Philippique contre l’énerveillement
Le couperet du wokisme tranche les têtes antiques au rythme effréné des cris scandés par une vague chamarrée. L’avènement de cette négation culturelle est imposé par des créatures énervées, des zélotes levés du pied gauche, en pleine transe de la déconstruction.
Pourquoi énerveillement nous direz-vous ? Il nous faut verser dans le remplacisme en ne reprenant pas les mots de l’adversaire, aussi informe soit-il, afin de ne pas perdre, une fois encore, la bataille des mots. L’enjeu pour nous est toujours de trouver une terminologie nouvelle, propre à nos idées. Énerveillement d’abord parce que l’« éveil » de la nouvelle Inquisition n’est qu’un éveillement colérique, d’énervement. Énerveillement enfin, car c’est un contre émerveillement, noble sentiment d’admiration mêlée de surprise qui nous anime parfois fort heureusement.
Les Anciens, dans leur grande sagesse, ont suivi une règle qui a tenu dans la longue durée, celle de ne pas s’aventurer par-delà les Colonnes d’Hercule, bornes mythiques de notre enclos civilisationnel où le monde touche à sa fin. De Strabon à la Renaissance, l’inscription nec plus ultra résonne en Europe comme une antienne, garante de la mesure et de la prudence. Quand on regarde l’Amérique, on se dit que nos ancêtres auraient dû s’en tenir là.
Car il est toujours fascinant d’observer ce qui se trame de nouveau par-delà l’Atlantique. La terre américaine est sans cesse labourée par des fléaux, et le dernier en date, comme un étendard de la déconstruction énerveillée, comme une énième émanation du laid, frappe de plein fouet l’Université. Direction Princeton, où la gangrène se propage avec un élan d’approbation déconcertant qui humilie quotidiennement ce que nous sommes, au nom d’un racisme systémique, au nom d’une misogynie et d’un esclavagisme cultivés depuis la plus haute antiquité.
En supprimant l’enseignement du latin et du grec – qui survit encore à peine en France dans le secondaire et dans le supérieur à un niveau toujours plus déplorable à mesure que les années s’écoulent – ce sont les génies grec et latin que l’on cherche à tuer. Non pas uniquement la langue – à part de vénérables grammairiens, cette affaire n’intéresse presque personne –, mais bien les mondes grecs et romains dans leur ensemble, qui ont façonné notre civilisation européenne et l’ont baigné d’une lumière qui scintille sur le monde. Supprimer l’Antiquité de programmes universitaires, c’est égorger Homère en plus de lui intenter un procès qui relève de l’inactuel. Frapper Homère, c’est encore toucher à notre référent littéraire absolu. Pendant toute l’Antiquité, il était pour tout poète l’Océan, le Fleuve, à la source de toute chose. Supprimer Homère, c’est supprimer ce que nous sommes.
Homère est destitué, car Homère n’est plus un référent lointain pour l’Occident américain. Sans doute ne l’a-t-il jamais été. Il est remplacé, ainsi que les populations, ainsi que l’histoire et la culture, par de nouveaux héros, à l’instar de saint Floyd, du père Musk et de messire Bezos. Il appartient donc aux Européens de ne pas troquer les vieilles mais nobles idoles contre le fanion irisé placé sur l’autel de la bien-pensance. Il ne s’agit pas de ficher son genou à terre au nom d’une honte qu’il nous faut à tout prix purger à coups de violentes saignées. Il ne faut encore pas verser dans le mutisme et la taqîya, mais se révolter et revendiquer avec fierté notre identité. Armons-nous de courage et menons une contre-offensive sur le terrain des idées. Tenons fermement notre culture classique près de nous, et tâchons d’en être les plus honorables défenseurs.
Éric Garnier
Photo : manifestation “Black Lives Matter” en Autriche, le 2 juillet 2020. Source : Wikimedia.