Fête de la Saint-Vincent (22 janvier)
La fête de Saint-Vincent du 22 janvier a un caractère très folklorique marquée par de nombreuses traditions populaires dans les régions viticoles.
Vincent né à Huesca au IVème siècle, patron de la vigne et des vignerons, est fêté rituellement dans la plupart des pays viticoles. à la date du 22 janvier. C’est Valète, l’évêque de Saragosse, qui le nomma diacre. C’est dans le texte d’une Passion en prose, évoquée par saint Augustin, qu’il est fait mention du martyre de ce saint pour lequel il faut mettre en évidence les racines à la fois historiques et mythiques le concernant.
En effet, rapprocher en un même nom le vin et le sang ne saurait passer pour une étrange coïncidence. Il est certain que cette association verbale dans ce nom de Vincent exprime parfaitement l’alliance fondamentale du vin et du sang de par la représentation d’un personnage emblématique mais qui n’a rien de fictif puisqu’il s’agit de Vincent de Saragosse, diacre et martyr espagnol de la fin du IIIème siècle. Selon les Bollandistes, l’origine de ce patronage ne serait que l’emploi d’un mauvais jeu de mots comme il en existe tant d’autres en hagiographie.
Plusieurs sermons de saint Augustin, saint Léon et saint Bernard font état de ce diacre mais la vie de Vincent de Saragosse nous est mieux connue par le poète Prudence dans son Peristephanon au IVème siècle. Bien plus tard, au XIIIème siècle, Jacques de Voragine évoque saint Vincent d’une manière justement plus mythique dans sa Légende Dorée.
Vincent subit le martyre lors de persécutions contre les chrétiens sous le règne de l’empereur Dioclétien. Le 22 janvier de l’an 304 il aurait été torturé sur une maie de pressoir ce qui suffirait à justifier son patronage des vignerons. C’est la symbolique du sang qui se répand dans le pressoir et se change en vin, c’est-à-dire la démarche inversée de ce qui se produit dans l’Eucharistie mais en fait ce vin et ce sang ne font qu’un. Ce sang devenu vin est une sublime allégorie du Saint-Graal, le sang réal, le Vrai Sang, le Sang de Victoire, le Vainc Sang.
Les descriptions des tortures infligées à Vincent par Jacques de Voragine évoquent curieusement le long travail qui va s’accomplir autour de la vigne dans le courant de l’année. Saint-Ambroise le reprend en ces termes dans une Préface :
Vincent est rompu, écartelé, coupé, flagellé, brûlé, mais son esprit reste indomptable …
Il faudrait ajouter également cette allusion métaphorique aux corbeaux protégeant la dépouille du saint exposée sans sépulture aux profanations du désert. Certaines sources disent que les restes de saint Vincent furent transportés en l’an 805 à l’Abbaye Saint-Benoît de Castres et que durant le trajet le navire fut escorté par des corbeaux.
La notoriété de saint Vincent est considérable. Il est nommé au Canon romain de la messe. Au VIème siècle, Childebert 1er, lors d’une campagne contre les Wisigoths, rapporte une relique de Saragosse pour laquelle il fit édifier une église à Paris dédiée à saint Vincent qui deviendra plus tard l’église Saint-Germain-des-Prés, prenant le nom de l’évêque Germain qui l’administrait.
Depuis 1970, la cathédrale de Valence possède un bras de saint Vincent, offert par une famille de Padoue. Une étude scientifique a confirmé l’authenticité de la relique comme étant le bras d’un jeune homme brûlé au IVème siècle. L’autre bras se trouve au Portugal dans la cathédrale de Braga.
La fête de Saint-Vincent du 22 janvier a un caractère très folklorique marquée par de nombreuses traditions populaires dans les régions viticoles. C’est la Bourgogne qui nous fait découvrir un florilège de coutumes particulièrement en rapport avec la mythologie qui entoure cette figure du saint.
Chaque année en Bourgogne la Confrérie des chevaliers du Tastevin intronise ses nouveaux membres à l’occasion de la fête du 22 janvier. Cette fête vinicole se nomme la Saint-Vincent Tournante. Chaque année c’est un village différent de Bourgogne qui est désigné pour s’occuper des prérogatives de la fête. C’est une fête religieuse que cette fête des vignerons mais elle plonge ses racines bien au-delà de la tradition chrétienne. Elle est toute imprégnée du paganisme celtique autant que gréco-romain.
La Saint-Vincent tournante a eu lieu pour la première fois en Bourgogne à Chambolle-Musigny en 1938, puis, l’année suivante à Vosne-Romanée, puis à Gevrey-Chambertin. Chaque année changeait ainsi le lieu des réjouissances et de la grande cérémonie religieuse. Celle-ci commence par une procession pittoresque où se déploient les bannières dorées des confréries représentant chaque paroisse. On y voit en abondance des statues de saint Vincent portées à l’épaule et de toutes tailles et de toutes couleurs.
