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La chasse en Suisse, délices d’automne

En Suisse, dès la mi-septembre, la chasse entre en scène sur les tables du pays. Des auberges de villages montagnards aux restaurants gastronomiques, les brigades sont aux fourneaux pour préparer de délicieux plats à base de chevreuils, de sangliers, de cerfs, mais aussi de chamois et parfois même de marmottes.

La chasse en Suisse, délices d’automne

Les portraits culinaires et gastronomiques d’Europe sont le reflet d’explorations sensorielles et enchanteresses ; une immersion active, à la rencontre de ceux qui façonnent nos traditions culinaires et transmettent leur savoir-faire. À travers cette série de portraits singuliers et enracinés, nous partageons notre vision intime d’une certaine identité gourmande de nos provinces.

L’automne, la saison du gibier

Lorsque vient l’automne, que les feuilles des arbres deviennent brunes, ocres et rouges, que les jours raccourcissent, et que les températures baissent, on apprécie se rassembler autour du feu de la cheminée. Tout semble alors ralentir et devenir douillet. Les couleurs chatoyantes de l’Automne invitent au partage et aux plats réconfortants.

Typiquement paysanne, montagnarde et roborative, la cuisine suisse est surtout connue pour ses plats traditionnels au fromage tels que la fondue ou la raclette. En effet, la nécessité de conserver la nourriture pendant les hivers longs et rudes a donné naissance à de multiples charcuteries et à quelque 150 variétés de fromages. Les traditions culinaires suisses proposent des plats rustiques et robustes, hérités du mode de vie paysan et de la rigueur du froid de l’hiver, à base d’ingrédients simples, locaux et de saison (champignons, poissons des lacs et rivières, volailles et gibiers…).

Aujourd’hui, la saison de la chasse est devenue l’un des moments forts du calendrier gastronomique suisse. Avec un enthousiasme intergénérationnel certain, la chasse est à contre-courant des tendances food actuelles comme le véganisme, le sans-lactose ou les intolérances au gluten. La chasse est un rendez-vous incontournable pour les Helvètes, qui apprécient se retrouver autour de délicieux plats de gibiers. On commence dès l’entrée par un velouté aux légumes de saison (potimarron, courge butternut, ou champignons) et terrines de lièvre par exemple. Puis nous continuons, au fil des arrivages et de l’ouverture des différentes chasses, par un civet de cerf, un mignon de sanglier ou encore un filet de biche sauce grand veneur. Les légumes de saison s’accordent à la perfection avec le gibier : la cuisine de chasse permet de sublimer les liens entre saison et terroir. Un véritable repas de chasse en Suisse s’accompagne forcément de spätzlis. Il s’agit de pâtes à base d’œufs et de farine. Il n’est pas rare non plus de trouver du chou rouge ou de Bruxelles ainsi que des marrons caramélisés dans la garnison automnale. Pour un accord salé/sucré, les plats de chasse s’accordent à merveille aux fruits de saison : pommes cuites, poires pochées au vin rouge et autres spécialités à la confiture d’airelles.

À travers ce menu automnal, le chef raconte la chasse, tandis que les techniques et savoir-faire de la gastronomie contemporaine subliment la subtilité et la finesse de la chair de gibier.

Le gibier, une viande saine

Le gibier de chasse est une viande saine et d’une qualité exceptionnelle. Elle contient notamment plus de protéines que les animaux d’élevage. La viande de chasse est pauvre en cholestérol, mais riche en oméga-3, vitamines (B5, B2) et en oligo-éléments (fer), grâce à l’alimentation variée et au mode de vie sauvage des animaux. De surcroît, elle est exempte de médicaments et autres hormones artificielles.

La chasse, ce sont également des connaissances indispensables pour mieux cuisiner le gibier. Dans son ouvrage “Gibier” [1], Bruno Doucet, chef cuisinier et chasseur engagé pour la valorisation du gibier sauvage, partage ses connaissances du gibier et de la chasse afin de sublimer les richesses de nos terroirs :

