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La noblesse d’Europe à la bataille de Lépante (7 octobre 1571)

Batailles mémorables de l’histoire de l’Europe. Huitième partie.
Les deux derniers siècles du Moyen Âge voient, en Europe, le passage d’un ancien monde à un nouveau. En Europe de l’Est, deux phénomènes concomitants concrétisent encore mieux ce changement d’époque : la disparition de l’Empire byzantin et l’expansion de l’Empire ottoman.

La noblesse d’Europe à la bataille de Lépante (7 octobre 1571)

Les deux derniers siècles du Moyen Âge voient, en Europe, le passage d’un ancien monde à un nouveau. Notre continent est alors traversé par des crises sociales, économiques et géopolitiques qui vont profondément bouleverser sa configuration : citons entre autres la peste noire à partir de 1347, la Guerre de Cent Ans qui s’achève en 1453 et les guerres d’Italie qui débutent à la fin du siècle. En Europe de l’Est, deux phénomènes concomitants concrétisent encore mieux ce changement d’époque : la disparition de l’Empire byzantin et l’expansion de l’Empire ottoman.

Le contexte

Cette expansion débute, de façon très progressive, dans la seconde moitié du XIe siècle mais va s’accélérer à partir du milieu du XIVe siècle, grâce à une série de succès militaires : défaite byzantine de Pélékanon en 1329, prise des forteresses byzantines de Nicée en 1331 et de Nicomédie en 1337 (qui place définitivement toute l’Anatolie sous domination turque), défaite des armées serbes en 1371 sur les rives du fleuve Maritsa (actuelle frontière entre Grèce et Turquie) et, en 1389, dans la plaine de Kossovo. Enfin, le retentissant échec de la croisade menée par Jean sans Peur, duc de Bourgogne, dont l’armée coalisée échoua face aux troupes d’élite, janissaires et cavaliers spahis, du sultan Bayezid en 1396 près de la cité de Nicopolis.

Malgré la parenthèse due à l’intervention de l’Empire mongol de Tamerlan (victorieux des Turcs en 1402 près d’Ankara) qui contrecarre quelques temps les plans du sultan, l’expansion turque se poursuit par la prise de Constantinople en 1453 et commence dès lors à menacer tout le bassin méditerranéen. Grâce aux moyens que leur procure la prise de la cité byzantine (chantiers navals, main-d’œuvre, port et arsenaux), les Turcs se dotent d’une flotte suffisamment puissante pour remettre en cause la suprématie maritime des Vénitiens. Ils encouragent également le développement d’une piraterie endémique qui devient le cauchemar des côtes méditerranéennes occidentales. Puis, sous l’égide du sultan Soliman, ils parviennent à conquérir la majeure partie de la Hongrie (défaite hongroise de Mohacs en 1526) et à mettre le siège devant Vienne en 1529.

Mais l’hégémonie ottomane connaît un premier coup d’arrêt avec le siège de Malte qui échoue grâce à la résistance opiniâtre des chevaliers de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem et au renfort d’une armée de secours envoyée par Philippe II d’Espagne, fils de l’empereur Charles Quint.

En 1570, les Ottomans décident de s’attaquer à une autre île stratégique des confins orientaux de l’arc méditerranéen, Chypre, possession vénitienne. Malgré le courage de la garnison et de son commandant, Marcantonio Bragadin (que ses frères vengeront largement à Lépante), la ville finit par tomber et ses défenseurs sont massacrés dans les pires conditions en août 1571.

Cette nouvelle offensive turque entraîne toutefois, à l’initiative du pape Pie V, la signature du traité de la Sainte Ligue le 19 mai 1571 par lequel Venise, l’Espagne, les États pontificaux, l’ordre de Malte, le duché de Savoie et plusieurs États italiens décident de s’allier pour détruire la menace turque. Face à une flotte ennemie d’environ 230 galères, ils parviennent à en rassembler plus de 200, dont la moitié sort de l’arsenal de Venise. À cela s’ajoutent six galéasses, grandes galères portant une impressionnante quantité d’artillerie (dont une partie judicieusement installée sur le gaillard d’avant aménagé à cet effet). Enfin, ils confient le commandement de cette armada à Don Juan d’Autriche, fils de Charles Quint et demi-frère de Philippe II, roi d’Espagne.

Une bataille courte mais extrêmement violente

La flotte de la Sainte Ligue rencontre la flotte ottomane le 7 octobre 1571 à l’entrée du golfe de Patras, aussi appelé golfe de Corinthe, sur la côte nord du Péloponnèse. Don Juan a disposé ses forces en quatre escadres constituant successivement ses deux ailes, son centre et une force de réserve. Chaque escadre rassemble des navires à la fois vénitiens, génois, espagnols, pontificaux et des divers alliés tandis que les trois escadres de front sont précédées chacune par deux des fameuses galéasses.

