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Mai, temps des amours et de la végétation renaissante

La signification de mai ne saurait se limiter au « mois des ponts ». Tout comme la fête de Noël, dont la plupart de nos contemporains ont perdu le sens.

Mai, temps des amours et de la végétation renaissante

Le joli mois de mai, temps heureux des jeunes filles en fleur, où fleurissent également le muguet et l’aubépine, où la nature, au sortir du long sommeil hivernal, se pare des magnificences du printemps. Tout est alors beauté et appel au renouveau : chant des oiseaux, vertes prairies, frondaisons lourdes de feuillage des grands arbres, couronnes fleuries dont on ceint la chevelure des jeunes filles…

Dans l’Europe celtique, l’été commençait ainsi le 1er mai, jour de la fête de Beltaine, fête du dieu Belenos et de la déesse Belisama (étymologiquement, d’après Christian Guyonvac’h, « Bel » signifierait « la lumière » et « teine », « le feu ». Belisama serait « la très brillante »). Dans la figure de Belenos, « jeune dieu aux boucles d’or », Le Roux et Guyonvarc’h voient « un surnom de Lug vu dans son aspect de lumière, opposé symétriquement au Lug de Samain préparant, dans la chaleur et la lumière des festins, à l’hiver et à l’obscurité ». À l’image des feux de solstice de juin, Beltaine est fêtée, d’après les récits, par de grands brasiers se répondant d’une colline à l’autre. Feux à caractère solaire qui abolissent la nuit et qui ont vocation symbolique à apporter chaleur et lumière pour faire lever les grains ensevelis et réveiller la nature endormie.

À la fête celtique de Beltaine, répond au sein des peuples germaniques la nuit de Walpurgis, célébrée dans la nuit précédant le 1er mai. Lors de cette nuit réputée magique, les divinités païennes du printemps et de la fécondité se répandaient dans la nature pour mettre fin à l’hiver. L’Église tenta de discréditer cette fête en transformant les divinités en « diables » et en sorcières. De là procède le caractère diabolique de la Walpurgisnacht assimilée au sabbat des sorcières.

Au Moyen-âge, le mois de mai marque un passage important dans l’année, ponctué de fêtes et rituels calendaires fixes, comme le 1er mai et le 3 mai, fête de l’Invention de la Sainte Croix, ou de fêtes dont la date varie selon le comput de Pâques : l’Ascension, quarante jours après Pâques, précédée des trois jours des Rogations, et la Pentecôte, cinquante jours après Pâques. Au sein d’une société largement rurale, les différentes coutumes et traditions populaires du mois de mai sont toutes liées au renouveau de la végétation et aux rites amoureux en vue de la perpétuation de l’espèce. Les Fêtes de l’Arbre de mai sont les plus connues, et représentent l’expression de l’ancestrale vénération des peuples européens à l’égard de l’arbre, symbole de la vie (Yggdrasil chez les Germains).

Sens et esprit de la fête

Comme tous les rites festifs de la communauté, elles ont pour but d’entraîner une socialisation active, voulue (comme une « discipline librement consentie ») : par le biais de la fête, de la beauté des costumes, des couleurs, des gestes, des figures de danse, des musiques, du sens de la cosmogonie peu à peu dévoilée, elle euphémise le monde réel. C’est pourquoi elle enthousiasme (du grec « en théio » : elle transporte dans “l’esprit des Dieux”), c’est à dire qu’elle entraîne la participation. Elle rassemble, elle apporte un consensus sur les valeurs communautaires d’où découlera la paix sociale et, par conséquent, le bien-être psychologique individuel, donc l’intégration, l’abondance spirituelle.

Certaines coutumes resteront exclusivement païennes comme celle du « Feuillu », où un garçon habillé de verdure symbolisant le renouveau de la végétation conduit toute une troupe de jeunes questeurs de maison en maison. En Savoie, on pensait que l’année serait bonne si on ne l’apercevait pas sous son déguisement de verdure. Mais c’est surtout la coutume des « arbres de mai » qui reste toujours bien vivante dans certaines régions d’Europe, à travers le Maibaum en Bavière, le Meiboom (arbre de mai en néerlandais) de Bruxelles, la Maïade dans les Landes ou bien encore en Périgord et Quercy : au 1er jour de mai, on plante un arbre décoré de rubans sur la place du village ou devant la maison d’une personne que l’on désire honorer (nouveaux élus, jeunes mariés,…). Ces cérémonies perdront peu à peu leur sens originel, évoluant vers une forme purement festive, ou bien seront christianisées (par la bénédiction de l’arbre de mai) voire laïcisées dans le Sud-Ouest de la France (où le mai sera assimilé à l’arbre de la liberté…).

