Institut ILIADE
Institut Iliade

Accueil | Matières à réflexion | Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve

Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve

Introduction de Philippe Conrad à l’ouvrage collectif de l’Institut ILIADE Pour un réveil européen, Nature – Excellence - Beauté, (éditions de la Nouvelle Librairie, lancement officiel à l’occasion du colloque annuel de l'ILIADE, le 19 septembre 2020 à Paris).

Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve

En se donnant volontairement la mort il y a sept ans, Dominique Venner entendait nous alerter sur le processus mortifère dans lequel se trouvait engagée notre Europe. Depuis plusieurs décennies, de nombreux historiens et essayistes s’étaient penchés avant lui sur la crise de civilisation que constatent aujourd’hui nos contemporains. Au-delà des mutations de l’économie et des revers d’une mondialisation présentée initialement comme inéluctable et fatalement heureuse, c’est à une véritable révolution anthropologique remettant en cause tous les fondamentaux traditionnels de notre société que se trouvent confrontés les Européens de ce début de XXIe siècle.

Forte d’un héritage antique et médiéval qui faisait d’elle un espace privilégié pour sa civilisation à nulle autre pareille, l’Europe a réalisé la première, à partir du XVIe siècle, le décloisonnement du monde qui est allé de pair avec l’éveil de la modernité. Ce qui lui a permis d’imposer son hégémonie sur l’ensemble du monde. Les révolutions scientifiques et le décollage industriel firent qu’elle dominait sans partage, il y a un peu plus d’un siècle, l’ensemble de la planète, où elle était alors en mesure d’imposer ses représentations et ses modèles. Parvenue à son apogée à l’orée du siècle dernier, elle va sombrer, entre 1914 et 1945, dans une « guerre de trente ans » suicidaire, à propos de laquelle l’helléniste Albert Thibaudet établira, concernant sa première phase, une analogie avec la guerre du Péloponnèse qui avait vu, au Ve siècle avant J.-C., la ruine du monde des cités grecques. Le « sombre XXe siècle » vit ainsi le centre de gravité de la puissance mondiale se déplacer vers l’Amérique du Nord, elle-même porteuse d’un nouveau modèle civilisationnel, inspiré initialement par l’universalisme wilsonien et par les illusions libérales.

L’affaiblissement qui a résulté de la ruine du vieux monde européen s’est encore aggravé – malgré les apparences rassurantes que garantissaient les progrès techniques et économiques au cours de la seconde moitié du siècle – avec la révolution culturelle survenue dans les années soixante, dont l’expression caricaturale fut notre grand carnaval soixante-huitard. Le temps était alors venu de la « déconstruction » méthodique de nos identités et de nos héritages, au nom de l’avènement espéré d’un monde « sans frontières » dans lequel l’individualisme hédoniste issu des Lumières et de leurs développements allait désormais condamner toute forme d’enracinement historique, tout déterminisme familial ou national, toute une culture dénoncée comme le reflet d’une domination de classe, voire aujourd’hui de race. Dans le monde rêvé par Jacques Attali ou George Soros, l’individu « nomade » des « sociétés ouvertes » de l’avenir se résumera à ses fonctions d’homo economicus et d’homo festivus, un producteur-consommateur récompensé de sa docilité par l’accès généralisé au « bonheur », à la civilisation des loisirs, dans un monde qui ne laissera plus guère de place aux aspirations spirituelles, à la réflexion personnelle et à la culture d’une tradition intellectuelle qui nous a faits ce que nous sommes.

Le projet libéral mondialiste, concocté outre-Atlantique et relayé à Bruxelles par une Union européenne qui n’a guère à voir avec l’Europe authentique dont nous voulons le réveil, semble toutefois bien en peine d’être mis en œuvre. La fin de l’URSS et du bloc soviétique, il y a déjà trente ans, la spectaculaire remontée en puissance de la Chine, le réveil islamique apparu au tournant des années quatre-vingt du siècle dernier, le retour sur la scène mondiale d’acteurs qui en avaient été écartés ou l’émergence de nouveaux pôles de puissance semblent compromettre pour longtemps les espoirs de multilatéralisme et de gouvernement mondial. À l’évidence, la realpolitik reprend ses droits, ce dont l’Europe de Bruxelles n’entend pas tenir compte.

Nous sommes ainsi entrés dans l’ère des périls. La course éperdue vers la croissance économique continue apparaît aujourd’hui comme une fuite en avant catastrophique sur les terrains économique, social et écologique. La crise de la transmission culturelle fabrique des générations d’amnésiques bien incapables d’analyser les causes du désastre en cours. Les sociétés dominées par les métropoles mondialisées sont devenues, pour la plupart de leurs membres, des espaces invivables et, un peu partout, des flux de populations incontrôlés inscrivent dans les faits ce qu’avait imaginé le regretté Jean Raspail, il y a bientôt cinquante ans, dans son prophétique Camp des Saints. Alors que les peuples européens se trouvent confrontés à la menace du Grand Remplacement, c’est celle du Grand Effacement de leurs mémoires respectives qui constitue aujourd’hui l’enjeu principal des luttes à venir. L’abandon des humanités traditionnelles, le peu de place laissée à l’histoire et à la transmission de notre patrimoine littéraire et artistique sont révélateurs des tendances en cours…

Face à cette situation alarmante, il n’est d’autre choix que d’engager un combat culturel sans merci, dont l’issue commandera l’avenir car, s’il venait par malheur à être perdu, nous risquons de nous retrouver confrontés à des situations beaucoup plus graves que celle que nous connaissons aujourd’hui. L’enjeu prioritaire, c’est de maîtriser de nouveau notre identité, d’affirmer ce que nous sommes et notre ferme intention de rester maîtres de notre destin.

Pour relever un défi d’une telle envergure, la France et l’Europe ont besoin de générations nouvelles, conscientes des menaces qui pèsent sur elles et sur leur descendance, qui sauront retrouver, par un travail intellectuel exigeant appuyé sur une volonté sans faille, les fondamentaux de notre histoire et de notre civilisation. C’est la condition du réveil nécessaire des mémoires mais, déjà, un imaginaire européen est en construction « dans quelques cerveaux hardis », inspiré par un passé qui fut grand et par des mythes fondateurs qui sont au rendez-vous du réveil de nos peuples. Il nous faut désormais renouer le fil du temps pour définir un nouveau rapport à la famille, à notre passé et à nos patries charnelles. Pour cela, nous devons faire nôtre « l’excellence comme but » formulée par Dominique Venner ; c’est en effectuant ce travail sur nous-mêmes que nous serons en mesure de forger une nouvelle aristocratie fondée sur le service rendu et non plus sur des privilèges dérisoires chers aux pseudo-élites autoproclamées qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé. C’est une citadelle intérieure que nous devons construire pour être à la hauteur des défis qui nous attendent. Contre le monde orwellien que l’on cherche à nous imposer, la résistance est devenue un devoir, même si les éternels pessimistes amoureux des causes perdues nous répètent que le mal est fait et que nos efforts seront vains. C’est par notre volonté convertie en action qu’il nous faut leur répondre, en nous rappelant la formule fameuse d’Hölderlin affirmant que « là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve… »

Pour un réveil européen, Nature – Excellence – Beauté, ouvrage collectif présenté par Philippe Conrad et Grégoire Gambier, dirigé par Olivier Eichenlaub, Éditions de La Nouvelle Librairie, collection « Iliade », septembre 2020, 192 pages, 16 euros.

Billetterie 2024