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Sykelgaite de Salerne (1040 ? – 1090)

« Cette rumeur concerne directement Sykelgaite, l’épouse de Robert (qui chevauchait à ses côtés et était à ses yeux une seconde Pallas, si ce n’est une Athéna). Lorsqu’elle vit les soldats s’enfuir, elle s’en prit à eux avec férocité et d’une voix très puissante leur cria, dans sa langue natale, ces paroles dignes d’Homère : « Jusqu’où fuirez-vous ? Résistez, et battez-vous comme des hommes ! » Lorsqu’elle vit qu’ils continuaient de s’enfuir, elle s’empara d’une lance et poursuivit les fuyards au grand galop ; voyant-cela, ces hommes se reprirent et retournèrent au combat. »
Extraite de l’Alexiade, chronique rédigée entre 1137 et 1143 par Anne Comnène, fille de l’empereur Alexis Comnène, cette citation révèle la fascination exercée par la duchesse Sykelgaite sur l’auteur… À juste titre !

Sykelgaite de Salerne (1040 ? – 1090)

Probablement née vers 1040, Sykelgaite (prénom parfois orthographié “Sichelgaite” ou “Sichelgaita”), est d’illustre naissance : par son père Guaimar IV, elle appartient à la lignée des princes lombards de Salerne. Quant à sa mère Gemma, elle descend des princes de Capoue. Les luttes d’influence entre les Sarrasins provenant notamment de l’émirat de Sicile, puis entre les seigneurs normands et l’Empire byzantin pour le contrôle de l’Italie méridionale ont un impact direct sur l’enfance de cette princesse lombarde. En 1052, son père est assassiné par ses beaux-frères. Sykelgaite et sa famille parviennent à se cacher, mais doivent se rendre faute de vivres et sont emprisonnés durant quelques jours. Les captifs sont finalement délivrés le 10 juin par l’oncle de la princesse, aidés de quelques Normands.

Le mariage de la princesse avec Robert Guiscard en 1058 révèle la manœuvre diplomatique réalisée par son frère, le prince Guisolf II de Salerne. Celui-ci s’est rapproché du nouveau chef des Normands afin d’assurer la sauvegarde de son trône face aux prétentions byzantines. Pour officialiser cette alliance, c’est donc tout naturellement que Guisolf offre la main de sa sœur à ce chef de mercenaires, largement moins bien né qu’elle. Comprendre la destinée de Sykelgaite implique de se pencher sur l’histoire des Normands en Italie et notamment sur la vie de l’un des plus illustres d’entre eux, Robert Guiscard.

Il peut sembler difficile d’imaginer des Normands descendants de guerriers vikings en Italie… Et pourtant ! Tout commence en 911, avec la conversion au christianisme du chef Rollon, nouveau comte de Normandie. S’ensuit alors une large christianisation des Vikings, ayant pour conséquence de nombreux départs de pèlerins vers la Terre Sainte. Dès 999, les premiers Normands arrivent en Apulie, étape sur le chemin de retour de Jérusalem. Le chroniqueur Aimé du Mont-Cassin raconte qu’ils auraient repoussé les Sarrasins à Salerne alors qu’ils n’étaient qu’une quarantaine !

Au début du XIe siècle, le jeune duché de Normandie est en proie à des dissensions internes, ce qui favorise le départ en Italie de jeunes guerriers normands issus de la petite noblesse locale. C’est le cas des fils de Tancrède de Hauteville, dont Robert Guiscard. L’Italie est particulièrement instable au XIe siècle : le Saint Empire germanique et la Papauté se disputent le nord de la péninsule ; le sud de l’Italie ne connaît pas un sort plus enviable, puisqu’il est convoité par l’empereur byzantin et subit les coups de boutoir des Sarazins, ceux-ci organisant régulièrement des razzias le long des côtes. Les Normands comprennent rapidement que ce climat d’instabilité politique représente une opportunité d’élévation sociale. De simples pèlerins, ces derniers deviennent des mercenaires à la solde de l’empereur byzantin ou des princes lombards, soucieux de préserver leurs titres et leurs territoires. Les frères représentant la maison de Hauteville choisissent le parti du prince de Salerne. Robert Guiscard n’est que l’un des cadets de cette fratrie. Le pouvoir de décision revient surtout à ses frères aînés Guillaume « Bras de Fer » et Drogon. Ceux-ci débarquent au sud de l’Italie vers 1035 et s’illustrent lors d’affrontements contre les Sarazins.

Dans les années 1040, ils commencent la conquête de l’Apulie et de la Calabre, débarrassant le sud de la péninsule des prétentions byzantines et sarrasines. Vers 1046-1047, c’est au tour de Robert de débarquer en Italie, accompagné de cinq chevaliers et de trente-cinq fantassins. Après s’être brouillé avec ses frères, il mène une vie d’errance et de banditisme qui lui valent le surnom de « Guiscard ». ce surnom signifie « le Rusé », « l’Avisé ». Sa condition s’améliore vers 1050-1052 grâce à son mariage avec Aubrée de Buonalbergo, parente d’un baron d’Apulie, qui lui donne deux enfants avant que celui-ci la répudie au profit de Sykelgaite. En 1057, il succède à son frère Onfroi et devient comte d’Apulie. Toutefois, sa soif d’ambition est loin d’être satisfaite.