C’est encore autour de l’arbre de mai que se pratique la danse des rubans. Une danse tout à fait particulière qui contient dans la justesse de sa réalisation sa propre sanction. Les danseurs doivent, en suivant un rythme et une chorégraphie précise, faire en sorte que les rubans forment une tresse autour de l’arbre. Puis, en reproduisant le mouvement en sens inverse, les danseurs démêlent la tresse. Ainsi, si un ou plusieurs danseurs se trompent, la danse doit cesser afin que le nœud soit défait.

« À mort l’hiver ! »

Autre rite propre à ce passage de mai, largement répandue dans les pays où l’hiver occupe de longs mois, on y brûle un mannequin de chiffon ou de paille symbolisant l’hiver. Cette tradition est encore particulièrement vivante en Suisse avec le Sechseläuten – littéralement « sonnailles de six » (heures) –, fêté le troisième dimanche d’avril et dont l’évènement principal consiste en la crémation du Böögg (le bonhomme Hiver).

L’Église fut plus que méfiante devant ces rituels et Charlemagne prétendit les interdire, sans succès puisqu’au cinquième Concile de Milan, en 1579, l’Église proscrivait encore ces traditions, stipulant notamment l’interdiction « le premier jour de mai de couper les arbres avec leurs branches, de les promener dans les rues et dans les carrefours, et de les planter ensuite avec des cérémonies folles et ridicules ». Faute de pouvoir les extirper de la conscience populaire, le clergé entreprit de les christianiser, y calquant ses propres fêtes comme l’Invention de la Sainte Croix, fêtée le 3 mai et dont la signification est clairement agraire : des croix faites de baguettes de coudrier, les croisettes, étaient bénies à l’église puis plantées au milieu des champs afin d’obtenir de belles récoltes.

Ces croisettes étaient parfois aussi plantées lors des Rogations qui correspondent aux trois jours précédant immédiatement l’Ascension. Étymologiquement « Rogation » provient du latin rogare, « demander ». Les Rogations se sont substituées, dans le calendrier, à la fête romaine des robigalia, célébrations cultuelles pour la protection des céréales contre la rouille, qui se déroulaient le sixième jour avant les calendes de mai. Nées en Dauphiné et fixées par le Concile d’Orléans en 511, les rogations s’étendirent à tout l’Occident entre le VIIe et le IXe siècle. Bien vivantes encore jusqu’au Concile Vatican II – soit jusque dans les années 1960 -, des processions fleuries étaient organisées par les chemins, parcourant les champs et bénissant les cultures, témoignages d’un christianisme rural et enraciné, directement issu du Moyen Age européen.

Mai, mois des promesses et des amours

Le mois de mai n’était cependant pas destiné qu’à célébrer le renouveau printanier. Plus marquante encore était l’importance donnée aux rituels pratiqués collectivement par les jeunes hommes et jeunes filles destinés à préparer des rapports amicaux, affectueux ou amoureux, voire les mariages futurs. De ces rites teintés de magie, les jouvencelles deviendront un jour des femmes, et les garçons des hommes, à l’image des récoltes futures.

Dans les campagnes, au premier jour ou dimanche de mai, les jeunes hommes cueillaient des branches d’arbres couvertes de feuilles, que l’on appelle des mais, quelquefois ornées de rubans aux vives couleurs, de guirlandes de fleurs ou de chapelets de coquilles d’œufs, et les attachaient au-dessus des portes extérieures des maisons dans lesquelles vivaient des jeunes filles. Cette coutume d’« esmayer » les filles était attestée dès le début du XIIIe siècle et s’est poursuivie jusqu’au XIXe siècle. La pose de ces mais s’inscrivait dans le cadre des préliminaires du mariage et permettait aux garçons de faire connaître les attirances et les préférences qu’ils ressentaient pour les jeunes filles du village.

À la pose de ces mais, succédaient les jours suivants questes et danses de mai où les jeunes gens passaient de maison en maison où se trouvaient les belles pour y chanter et danser, en échange de quelques pièces. Puis le soir venu, jeunes hommes et jeunes filles se retrouvaient pour un banquet suivi d’un bal où était élu le Roi-de-Mai. Les chansons de mai célébraient le renouveau de la nature, le feuillage reverdi et les aubépines en fleurs, la prospérité espérée des récoltes à venir et la joliesse des jeunes filles que l’on désirait épouser. Dans diverses provinces (Provence, comté de Nice), l’élection d’une Reine-de-Mai figurait la représentation symbolique d’une fille à marier, représentation sacralisée par la verdure et les fleurs dont était parée l’élue, associant ainsi étroitement dans une vision dionysiaque la végétation renaissante et la sexualité.

