), quand d’autres sources relèvent 3 000 morts et disparus. Reste une réalité : la haine, de nature proprement ethnique, suscitée par le seul fait d’être un « Européen ».

Certes, de nombreux musulmans ont payé au prix fort leur attachement à ce qu’ils croyaient être la France. Mais la pulsion de pogrom, l’une des plus viles de l’homme, qui n’en manque pas, a plus particulièrement frappé les « FSE ». À Oran en 1962, mais déjà à Sétif le 8 mai 1945, en passant par le petit village minier d’El Halia, proche de Philippeville, en 1955, où 71 Européens, hommes, femmes, enfants, vieillards et nourrissons, sont subitement attaqués par leurs voisins musulmans et massacrés dans des conditions particulièrement atroces. De même que « la Révolution n’est pas un dîner de gala » (Mao Tsé-Toung), la guerre d’Algérie n’est pas un roman : c’est la réalité crue de ce qui peut advenir à un peuple abandonné à son propre sort, croyant à tort que l’armée, c’est-à-dire les institutions, le protégera.

Il est une autre explication, plus profonde, à cette politique d’abandon : c’est l’abandon de soi-même. Si le régime de l’époque a pu imposer ses choix, c’est en flattant d’abord la fatigue d’un peuple ne supportant plus les quelques sacrifices exigés par sa grandeur passée – une « petite guerre » aux confins de ses frontières – parce qu’il ne rêvait déjà que de la société de consommation promise par les Trente Glorieuses, l’américanisation des mœurs, l’appétit de confort qui toujours précède le pire des conformismes, la néantisation de l’être dans l’avoir et le paraître… Dominique Venner, parmi d’autres, a eu raison de souligner que la « politique » choisie à l’époque était de courte vue : en renonçant à disposer de sentinelles au limes de l’empire, c’est à son propre « empire intérieur » (Alain de Benoist, 1995) que l’on finit par renoncer. « Chaque sentinelle est responsable de tout l’empire », rappelait déjà Antoine de Saint-Exupéry. Pour être inéluctable, le départ de la France d’Algérie devait se faire dans l’honneur. C’est ce bien le plus précieux qui a été sacrifié en terre africaine.

La conséquence de cette fuite en avant délibérément hédoniste, cette lente plongée dans « les eaux froides du calcul égoïste » (Karl Marx), c’est Mai 68, la mise à bas de la société traditionnelle et de notre vieille anthropologie paysanne, le recours à l’immigration de travail pour « faire suer le burnous » à d’autres que nous… Et en bout de course, l’immigration de peuplement, l’islamisation de moins en moins rampante, le bruyant ressentiment « indigéniste », le terrorisme de basse intensité attesté par l’explosion de la criminalité de rue, qui sont certes les conséquences de l’invasion étrangère, mais surtout les symptômes d’un renoncement premier à demeurer nous-mêmes.

Appel à une nouvelle résistance

Or, de renoncement, il n’en est plus question. Dans l’ouvrage consacré pour partie à son expérience de la guerre d’Algérie, Dominique Venner conclut que « tout homme porte en lui une tradition qui le fait ce qu’il est. Il lui appartient de la découvrir. La tradition est un choix, un murmure des temps anciens et du futur. Elle me dit qui je suis. Elle me dit que je suis de quelque part » (3). C’est à cette redécouverte, ce retour à nos sources pérennes, qu’œuvre l’Institut Iliade. Radicaux, ses contributeurs s’attaquent aux racines des maux qui rongent aujourd’hui l’Europe. Avec, pour étoile polaire, comme guide de leurs réflexions, une certitude : « Un abîme nous sépare de ceux qui se battent pour un bien-être matériel » (4). À l’horizontalité des besoins, des pulsions et des droits, les auteurs de l’Iliade proposent une alternative, où « nature », « excellence » et « beauté » auraient finalement pour vocation de nourrir l’âme, la sortir de sa torpeur et la tirer vers le haut. Vivre, aimer, éprouver, combattre, servir, transmettre : ce qui se dégage de ces contributions, c’est une soif de liberté retrouvée, d’esprit de combat et de communauté, de goût pour l’aventure sans cesse recommencée – celle de tout peuple dans l’histoire.

Notre vieille civilisation, risquant l’engloutissement, peut certes sembler à son crépuscule. Mais cette situation n’est pas inédite à l’échelle de l’histoire européenne, dans les plis et les replis de notre « longue mémoire ». La comparaison est tentante avec la chute de l’Empire romain, voire avec l’effondrement de la République romaine ayant précisément permis l’avènement de l’Empire, ainsi que nous y invite David Engels (5). Une autre analogie est possible, avec toutes les réserves que suppose l’exercice : le long « automne du Moyen Âge » (6). Époque marquée par le chaos des conflits politiques et des recompositions sociales d’où émergeront de nouvelles formes d’organisation, les États modernes, mais aussi par les conséquences de la grande peste et notamment l’obsession de la mort qui débouchera sur de nouvelles pratiques religieuses, centrées sur le salut de l’âme, et surtout par la redécouverte de l’Antiquité, ce retour aux sources qui toujours s’impose lorsqu’il s’agit, en période de crise, de « réfléchir et agir » pour l’avenir. Dans l’imbrication intime avec le passé, certes, mais avec l’énergie nécessaire pour n’en conserver que le meilleur. Comme l’explique parfaitement Johan Huizinga, il a fallu qu’une société meure, celle du Moyen Âge, pour donner naissance à une autre, la Renaissance, et ouvrir ainsi un nouveau chapitre de notre histoire.
Car toujours, sur le tronc de la vieille Europe, repousse un rameau vert.

