Aetius et la bataille des Champs catalauniques (20 septembre 451)
Batailles mémorables de l’histoire de l’Europe. Quatrième partie
En 451, Gallo-Romains, Wisigoths, Armoricains, Burgondes et Germains s’unissent sous la direction du consul Aetius pour défaire les Huns aux Champs catalauniques. Cette histoire, présente dans la mémoire germanique avec la légende des Nibelungen, a inspiré Wagner pour sa Tétralogie. Côté français, nous avons la belle figure de Sainte Geneviève, réincarnation chrétienne de la déesse guerrière Athéna, figure tutélaire de Paris, dont la statue s’élève encore à la pointe de l’Île de la Cité.
Le contexte
Nous sommes au début de la seconde moitié du Ve siècle de notre ère. L’autorité de l’Empire romain en Occident est de plus en plus contestée. Le territoire des Gaules en particulier n’est plus défendu exclusivement par des Gallo–Romains mais bien plutôt par leurs alliés, les peuples « barbares », essentiellement des peuples germains venus de l’est de l’Europe, dont les incursions sur le territoire impérial remontent au IIIe siècle de notre ère et déboucheront sur de véritables invasions aux IVe et Ve siècles. Mais les Romains ont trouvé le moyen de profiter de ces nouveaux arrivants qui représentent un formidable potentiel militaire, en leur offrant le statut de fédérés (du latin foedus qui veut dire alliance ou pacte). Ceci consiste à offrir à ces peuples une terre où s’installer en échange de la responsabilité de l’administrer et de la protéger au nom de l’Empire. C’est ainsi que se sont installés les Wisigoths dont le royaume couvre le quart sud-ouest de l’actuel territoire français, les Burgondes autour de la région de l’actuelle ville de Lyon ou encore les Francs saliens qui, par le biais de plusieurs petits royaumes fédérés, contrôlent les provinces rhénanes et belges. Ces peuples ont en commun de demeurer globalement fidèles à l’Empire, nombre de rois fédérés ayant souvent mené une carrière d’officier dans l’armée impériale.
Mais d’autres peuples sont attirés par l’Europe occidentale et ses richesses. Ainsi, les Huns, nomades surgissant des steppes d’Asie centrale, chassent devant eux les peuples germaniques qui sont donc incités à leur tour à trouver leur salut plus à l’ouest. Sous la direction d’Attila, le plus puissant de leur roi, les Huns franchissent le Rhin au printemps de l’an 451, ravagent la Gaule du nord-est et pénètrent jusqu’à Orléans. Mais le général romain Aetius rassemble une armée pour se porter au secours de la cité assiégée et rattrape l’armée d’Attila en un point qui correspondrait au site de l’actuelle ville de Troyes.
Aetius a rassemblé une coalition assez disparate puisqu’elle réunit essentiellement, outre des troupes gallo-romaines, un contingent wisigoth sous le commandement de leur roi Théodoric, un autre de Burgondes avec leur roi Gondioc et d’autres contingents parmi lesquels des Francs saliens, des Alains (Sangiban, leur roi, a été contraint par Aetius d’honorer son traité d’alliance avec Rome), des Armoricains, des Saxons et des Sarmates.
Un général qui n’a pas grand-chose de romain…
Le Ve siècle consacre, dans l’Histoire, le passage de la Gaule romaine à la Gaule franque de Clovis. Cette évolution se caractérise par un affaiblissement constant de l’autorité impériale en Occident (certaines provinces comme la Bretagne sont purement et simplement abandonnées à leur sort) mais aussi, et a contrario, par une survivance de l’idée de romanitas, c’est-à-dire de l’ensemble des valeurs (virtus, dignitas, pietas), concepts politiques (l’État doit être dirigé par les plus méritants et non seulement par leurs héritiers) et modes de vie (usage du latin notamment), qui fondent la citoyenneté romaine.
Ceci aboutit à ce que, dans l’Empire romain d’Occident du Ve siècle, le représentant du pouvoir impérial, le préfet du prétoire et son prolongement militaire, le magister militum per Gallias sont bien souvent d’ex-barbares romanisés qui bénéficient néanmoins du soutien de la noblesse sénatoriale gallo-romaine, y compris parfois contre le pouvoir central de l’empereur. Finalement, ces Gallo-Romains germanisés s’appuyant sur des troupes majoritairement germaniques défendent mieux l’héritage de Rome que les habitants de l’Urbs eux-mêmes, trop inféodés au véritable culte personnel que se vouent les empereurs romains à partir du IVe siècle.