Sykelgaite va jouer un rôle clé dans les projets de conquête de son mari. Dans un premier temps, elle inscrit la lignée de son époux dans la postérité en lui donnant cinq enfants, dont trois fils. Étant de bien meilleure naissance que Robert, elle appuie ses prétentions d’élévation sociale. De plus, elle lui apporte un soutien moral et militaire sans faille en l’accompagnant dans grand nombre de campagnes. Elle est présente lors du siège de Palerme en 1070. En 1076, Robert Guiscard décide d’assiéger Salerne, posant Sykelgaite devant un dilemme : doit-elle prendre parti pour son époux, ou pour l’assiégé, qui n’est autre que son frère Gisulf ? La princesse choisit de défendre la cause de Robert Guiscard, mais sert d’intermédiaire entre les deux camps. Elle aurait peut-être fait parvenir des vivres à ses frères et sœurs dans la ville, ceux-ci étant soumis aux lourdes contraintes du siège, notamment la faim. Finalement, lorsque Gisulf décide de se rendre à ses ennemis, il est fort probable que la princesse ait eu une grande influence sur son époux afin d’alléger la peine réservée à son frère.

On la retrouve à nouveau au côté de son mari en 1078, lors d’une campagne lancée contre les barons en pleine révolte. Sykelgaite participe à l’expédition et son époux lui confie même les commandes du siège de Trani pendant qu’il s’attaque à Tarente.

Enfin, elle prend part à la grande expédition lancée contre l’empereur byzantin en 1081. Roger et Sykelgaite avaient auparavant conclu des fiançailles entre leur fille et le fils de l’empereur Michel VII Constantin. Le projet tombe à l’eau lorsque Michel VII est renversé par Nicéphore III, qui sépare les fiancés et fait emprisonner Hélène, la fille de Robert et Sykelgaite. Même si Alexis Comnène parvient au pouvoir en déposant Nicéphore III et en faisant libérer Hélène, l’expédition est maintenue. Sykelgaite s’illustre notamment lors des combats engagés après le siège de Durazzo, le 18 juin 1081. Alors que la cause semble perdue pour le camp des Normands, elle pourchasse les fuyards afin de les ramener dans la bataille. Cet épisode lui a valu d’être décrite par la chronique rédigée par Anne Comnène comme une amazone haranguant les troupes. La campagne contre les Byzantins dure plusieurs années et est interrompue en 1085 par la mort de Robert Guiscard, des suites d’une maladie.

À nouveau, la princesse veille aux intérêts de son défunt époux. Après avoir ramené la dépouille de ce dernier en Italie, elle fait reconnaître son fils Roger comme successeur au titre de duc d’Apulie et de Calabre. Elle reste associée au pouvoir durant les premiers mois de règne du nouveau duc, le temps pour lui d’affirmer son autorité. En 1086, Roger gouverne seul. Sykelgaite a rempli sa mission : la transmission du titre ducal et de son territoire étant assurée, elle peut se retirer des affaires politiques. La princesse lombarde s’éteint le 27 mars 1090 et est inhumée au Mont-Cassin.

Le parcours de Sykelgaite et son union avec Robert Guiscard ont marqué l’Europe. Par leur union et leurs conquêtes, ils ont en effet contribué à jeter les fondements d’un véritable royaume, comprenant la Sicile et tout le sud de l’Italie. Ce territoire est demeuré aux mains des Normands pendant plus d’un siècle, jusqu’à la mort, en 1189, de Guillaume II, dernier héritier direct de Roger Guiscard. Ce royaume original, véritable carrefour méditerranéen, est ensuite tombé aux mains de la dynastie des Souabes, puis des Angevins.

Aujourd’hui, au cœur de cet ancien royaume, le château de Melfi rappelle l’ancienne puissance normande, crainte et respectée dans toute la Méditerranée. Cet imposant édifice est situé dans le Mezzogiorno, en plein cœur de l’Italie du Sud. Sa construction date des années 1040, à l’époque où les fils de Tancrède de Hauteville réalisent leurs premières conquêtes. Il s’agit de la première forteresse érigée par les Normands, probablement ordonnée par Robert Guiscard. Le duc exige la présence d’une cathédrale aux côtés du château et dote celui-ci d’une imposante muraille composée de cinq portes. Le site est stratégique : l’édifice est bâti sur un éperon rocheux dominant un précipice, à l’extrémité de la ville, en utilisant les bases d’une ancienne forteresse byzantine. En 1133, la forteresse de Melfi est détruite sur ordre de Roger II de Sicile, afin qu’elle ne tombe pas entre les mains de rebelles. Fréderic II de Hohenstauffen ordonne la restauration du château et fait construire la « Torre dell’Imperatore » – la Tour de l’empereur. De nos jours, lorsque l’on observe cette imposante bâtisse, on peut encore déceler l’architecture romane importée par les Normands malgré les différentes restaurations opérées depuis le XVe siècle. Il semblerait que rien ne puisse effacer les traces de ces conquérants, malgré les siècles qui passent.

Anne-Sophie B. — Promotion Léonidas

Bibliographie

Sur Sykelgaite

  • Catherine Hervé-Commereuc, « La Calabre dans l’État normand d’Italie du Sud (XIe-XIIe siècles) », in Annales de Normandie, Année 1995, p. 3-25
  • Valerie Eads « Sichelgaita of Salerno : Amazon or Trophy wife ? », in The Journal of Medieval Military History, sd Kelly DeVries, Clifford J. Rogers, Boydell Press, 2005 -183p
  • Sophie Cassagnes-Brouquet, Chevaleresses, Une chevalerie au féminin, Ed. Perrin, Paris, 2013, p. 27-28

Sur Robert Guiscard et les Normands en Italie

Sur la chronique de l’Alexiade

Sur le château de Melfi

  • Anne-Marie Flambard Héricher, « Les châteaux du royaume de Sicile au temps de Frédéric II », p. 159-198 in FLAMBARD HÉRICHER, Anne-Marie (sd.). Frédéric II (1194-1250) et l’héritage normand de Sicile, Presses universitaires de Caen, 2001
  • italythisway.com