La Saint-Vincent tournante est aussi célébrée en Franche-Comté. Nous en avons un exemple à Vuillafans, dans la vallée de la Loue, qui en 2004 reçut la statue du saint pour un défilé dans les rues du village et une cérémonie à l’église. C’était disait-on La cuvée de la sécheresse mais elle se révéla exceptionnelle. À Champlitte, dans le Jura, la Saint-Vincent est commémorée sans discontinuité depuis 400 ans. Il existe encore aujourd’hui certaines festivités qui honorent saint Vincent et la vigne, par exemple dans la Brie en Seine-et-Marne, malgré le fait qu’il n’y ait presque plus d’activité vinicole à l’entour. La tradition est toujours respectée à Mouroux, non loin de Coulommiers, chaque année pour le 22 janvier. La statue de saint Vincent est portée en procession puis replacée dans sa niche avec une bouteille de vin nouveau. On retire celle qui avait été déposée l’année précédente. Pour ce faire, une échelle est dressée qui donne accès à la niche. La tradition impose à celui qui grimpe à l’échelle de faire une pause à chaque barreau et de boire un verre de vin. L’exploit est salué comme il se doit par des coups de fusil tirés en l’air. À Mirecourt, la célèbre cité vosgienne des facteurs d’instruments de musique, la même tradition de l’échelle a lieu chaque année le 22 janvier. Dans sa niche la statue de saint Vincent reçoit en plus quelques grappes de raisin.
De tout temps et de tous pays, les vendanges ont été une fête de l’abondance et de la joie. Homère dans l’Odyssée raconte l’accueil d’Ulysse par Antinoüs qui récolte des raisins pendant qu’autour de lui garçons et filles jouent de la flûte et dansent allégrement.
En 1371, en l’honneur de saint Vincent, l’abbé de Cîteaux fit adresser au pape Grégoire XI une belle quantité du vin de Clos-Vougeot et reçut en retour le chapeau rouge du cardinalat.
Au XVème siècle se tenait une foire de la Saint-Vincent en Alsace, au bord du Rhin. Les bateaux de la Hanse teutonique venaient y chercher les meilleurs crus alsaciens en échange des poissons secs de la Baltique ou des fourrures de Prusse, de Pologne ou de Russie.
Le vigneron girondin qui prenait à bail un domaine était mis en possession le jour de la Saint-Vincent. En présence des confréries locales, les villageois participaient à la fête. Là, l’ancien propriétaire de la vigne remettait au vigneron une poignée de sarments. Ce geste symbolique et public confirmait la possession réelle du domaine sous la protection de saint Vincent. Ce geste, dans un ordre des choses un peu différent et plus rustique, revêtait la même gravité que la remise solennelle de l’épée et du heaume à un chevalier.
Nous avons vu que le diacre de Saragosse fut persécuté sous l’empereur Dioclétien. Il fut éventré sans paraître en souffrir. C’est pourquoi saint Vincent est invoqué contre les maux intestinaux. Puis il fut couché sur un lit de poteries brûlantes, ce qui explique pourquoi les tulliers, briquetiers et couvreurs en ont fait leur saint patron. Les marins le vénèrent également parce que son corps supplicié fut jeté à la mer avec une lourde meule au cou mais remonta à la surface. « Vincent est rompu, écartelé, coupé, mais son esprit reste indomptable » dit saint Ambroise. Dionysos, qui par bien des côtés ressemble à Vincent, subit un tel démembrement dans son combat contre les titans. Le plus célèbre « démembré » est Osiris, soleil des morts, auquel Dionysos est assimilé. Sa résurrection sous forme de soleil victorieux est l’œuvre de l’Isis lunaire. Or, l’église parisienne de Saint-Germain-des-Prés contenant les reliques de saint Vincent, déposées par le roi Childebert, était un temple autrefois consacré à Isis. Une statue de la déesse demeura dans la basilique chrétienne jusqu’en l’année 1512. Voilà qui peut expliquer l’importance de la lune dans le travail de la vigne, ce que Virgile avait déjà remarqué. La Saint-Vincent de janvier se situe à quelques jours de l’antique fête de la vigne où Dionysos est à l’honneur en février : les trois jours des anthestéries.
Curieusement l’histoire apporte à ce martyrologe curieusement symbolique une illustration parfaitement réelle. Il s’agit de la mort de notre roi Louis XVI, décapité la veille de la Saint-Vincent, le 21 janvier 1793 et qui nous offre en ces termes son dernier message :
Je termine mon règne comme les rois antiques et sages, devant un simple verre de vin… Je m’associe au prêtre qui en ce moment, mêle le vin à l’eau, moment préparatoire à cette unité de Dieu et du fruit de la vigne, où le vin est Dieu, et Dieu, vin.
Parmi les nombreux épisodes légendaires qui relatent le martyre de saint Vincent, il n’en est aucun qui nous explique vraiment pourquoi il devint le patron des vignerons. C’est seulement ce jeu de mot populaire autour de son nom qui nous offre quelque interprétation acceptable. Mais est-ce suffisant ? Néanmoins fêter la Saint-Vincent, dans de nombreux vignobles, est une tradition vivante. Elle vit, elle renait et elle se transforme selon les lieux. Tout un village se trouve emporté dans le tourbillon de la fête qui exalte le côté dionysiaque, selon la Grèce, ou Bachique, selon Rome. La mystique du vin et du sang est encore bien vivante et ne demande qu’à croître malgré les incessants appels de nos démocrates à la modération. La Saint-Vincent commence dans la piété et se poursuit de manière profane, révélant son double caractère : à la fois fête du vin et fête des hommes.
Gérard Leroy
Photo : défilé de la Saint-Vincent Tournante 2017 de l’appellation Mercurey. Source : Wikimédia.