Gibier à plumes
  • Le perdreau et la perdrix. Peu calorique et moins grasse que le poulet, la perdrix est appréciée pour sa chair savoureuse. D’après Escoffier, dans son guide culinaire [2], les perdreaux gris de plaine surpassent en finesse les rouges. Les perdreaux, plus tendres et fondants, seront rôtis ou grillés. La perdrix, plus ferme, nécessite une cuisson plus longue, en ragoût ou en terrine.
  • La palombe ou le pigeon ramier. Riche en protéines et particulièrement pauvre en lipides, le jeune pigeon ramier peut-être rôti ou grillé tandis que les plus âgés pourront être confits ou accommodés en ragoût. L’oiseau âgé affiche un bec et des pattes rouges tandis que le jeune porte un bec gris bleuté et des pattes rose pâle.
  • Le faisan. Plus tendre, fine, savoureuse et moins sèche que celle du mâle, les amateurs prisent davantage la chair sombre de la faisane. Selon le guide culinaire d’Auguste Escoffier, “le faisan quand il est jeune a les pattes grises et l’extrémité du bréchet ainsi que le bec flexibles et tendres. Mais chez le faisan comme chez le perdreau, le signe infaillible de jeunesse se constate sur l’extrémité de la dernière grande plume de l’aile qui est pointue lorsque l’oiseau est jeune, et arrondie quand il est vieux.” Le faisan peut être rôti, quand il est jeune en l’arrosant régulièrement pour éviter le dessèchement, ou cuit à la cocotte.
  • La grouse d’Écosse. Les gastronomes sont friands de sa chair somptueuse, fine et savoureuse, parfumée par son alimentation des landes… Ses saveurs sont d’autant plus appréciées en début de saison. Un simple rôtissage rosé suffit.
  • La caille des blés. Il s’agit du plus petit gallinacé européen. Brillat-Savarin [3] la tient “parmi le gibier proprement dit, ce qu’il y a de plus mignon et de plus aimable” Espèce migratrice autrefois largement répandue, elle est aujourd’hui en déclin du fait d’une agriculture non-raisonnée. Afin de préserver la tendreté de sa chair délicate, la cuisson doit être menée doucement, sans agresser les tissus. Il est conseillé de l’arroser généreusement et régulièrement durant la cuisson.
  • La grive. Si les espèces chassées peuvent être consommées, elles sont néanmoins interdites à la vente. Mieux vaut être chasseur… La succulence de sa chair sera d’autant plus appréciée que l’oiseau aura grappillé des raisins qui l’auront parfumé. D’ailleurs, dans Néo-physiologie du goût [4], Grimod de la Reynière indique que “c’est au moment des vendanges que la grive atteint toute sa perfection dans les pays vignobles”.
  • La bécasse des bois et la bécassine des marais. Gibiers à plume très prisés, elles se cuisinent après une mortification de quelques jours. Les jeunes se dégustent rôtis, juste rosés. Les prises de ce gibier rare sont strictement réglementées, sa commercialisation est interdite.
  • L’oie sauvage. L’oie cendrée est l’ancêtre sauvage de notre oie domestique. Sa chair savoureuse sera d’autant plus appréciable que l’oiseau est jeune.
  • Le canard sauvage (colvert, souchet, siffleur, sarcelle d’été/d’hiver…). Il existe de nombreuses espèces de canards sauvages. Plus ferme, plus savoureuse et moins grasse que celle du canard domestique, la chair des espèces sauvages demande un arrosage fréquent lors de la cuisson. Les filets des jeunes constituent des morceaux de premier choix qui demandent une cuisson rosée.
Gibier à poil (petit gibier)
  • Le lapin de Garenne, gibier à poil très populaire, il s’agit de l’espèce ancêtre de tous les lapins domestiques. Plus ferme, plus foncée et plus goûteuse que la chair du lapin d’élevage, celle du lapin de garenne, fragile, doit être consommée rapidement. Les amateurs vouent une préférence pour un animal d’un an. Les morceaux de premier choix sont les cuisses qui demandent une cuisson rapide. Les civets, daubes et pâtés sont réservés aux lapins plus matures.
  • Le lièvre brun. La chair sombre, presque noire du lièvre cache une viande délicate. S’agissant des cuissons, un simple rôtissage, poêlage ou un gril suffisent aux morceaux de choix du levraut. Parmi les recettes du panthéon gastronomique, le lièvre à la royale occupe une place de choix.
Venaison (gros gibier)
  • Le cerf d’Europe. Le roi de la forêt. Présent sur nos tables depuis le Moyen-Age, le roi des gibiers offre une chair particulièrement fine, savoureuse et pauvre en graisses. D’un rouge profond tirant sur le grenat et d’une texture dense, les beaux morceaux de cette chair (la selle, la gigue) demandent une cuisson brève.
  • Le chevreuil d’Europe. Brillante et d’une couleur rouge profond, la viande de chevreuil est très appréciée pour sa finesse, sa saveur aux accents de noisette et sa tendreté. Les morceaux de premier choix (la selle, la gigue) ne demandent qu’un rôtissage, une saisie à la poêle ou une grillade, avec une cuisson saignante à rosé à cœur. On aura veillé à entreposer la viande à température ambiante au moins une demie-heure avec cuisson. La marinade préalable aux daubes et civets est réservée aux pièces les plus fermes, de même qu’aux animaux plus matures.
  • Le chamois des Alpes et Isard des Pyrénées. Au-delà de quatre ans, le goût fort et prononcé de ce gibier ne permet plus d’y prendre plaisir. De même, faut-il éviter de consommer à un mâle qui aurait été chassé de mi-novembre à mi-décembre, le rut transmettant une odeur puissante à leur chair.  Les morceaux de choix à rôtir, poêler ou griller sont constitués des carrés, noisettes et filets mignons.
  • Le mouflon méditerranéen. Les amateurs de ce gibier louvent la délicatesse parfumée de sa chair grasse, sans comparaison avec celle du bélier domestique. Afin d’éviter les saveurs trop puissantes, un dégraissage minutieux est nécessaire. La marinade de ce gibier est une étape incontournable.
  • Le sanglier. En Europe, le sanglier figure parmi les gibiers les plus répandus. Il peut être classifié comme nuisible, du fait des ravages causés sur les terres cultivées. La couleur de la chair du sanglier varie du rose soutenu au grenat foncé, selon l’alimentation de l’animal. Sa tendreté et sa délicatesse seront plus marquées chez le marcassin, mais la plus prisée des amateurs est la viande goûteuse des bêtes rousses (de 6 mois à 1 an). Comme chez le cochon, tout est bon dans le sanglier. Il peut être grillé entier. Les cuissots, carrés et filets seront rôtis.

