Politiquement correct : l’éditorial d’Alain de Benoist dans Eléments (n°180)
Dans le passé, le « politiquement correct » a pu simplement agacer ou faire rire. On avait tort. À l’instar de la Novlangue orwellienne, il vise à changer le sens des mots afin de changer (et contrôler) les pensées.
Editorial (extrait) du n°180 de la revue Eléments (octobre novembre 2019), par Alain de Benoist.
Un lycée américain décide de la suppression d’une grande fresque murale datant de 1936 et dénonçant l’esclavage, au double motif que son auteur était Blanc (un Blanc ne peut pas être antiraciste, c’est dans ses gênes) et que sa vue était « humiliante » pour les étudiants afro-américains. Elle sera remplacée par une fresque célébrant « l’héroïsme des personnes racisées en Amérique ». En France, une représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne fait « scandale » parce que certains acteurs portaient des masques noirs, preuve évidente de « racialisme ». En Espagne, un collectif demande que l’on règlemente d’urgence la « culture du viol » qui règne dans les basses-cours : les poules y sont victimes de la concupiscence des coqs. D’autres s’indignent que l’on veuille rendre hommage à une femme célèbre (il fallait lui rendre « femmage »), ou qu’un ministre mis en cause dans une affaire récente estime avoir été « blanchi », ce qui atteste du peu de cas qu’il fait des personnes de couleur (supprimons les « livres blancs » et les « idées noires » !).
(…)
Dans le passé, le « politiquement correct » a pu simplement agacer ou faire rire. On avait tort. À l’instar de la Novlangue orwellienne, il vise à changer le sens des mots afin de changer (et contrôler) les pensées, ce qui est beaucoup plus grave. Encore faut-il en identifier la nature et les causes.
La première n’est autre que l’inusable puritanisme américain. Ce n’est pas par hasard si tout le vocabulaire du néoféminisme le plus délirant, tout le vocabulaire de l’intouchable lobby LGBT, des « études de genre » à « l’intersectionnalité » en passant par la « transphobie » et la « racisation des afro-descendants », est né de l’autre côté de l’Atlantique.
Tout y est : la culture du soupçon tous azimuts, la chasse inquisitrice à la « masculinité toxique », forcément toxique, les procès d’intention, les repentis, les confessions publiques, la dénonciation des « porcs », les accusations sans preuves qui suffisent à ruiner une carrière. Partout l’oblation, la repentance, la contrition, la pénitence – en attendant le bûcher.
Qui sont les victimes ? Tout le monde. L’humour, les blagues, le second degré, la liberté d’expression. Tout récemment, le poète André Chénier a été dénoncé comme ayant fait l’« apologie du viol » (heureusement, on l’a guillotiné). Ne nous y trompons pas, de proche en proche, c’est la totalité des créations littéraires, artistiques, poétiques, théâtrales, des trente siècles écoulés qui finiront par être ainsi délégitimées par des procureurs formés à repérer partout le « racialisme » et le « sexisme ». Jusqu’à ce qu’on décrète l’abolition du passé, puisqu’il n’aura été qu’une suite de « crimes de haine » commis au nom du « patriarcat ». (…)
L’autre cause profonde du politiquement correct n’est autre que la métaphysique de la subjectivité, qui est comme la clé de voûte de la modernité. Descartes en est le grand ancêtre : « Je pense, donc je suis ». Je, je. En termes plus actuels : moi, moi. La vérité n’est plus extérieure au moi, elle se confond avec lui. La société doit respecter mon moi, elle doit bannir tout ce qui pourrait m’offenser, m’humilier, choquer ou froisser mon ego. Les autres ne doivent pas décider à ma place de ce que je suis, faute de faire de moi une victime. (…)
Au fond, je suis le seul qui a le droit de parler de moi. Ainsi s’alimente le narcissisme du ressentiment, tandis que la société se transforme en un empilement de susceptibilités.
Le symbole le plus fort du monde actuel, c’est le selfie. Le monde entier tourné vers le moi. « Le moi est haïssable », disait Pascal. Aujourd’hui, il serait en prison.
Alain de Benoist
Source : Eléments n°180 (octobre-novembre 2019), revue-elements.com