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L’art de la table, un art de vivre civilisationnel

“Lorsqu’un Gaulois rencontrait un étranger, la première parole qu’il lui adressait était pour le prier à manger.” Diodore de Sicile

L’art de la table, un art de vivre civilisationnel

Boustifailler, se sustenter, casser la croûte, dîner, dévorer, grignoter, déguster, sont des activités centrales de nos vies. Comme l’écrivait Jean Anthelme Brillat–Savarin : « L’univers n’est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit [1]. »

En effet, manger peut répondre pour certains à un besoin simplement physiologique ; pour d’autres, il s’agit aussi d’un plaisir, d’une tradition, voire même d’une manière de communier avec les dieux. En effet, la cuisine nous rattache à une tradition profonde, une filiation ancienne de gestes et de savoir-faire transmis de génération en génération. Elle a probablement toujours relié les Hommes, la terre, les morts et les dieux.

Quoi de plus émouvant que de goûter les premières fraises de l’été fraîchement cueillies dans la rosée du matin, humer la viande sur la braise comme aux premiers temps, partager sa table avec des amis, transmettre à ses enfants une délicieuse recette familiale ?

Pour nous, Européens, la gastronomie est un signe de civilisation, un héritage historique, une conséquence géographique, un marqueur sociologique.

Notre héritage historique nous est parvenu malgré les assauts incessants des cultes orientaux avec leurs interdits alimentaires et leur morale ascétique. En effet, jamais l’héritage gréco-latin n’a été interrompu. Poursuivi et développé dans les monastères au Moyen-Âge et favorisé par les maisons nobles, l’art de la table a su contourner tous les interdits et toutes les réformes pour atteindre un niveau de finesse et de sophistication exceptionnel [2] . Aristote n’était probablement pas seul au mont Saint Michel durant le haut Moyen Âge, il a certainement dû être accompagné d’Apicius.

Notre géographie et nos climats ont eux aussi participé de la définition de notre façon de nous nourrir. Pour ne prendre qu’un exemple déclinable à l’infini, dans les régions méditerranéennes domine l’huile d’olive alors qu’au nord le beurre et la crème trônent en maîtres. Encore aujourd’hui, alors que la circulation des produits est largement facilitée, ces frontières subsistent et se perpétuent fièrement, une « ligne de partage des gras » en quelque sorte.

Notre héritage historique nous est parvenu malgré les assauts incessants des cultes orientaux avec leurs interdits alimentaires et leur morale ascétique.

Enfin, la cuisine est aussi un marqueur social : cuisine bourgeoise versus cuisine paysanne. En découle toute une façon de s’approprier la table, de nommer, de se tenir, d’utiliser les accessoires. Le paysan utilisant un superbe coutelas pour découper sa viande ou le bourgeois reprenant son enfant avec la fameuse formule « ne mets pas les coudes sur la table », chacun marque son appartenance sociale. Ou quand la fourchette dessine les contours des strates sociales.

Manger serait peut-être alors un des socles de notre identité. Un sol profond et fertile source d’une vitalité toujours renouvelée : renaissance du vignoble géorgien et hongrois, navet de Pardailhan, porc kintoa ou gascon, saumon de l’Adour, vache pie noire de Bretagne… Les grandes tables ne s’y sont pas trompées, elles y puisent une part importante de leur créativité tout en apportant une technicité de pointe, notamment avec les innovations de la cuisine moléculaire.

La cuisine étant avant tout un partage, ce que j’aimerais vous faire découvrir ici, ce sont ces tables grandes ou moins grandes, ces lieux humbles ou prestigieux dont le seul dénominateur commun est une recherche sincère d’excellence : une sole d’hiver de l’île d’Yeu de 500 grammes saisie sur sa fine peau délicatement écaillée, le fromage de chèvre de Carrus dont le lait de printemps est une des expressions les plus subtiles des parfums des hautes Corbières, un foie gras d’oie entier à peine rosé à cœur et furtivement saisi au sautoir, une manière différente d’aborder le vin entre ciel et terre…

Ce bref amuse-bouche, je l’espère, vous donnera envie de parcourir mes prochains itinéraires gastronomiques mais surtout la curiosité de pousser la porte de ces lieux d’initiés ou parfois la magie opère sur les papilles et dans les cœurs.

Nicolas d’Aubigny — Promotion Marc Aurèle

Notes

[1] Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût

[2] Jean-Robert Pitte, Gastronomie française. Histoire et géographie d’une passion