Deux livres de référence sur le gibier à poil et à plume, par le chef franco-suisse, triplement étoilé,  Benoît Violier

Benoît Violier a été le premier chef à associer cuisine et chasse dans un même ouvrage. Le chef de Crissier a consacré une dizaine d’années à composer une vraie encyclopédie du gibier et de sa cuisine.

  • La cuisine du gibier à poil d’Europe, (Benoît Violier), éditions Favre.
  • La cuisine du gibier à plume d’Europe, (Benoît Violier), éditions Favre.

Ces ouvrages exceptionnels s’inscrivent dans la tradition de haute gastronomie, de recherche de l’excellence au quotidien. Il s’agit des deux premiers ouvrages qui rassemblent l’art de la cuisine et l’art de la chasse.

“Déguster la chasse”

Quelques bonnes adresses pour déguster la chasse cet automne :

  • Pinte Besson, Rue de l’Ale 4, 1003 Lausanne
    Pour découvrir cette tradition, on se retrouve dans l’un des restaurants typiques de Lausanne: la Pinte Besson. Maison fondée en 1780, le restaurant propose une cuisine terroir qui compte de délicieux produits d’automne. À peine entré dans ce bistrot, les sens sont en éveil : l’odeur de la fondue côtoie celle des plats de chasse.
  • Café-Restaurant de la Treille, rue du Rovra 6, 1893 Muraz/Collombey
    Un rendez-vous doublement gourmand. On y déguste une excellente chasse et on y savoure également le traditionnel repas valaisan : la brisolée. Intimement liée aux vendanges, la brisolée se déguste dès le début du mois d’octobre, elle se compose de châtaignes rôties que l’on sert avec plusieurs accompagnements : fromages d’alpage, viande séchée, fruits d’automne, pain de seigle, raisin fraîchement cueilli… La Treille mitonne la brisolée au feu de bois tous les soirs et sur réservation le midi. On la choisit traditionnelle ou royale avec de la charcuterie.

Marie Desvignes — Promotion Homère

Notes et références

  • [1] Bruno Doucet, Gibier.
  • [2] Auguste Escoffier, Le guide culinaire.
  • [3] Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût.
  • [4] Grimod de la Reynière, Néo-physiologie du goût.