Pour une nouvelle Renaissance européenne

C’est donc bien en redevenant nous-mêmes, en puisant au plus profond et dans les mille facettes de ce qui fait notre identité d’Européens, notre façon si spécifique et non pas « universelle » d’être au monde, que nous pourrons ouvrir, par le Grand Ressourcement, des perspectives nouvelles aux Européens de l’à-venir – ces générations nées dans et pour l’orage. Et ainsi retrouver une ardeur nouvelle et farouche : celle de la destinée. « Nous ne luttons pas pour que le peuple devienne heureux. Nous luttons pour lui imposer une destinée », écrit Ernst von Salomon dans Les Réprouvés (7). Alors que nous entrons dans les années vingt d’un nouveau siècle, cet ouvrage peut nous servir encore, en le paraphrasant, de viatique. Car, tant que l’Europe « brûle sourdement dans quelques cerveaux hardis », elle peut continuer à exister, « brillant d’un éclat radieux là où ceux qui [sont] pénétrés de son esprit [risquent] pour elle le dernier enjeu ».

C’est dire s’il faudra une fois encore, ainsi que l’exhorte l’ami François Bousquet dans son « manuel de guérilla culturelle », faire preuve de courage (8). Voire d’héroïsme, sachant avec Spengler que l’héroïsme n’affronte pas seulement « des ennemis concrets », mais aussi et peut-être surtout « des états de l’âme », et avec Evola que la vocation héroïque est « d’affronter la vague la plus tourbillonnante et de savoir que deux destins sont à égale distance, le destin de ceux qui finiront avec la dissolution du monde moderne et le destin de ceux qui se retrouveront dans l’axe central et royal du nouveau courant » (9).

Le vieux monde est mort… Et alors ? Tout crépuscule appelle en retour d’envisager hic et nunc de nouvelles aurores, de rebâtir les fondations d’une authentique « maison commune » pour nos peuples et nos nations, de forger des projets alternatifs, mobilisateurs et surtout – par leur fécondité même – potentiellement victorieux. C’est, en réalité et pour l’essentiel, ce que propose l’Institut Iliade.

La condition nécessaire est que chaque Européen se considère désormais comme un Rebelle. Avec les qualités décrites par Jünger dans son célèbre traité (10) : refuser de se laisser prescrire sa loi par les pouvoirs, « qu’ils usent de la propagande ou de la violence », et être « décidé à se défendre ». L’esprit de résistance, de « réaction », est à la fois le préalable et le carburant de toute « révolution ».

Une nouvelle Révolution ? Nous y sommes prêts. Mieux encore, nous la voulons, et entendons l’insuffler. Précisément au moment où s’achèvent et s’épuisent de nombreux cycles historiques et idéologiques, dont principalement celui de la modernité marchande, individualiste et « libérale » imposée par les Lumières.

La nuit est complice, propice. Déjà s’allument de nouveaux flambeaux. Comme autant de signes de réveil et de ralliement pour les jeunes générations d’Européens. Il suffit parfois d’une étincelle pour embraser la plaine.

Puisse cet ouvrage être un brûlot.

Pour un réveil européen, Nature – Excellence – Beauté, ouvrage collectif présenté par Philippe Conrad et Grégoire Gambier, dirigé par Olivier Eichenlaub, Éditions de La Nouvelle Librairie, collection « Iliade », septembre 2020, 192 pages, 16 euros.

Notes

  1. Renaud Camus, Twitter, 5 février 2020.
  2. Guillaume Zeller, Oran 5 juillet 1962 – Un massacre oublié (Tallandier, 2012).
  3. Dominique Venner, Le Cœur rebelle (Les Belles Lettres, 1994, réédition Pierre-Guillaume de Roux, 2014).
  4. Ernst Jünger, Le Boqueteau 125 (Das Wäldchen 125, 1925, réédition Christian Bourgois, 2000).
  5. David Engels, Le Déclin – La crise de l’Union européenne et la chute de la république romaine. Analogies historiques (L’Artilleur, 2013).
  6. Johan Huizinga, L’Automne du Moyen Âge (1919, trad. 1932, réédition Payot, 1975).
  7. Ernst von Salomon, Die Geächteten (1930, réédition « Omnia poche », 2016).
  8. François Bousquet, Courage ! Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2019).
  9. Oswald Spengler, Écrits historiques et philosophiques – Pensées (Copernic, 1980) et Julius Evola, Révolte contre le monde moderne (1934, réédition L’Âge d’Homme – Guy Trédaniel, 2009).
  10. Ernst Jünger, Traité du rebelle ou Le Recours aux forêts (Der Waldgang, 1952, réédition « Points Essais », 1986).
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