L’Alsace au temps de Noël
C’est peut-être dans cette corne d’abondance qu'est l'Alsace, au cœur du ténébreux mois de décembre, que nous pouvons le moins douter du retour de la lumière.
Fêter Noël en Alsace est un privilège exceptionnel. Ce “pays” nous est à la fois proche géographiquement et lointain par sa culture et sa langue spécifiques. Cette terre de France, comme la Corse, le pays Basque ou la Bretagne, est une de nos sentinelles culturelles aux confins du royaume, une gardienne de notre identité, puisant sa force dans la nuit des temps et assez forte pour faire la juste synthèse entre modernité et tradition.
Ce bout de France n’a pourtant pas été épargné par l’histoire : à chaque pas, une ancienne muraille, un fort, un mémorial, un cimetière témoignent de la rudesse des combats qui ont été livrés ici. Mais ce sang versé a irrigué plus qu’il n’a anémié cette terre puissante. Les villes et les villages sont plus beaux qu’ailleurs, la terre de la plaine offre les fruits les plus savoureux, les vins les plus fins et l’économie alsacienne est une des plus florissantes de France.
C’est peut-être dans cette corne d’abondance, au cœur du ténébreux mois de décembre, que nous pouvons le moins douter du retour de la lumière. Et c’est probablement du haut de la montagne vosgienne où un parfum de mystère sauvage existe encore que cette lumineuse Alsace sera la plus belle.
Partons donc quelques jours dans ce vieux massif vosgien célébrer “la plus européenne des fêtes” (1) dans une chaleureuse ferme auberge à l’écart des grandes migrations urbaines attirées par les marchés de Noël. Attention cependant, ce nid d’aigle surplombant la vallée de Munster à 1096 m d’altitude peut être difficile d’accès en hiver. En effet, seule une étroite route forestière longue de 3 km permet l’accès à l’auberge, mieux vaut donc prévoir une voiture correctement équipée (pneus neige, chaînes). Et vous aurez alors peut être le privilège de débuter votre séjour par une arrivée sous un soleil radieux aux dessus des épaisses brumes de la vallée ; probablement soufflées la nuit même par le “dragon du Brand” (2).
Cette auberge est aussi une ferme où l’on élève un animal bien particulier : le renne. Cette touche scandinave renforce encore un peu plus l’esprit boréen du lieu. Lors de la visite de la Ferme aux Rennes, vous découvrirez sous les sapins une petite maison tordue où parfois vient se reposer le père Noël, un homme de grande stature à la barbe florissante parfaitement authentique (nous avons testé pour vous) et dont le profond regard bleu fera douter les plus sceptiques (personnellement je n’exclus pas qu’il soit le vrai).
Le soir venu, vous pourrez prendre un copieux repas près de la cheminée de l’auberge et goûter à la merveilleuse cuisine alsacienne en contemplant le soleil se coucher sur le Hohneck.
Les produits mis à l’honneur sont pour la plupart issus des fermes avoisinantes.
Le lendemain, après une nuit de sommeil réparateur et un petit déjeuner montagnard, vous pourrez vous lancer à la découverte du massif grâce aux nombreux chemins de randonnée balisés (à pied ou en raquettes selon les conditions d’enneigement). Par ailleurs, l’accès aux pistes de ski alpin du Tanet est direct depuis l’auberge.
Enfin, non loin de la Ferme aux Rennes, réside l’un des joyaux de cette petite montagne : l’auberge du Schupferen. Cette rustique auberge d’altitude est habitée toute l’année par une famille d’éleveurs ; on croise d’ailleurs souvent leurs chèvres en liberté sur les chemins environnants. Il est possible d’y goûter une délicieuse cuisine familiale traditionnelle comme l’on en trouve presque plus sur le massif vosgien. Vous pourrez notamment vous régaler de l’un des meilleurs siesskas que je connaisse (fromage blanc du jour, crème fraîche et kirsch). Ici pas de gadget exotique, pas de décoration exubérante, la maison est toujours calme et sereine. Le poêle au centre de la pièce diffuse une douce chaleur, quelques vêtements accrochés ici et là autour du foyer sont en train de sécher, ce lieu est suspendu aux cimes, suspendu au temps.
Les vins y sont tous bons et très abordables, préférez néanmoins les petits producteurs à la cave coopérative de Turckheim très représentée dans les auberges du massif.
Nous voici au terme de ce périple, il est temps de redescendre dans la vallée, plus fort que jamais, pour affronter la plus longue nuit de l’année…
Nicolas d’Aubigny — Promotion Marc Aurèle
Ce texte fait partie d’une série, les itinéraires gastronomiques (en savoir plus).
Notes
- Pierre Domnaiche, “Noël, la plus européenne des fêtes”
- “En ce temps là, la vallée du Rhin était couverte d’eau et seules les plus hautes collines émergeaient de la mer d’Alsace. Un jour, un dragon sortit des eaux et grimpa au sommet de la colline du Brand. Fatigué et apaisé par la douce torpeur du lieu, il s’assoupit. Tout le reste de la journée, le soleil continua de briller de plus en plus fort, si bien que la chaleur fit fondre les écailles du dragon. Son sang se mit à bouillir et il se répandit rapidement sur la terre desséchée. Dans un dernier sursaut, le dragon épuisé se retira dans une grotte. Mais il était trop tard et le dragon y mourut d’épuisement.” histoiresdevins.fr