Les réflexions d’un jeune Européen parti à la découverte du monde
Une recension de Tour du monde. Petit passeport pour le voyage au long cours, de Romain Tuilier, paru aux éditions Transboréal (2019).
Le voyage, la découverte du monde, l’expérience de la longue route à travers les continents, la rencontre et l’immersion au sein de peuples et de civilisations qui nous sont radicalement autres, c’est une expérience qu’a vécue Romain Tuillier durant le tour du monde qu’il a accompli à travers la Chine, l’Inde puis les États-Unis en 2004. Il nous offre aujourd’hui le fruit de ses réflexions dans son livre « Tour du monde, petit passeport pour le voyage au long cours » paru au printemps dernier dans la collection « petite philosophie du voyage » aux éditions Transboréal.
Précisons-le, ce tour du monde a peu à voir avec le tourisme massifié, standardisé, industrialisé, vendu clé en main par les tours-operators à des foules cosmopolites, leur proposant des étapes sur les hauts sites touristiques de la planète sans rien connaître du restant des pays qu’ils survolent. Pour cet authentique globe-trotter, le voyage ne saurait s’envisager autrement qu’au milieu des peuples et contrées qu’il traverse. Loin de l’immédiateté où chaque instant est compté, c’est aussi une quête où l’espace et le temps se confondent dans une même épaisseur : « le calendrier marquait une progression spatiale (…) où le chemin parcouru s’exprimait davantage en jours et en semaines qu’en kilomètres ». Voilà pourquoi il considère que le voyage doit s’effectuer par voie terrestre et maritime, le déplacement aérien ne constituant « qu’un pis-aller, une bulle dans laquelle on s’isole quelques heures pour changer de pays ».
Relevant de la guilde des routards, cet « ordre pèlerin » qui chemine à travers le monde, à l’écart du tourisme massifié et hors sol, Romain Tuilier considère néanmoins sans illusion qu’il relève de la même démarche. Le voyage est réservé aux privilégiés, « notre illusion de liberté s’adosse à la puissance économique de nos pays occidentaux (…), nous sommes le luxe que peut se permettre une société d’abondance ». Ainsi observe-t-il que le voyage relève de « l’apanage de jeunes touristes occidentaux, la plupart [étant] issus de l’Europe du Nord-Ouest », venus échapper quelque temps à la pression de l’Occident.
Au fil des pages, Romain Tuilier engage une profonde réflexion sur l’insondable altérité des peuples. Au contraire de ses semblables qui, trop souvent, s’obstinent à se vouloir les amis de populations qu’ils ne parviennent pas à comprendre, il constate avec lucidité que « les cultures sont des fossés infranchissables ». Il se refuse ainsi à toute illusion de proximité face à des populations souvent amicales mais toujours diamétralement différentes : « Plus nous nous côtoyons, plus les peuples au milieu desquels nous sommes immergés nous paraissent différents et inaccessibles », résume-t-il.
Aussi refuse-t-il la religion des naïfs et des aveugles qui célèbrent « l’Autre », l’imaginant forcément meilleur puisqu’il est différent, car non issu de l’Occident. Romain Tuilier relève que « derrière les paradis de lagons bleus aux eaux transparentes, les hommes continuent à se détester ». Il se garde pour autant de juger selon une vision ethnocentrée ou, pire, droitsdelhommesque. Conscient de n’être qu’un corps étranger immergé au sein de populations qui ne lui ont rien demandé, il se limite à une position d’observateur, « la seule porteuse d’humilité » et se refuse à toute ingérence qu’il considère comme inutile, dangereuse, voire nuisible : « Le seul activisme que puisse se permettre un voyageur, c’est celui de son pouvoir d’achat. »
à rebours des clichés et parti-pris dégoulinants de bien-pensance véhiculés par ceux qui affichent leur qualité de « routard » pour en tirer de juteux profits dans l’édition, le livre de Romain Tuilier résonne d’humanité, posant un regard tout à la fois émerveillé et désenchanté sur les mondes qu’il a traversé. C’est l’intérêt précieux de ce livre, petit par la taille mais riche par la réflexion, qui séduira tout ceux qui s’interrogent sur l’altérité du monde.
B.C.T.
Romain Tuilier, Tour du monde. Petit passeport pour le voyage au long cours, éditions Transboréal (2019).