L’Eglise tenta d’encadrer ces traditions toutes profanes et suspectes de débordements. Ainsi en Lorraine, la queste de mai visa non plus à payer le banquet mais à « lumer la Sainte Vierge » c’est-à-dire à acheter les cierges pour l’autel de Marie. À Remiremont, toujours en Lorraine, le mai correspondait au droit pour le Roi-de-Mai de porter un grand et lourd cierge à l’occasion de la Fête-Dieu, non sans que l’heureux élu n’ai eu le droit de choisir ses filles d’honneur du mai parmi lesquelles il n’oubliait pas sa promise…

Si le mois de mai est ainsi dévolu à la célébration des mérites des filles à marier, il en exclut du même coup le mariage, car il ne saurait être question de tout mélanger dans des sociétés traditionnelles très ritualisées, où les choix individuels comptent peu. On ne se marie pas en mai. Contrairement à un cliché bien ancré, cet interdit ne repose pas sur la consécration du mois de mai au culte marial mais lui est préexistant. Ainsi jusqu’au XVIIe siècle, les clercs combattent ce qu’ils considèrent être une superstition. Déjà sous Rome, le mariage en mai était déconseillé car considéré comme de mauvais augure. Dans l’Europe du Moyen-Âge et de la Renaissance, la pratique populaire l’interdit encore et l’exprime à travers une multitude de dictons comme « mariages de mai ne fleurissent jamais ». En Vendée, on dit que « lorsqu’on se marie en mai, les couées grossesses ne réussissent pas, ou si elles viennent bien, les enfants sont morveux », tandis qu’en Berry « les enfants viennent badauds ou lourdauds », c’est-à-dire imbéciles ou idiots. Dans la Montagne Noire et le pays de Gex, on considère que c’est le mois où les ânes sont amoureux et dans le Nivernais celui où l’on mène les ânesses aux baudets. Dès lors, par la consécration du mois de mai à Marie, l’Église christianise une tradition populaire teintée de superstition. Paradoxalement, la christianisation de cette coutume la prolongera jusqu’au milieu du XXe siècle alors que les autres rites d’essence populaire avaient depuis longtemps disparu…

Du folklore à la tradition retrouvée

Si les mariages étaient proscrits, le mois de mai était par contre propice aux fiançailles, le jeune homme s’étant déclaré avec un « Mai aux filles » apposé sur la porte des parents de l’élue, ainsi que par le saut du feu de Beltaine ou de celui du Solstice d’été précédent, en faisait l’annonce publique devant la communauté. En Bourgogne et en Franche-Comté il existait une coutume de « la trottée aux ânes » qui consistait à promener trois dimanches de suite les maris qui avaient maltraité leur femme. Il faut dire que les occasions ne manquaient pas : elles « usaient de libertés spéciales et non accoutumées à ces temps chrétiens qui virent s’installer des mœurs sexistes inappropriées à nos peuples occidentaux. Elles étaient pour ainsi dire affranchies du pouvoir des maris » (Beauquier). Heureux temps, mais tellement courts ! Les Reines de mai étaient parfois « exposées » dans une niche d’aubépine tout juste fleurie pour le 1er mai, tout particulièrement en Provence où le mois de mai était appelé « mois des âmes », mais aussi « mois des ânes » (!) car débute alors la période de leur rut…

La signification de mai ne saurait se limiter au « mois des ponts ». Tout comme la fête de Noël, dont la plupart de nos contemporains ont perdu le sens, le brin de muguet que l’on achète le 1er mai en constitue une forme visible mais dégradée. Aujourd’hui, renouer avec la tradition en fêtant le mai est chose aisée. Dresser l’arbre de mai décoré aux couleurs de sa région dans son jardin, inviter ses amis et leurs enfants pour l’élection du Roi et de la Reine de mai qui auront consciencieusement brûlé le bonhomme hiver symbolique auparavant… C’est bien autre chose qu’une sortie familiale à l’hypermarché le dimanche et ces gestes simples nous rappellent que cette période de l’année symbolise le sacre du printemps et de la vie toujours renaissante

Benoît Couëtoux du Tertre

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