Ce sont d’ailleurs ces galéasses qui, grâce à leur puissance de feu, vont couler dès le début de la bataille près du tiers de la flotte turque. Pour empêcher que cette hécatombe ne provoque une déroute immédiate, Ali Pacha, l’amiral commandant la flotte turque, mène alors une action offensive avec le centre de son dispositif, la Sultana, galère amirale, en tête. C’est sur cette dernière qu’ont lieu les combats qui décident de l’issue au centre de la bataille. Du haut des ponts surélevés de leur navire, les fantassins de la Sainte Ligue, réguliers espagnols ou mercenaires allemands, manient le lourd mousquet ou l’arquebuse, plus légère, avec une remarquable discipline de feu. Par ailleurs, toute la noblesse guerrière, galvanisée par son jeune chef, Don Juan, se jette épée à la main sur le navire amiral ottoman, chacun espérant avoir l’honneur de mettre à bas l’étendard ennemi. Au troisième assaut, Ali Pacha tombe frappé d’une balle d’arquebuse et sa tête est bientôt plantée au bout d’une pique, vision terrible qui frappe d’effroi les troupes turques.

Sur l’aile gauche, placée sous le commandement de l’amiral vénitien Barbarigo et malgré la mort de ce dernier durant la bataille, les soldats de la Sérénissime résistent aux assauts des galères turques tant et si bien que le vice-roi d’’Alexandrie, Scirocco, qui dirige cette aile, meurt dans les combats et que l’essentiel de sa flotte est coulé ou s’échoue sur la côte.

À l’aile droite en revanche, le rénégat Ouloudj Ali parvient à envelopper l’escadre de l’amiral génois qui ne doit son salut qu’à la prompte intervention de l’escadre de réserve et de quelques navires rameutés par Don Juan d’Autriche.

Au final, la supériorité technologique (une artillerie de plus de 1800 canons) et l’excellente qualité des troupes engagées, disciplinées et bien équipées auront raison en quelques heures de la supériorité numérique des ottomans.

À cela s’ajoute la fougue et l’héroïsme d’une noblesse européenne qui a à cœur de s’illustrer au combat.

Qu’il s’agisse de Don Juan d’Autriche, chef de guerre déjà distingué malgré ses 24 ans, de Sebastiano Venier, « capitaine général de la mer » de la flotte de Venise qui participe à la bataille à l’âge vénérable de 75 ans, du Niçois André Provana de Leyni, commandant la flotte du duché de Savoie et qui embarque sur ses trois galères la fine fleur de la noblesse niçoise, de Marc-Antoine Colonna, énergique et talentueux général de la flotte du Saint-Siège, des amiraux vénitien Augustino Barbarigo ou génois Giovanni Andrea Doria et de bien d’autres encore, l’armada réunie par la Sainte Ligue est menée par une élite guerrière, héritière des valeurs chevaleresques d’un Moyen Âge qui vient de s’achever.

Un état de fait que Dominique Venner analyse, dans son Histoire et tradition des Européens : « Jusqu’au XVIe siècle inclus, la noblesse n’est pas exclusivement liée à la naissance. Elle doit son statut à son aptitude au commandement politique, à sa fonction militaire de protection et de justice, ainsi qu’à sa « vertu » au sens romain d’énergie virile, mais aussi de droiture et d’abnégation. Encore au temps de Montaigne, la noblesse est avant tout une affaire de métier, celui des armes, et de dignité. »

Cette aptitude aux plus hautes fonctions n’est toutefois pas un hasard. Elle est en grande partie le fruit d’une éducation très contraignante, voire spartiate. Cette éducation passe tout autant par l’apprentissage des tâches les plus élémentaires de la vie quotidienne (s’occuper de son linge, soigner les chevaux…) que par des études très strictes ou un cadre de vie austère.

Ce qu’il faut retenir

Au-delà d’une Europe qui s’unit pour résister aux assauts de l’assaillant étranger, la bataille de Lépante doit avant tout nous rappeler le rôle joué par la noblesse avant le conflit fratricide de 1914-1918. Celle-ci n’appuie pas son statut que sur l’héritage d’un titre. Elle s’identifie avant tout par une profonde éthique de comportement, par son sens du sacrifice, son ardeur à combattre et par un état d’esprit où s’équilibrent liberté d’engagement et sens du devoir.

Nicolas L. — Promotion Marc Aurèle

Illustration : La bataille de Lépante, tableau anonyme, XVIe siècle. Domaine public.