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José Ortega y Gasset : Méditations sur la chasse

Ortega nous livre ici un véritable plaidoyer pour le rapprochement entre l’homme et son territoire.

José Ortega y Gasset : Méditations sur la chasse

Les éditions du Septentrion ont eu l’heureuse idée de republier en 2017 une traduction en français des Méditations sur la chasse du philosophe espagnol José Ortega y Gasset (1883-1955), dont la version originale, publiée en 1942, a été rédigée à la demande de son ami le comte de Yebes. Certes, le texte est relativement ancien. Certes, Ortega n’est pas connu pour être un grand chasseur et reconnaît lui-même ne chasser que très occasionnellement et en amateur. Cela n’enlève évidemment rien à la pertinence ni à l’actualité du propos, dont l’objet dépasse en lui-même toutes les époques. Contre toute forme de progressisme, il renvoie anachroniquement au souvenir paléolithique de l’humanité, dégagé des contraintes du présent, et il touche fondamentalement tous les hommes dans ce qu’ils ont de spécifiquement humain face à la nature sauvage et au monde animal.

Sous la plume d’Ortega, la chasse apparaît en effet simultanément comme un privilège et une limitation. C’est un privilège car elle constitue une forme de distraction au sens authentique du terme, une façon de forger son propre bonheur indépendamment du travail, luxueuse par essence, qui contribue, à travers la profondeur des âges, à éduquer et à former le caractère. Mais c’est également une limitation : dans la chasse sportive, l’homme renonce librement à la « suprématie » de son humanité. Il restreint ses capacités techniques pour « entrer dans la nature », conscient que l’homme et l’animal appartiennent à deux systèmes distincts, hiérarchiques, qui partagent ici une « égalité des chances ». Contrairement à la tauromachie, la chasse consiste à limiter la pression sur l’animal et à se mettre, avec tous les subterfuges que cela comporte, au même niveau que lui (comme une flèche qui pourrait être tirée de l’animal vers l’homme). C’est donc une série de réflexions profondes qui invitent à la contemplation et qui renforcent naturellement la position des chasseurs d’aujourd’hui, accablés par les lourdeurs administratives et par l’incompétence calomnieuse de leur détracteurs, qui souhaitent les contraindre à déposer définitivement les armes au nom de la superficialité du monde moderne.

Finalement, Ortega nous livre en effet ici un véritable plaidoyer pour le rapprochement entre l’homme et son territoire. Si le traducteur a souhaité conserver dans le texte l’expression « Yo soy yo y mi circunstancia » (je suis moi-même et je suis aussi mon environnement), il a voulu exprimer contextuellement toute la force des liens qui existent historiquement entre l’homme et la nature, liens qu’Ortega illustre magistralement en affirmant que c’est précisément quand l’homme exclut par lui-même les autres prédateurs de son territoire qu’il accomplit un acte fondateur constitutif de sa propre culture. C’est ce qu’il appelle le « privilège territorial ».

On notera par ailleurs l’excellence introduction à cette réédition (La chasse, maillon de la cohorte du vivant) par Louis-Gilles Francoeur, journaliste québécois spécialiste des questions écologiques et environnementales. Elle résume en quelques pages liminaires tous les arguments démontrant que face à ses opposants les plus idéologisés, la chasse reste une activité utile qui doit se pratiquer dans la plus grande sérénité : « Ceux qui perçoivent une incompatibilité fondamentale entre la chasse et l’écologie sont en retard d’une guerre, de la vraie, de celle qui menace vraiment la vie sous toutes ses formes. » Un sujet dont l’actualité n’est pas à démontrer.

Olivier Eichenlaub

José Ortega y Gasset, Méditations sur la chasse, Québec, éditions du Septentrion, 2017, 150 p.