Ainsi en est-il d’Aetius qui a été magister militum de 426 à 429 ap. JC puis consul en 432 et patrice (titres essentiellement honorifiques) en 433. On sait qu’Aetius dispose d’une influence importante à Ravenne auprès de l’empereur d’Occident et qu’il connaît bien les Huns pour avoir été dans sa jeunesse otage à la cour de leur roi. Devenu officier romain, il en a même recruté à plusieurs reprises dans son armée. Mais à l’été 451, Aetius va devoir affronter ses anciens alliés.
La bataille
Le déroulement de la bataille nous est connu par l’historien goth Jordanès, dont le récit date d’un siècle après les faits.
Les deux armées qui se font face sont essentiellement composées de Germains.
D’un côté, on trouve Attila qui commande une coalition où les Ostrogoths de Valamir sont les plus nombreux, mais où sont aussi présents les Gépides d’Ardaric, les Hérules, les Alamans, les Suèves, les Skires, les Ruges, les Bructères, les Francs ripuaires et les Thuringiens.
De l’autre, on trouve Aetius et ses alliés wisigoths, burgondes et francs essentiellement.
On estime que les deux armées regroupent aux alentours de 50 000 hommes chacune mais les historiens s’accordent pour reconnaître que la supériorité numérique était du côté de l’armée des Huns.
Au matin du 20 juin, Attila décide de se mettre au centre, entouré sur sa droite des Ostrogoths et sur sa gauche des Gépides et des autres peuples germaniques. Face à lui, Aetius commande l’aile gauche tandis qu’il a confié son aile droite aux Wisigoths et laissé les Alains à la fidélité douteuse au centre de son dispositif.
La nuit même avant la bataille, la tension est déjà montée d’un cran puisque les Francs d’Aetius ont rencontré et défait une armée gépide fidèle à Attila non loin du champ de bataille.
En début d’après-midi débute véritablement la bataille. Comme prévu, la cavalerie hunnique charge et met en déroute la cavalerie burgonde tandis que, sur le flanc droit, les Wisigoths mettent à mal les rangs de leurs cousins ostrogoths, perdant néanmoins leur roi Théodoric dans le combat. C’est le sang-froid et la patience d’Aetius, ainsi que la discipline de ses troupes, qui vont finalement faire la différence. En effet, Aetius sait pouvoir compter sur son infanterie, mieux et plus lourdement équipée, pour supporter le poids des redoutables charges de cavalerie ennemie. Lentement, l’infanterie romaine et franque, flanquée de la cavalerie wisigothe, fait reculer les Huns vers le camp qu’Attila a fait constituer en disposant ses chariots en cercle, selon la tradition des steppes.
Le lendemain, Aetius ne tente pas de forcer le camp retranché car ni lui, ni ses alliés de circonstance wisigoths n’ont réellement intérêt à voir la menace hunnique définitivement éradiquée. Attila profite de ces atermoiements pour faire retraite et emporter au-delà du Rhin le butin amassé au cours de son raid.
Ce qu’il faut retenir
Cette bataille aura un retentissement qui dépasse de loin sa faible portée stratégique.
Le mythe de l’invincibilité de l’armée d’Attila a vécu sans que cela dissuade toutefois ces barbares de s’attaquer à l’Empire. Dès l’année suivante, c’est en Italie du Nord qu’Attila mène sa horde avec succès.
Mais les peuples germains installés en Gaule ont démontré qu’ils étaient le seul rempart sérieux face aux menaces qui pèsent sur l’Empire romain d’Occident.
Enfin, Aetius s’est acquis un grand prestige par sa capacité à unir les forces de différents peuples et à les diriger pour vaincre un ennemi supérieur en nombre. Cette renommée aura cependant de funestes conséquences puisqu’elle lui vaudra d’être assassiné de la main même de l’empereur Valentinien en septembre 454.
Nicolas L. — Promotion Marc Aurèle