Dominique Venner, un chasseur européen
Du jeune officier du djébel à l'homme mur, chasseur passionné, il a toujours veillé à ce que sa vie soit équitablement partagée entre l'action et la réflexion. Ce fut un honnête homme du XXème siècle.
Il y a maintenant 10 ans que Dominique Venner est parti rejoindre les chasses éternelles. C’est peu dire qu’il nous manque. Non seulement il fut l’un des meilleurs connaisseurs de la chasse et des armes mais, surtout, il a su nous faire comprendre que notre passion n’est pas anodine, qu’elle est l’expression de notre identité et que nos souvenirs individuels de chasse se fondent dans une mémoire collective.
Quand je dis que Venner fut un chasseur européen, je n’entends bien entendu pas l’Europe de Bruxelles, de la Commission et des bureaucrates hors-sol mais l’Europe réelle, celle de l’Iliade et de la table ronde, celle de Gaston Phébus et de Genevoix, celle dont Venner a célébré la permanence, celle qui, consciemment ou inconsciemment, est en nous malgré la propagande cherchant à faire de nous des nomades du “village global”. Sa vie et son œuvre sont entièrement marquées par ce sentiment d’appartenance et d’identité. « Je suis du pays de l’arbre et de la forêt, du chêne et du sanglier, de la vigne et des toits pentus, des chansons de geste et des contes de fées, du solstice d’hiver et de la Saint-Jean d’été, des enfants blonds et des regards clairs. » Dominique Venner est un de ceux qui nous invitent à arpenter les chemins de la longue mémoire de notre peuple.
Venner ne nous parle pas que de chasse, il nous dit surtout pourquoi nous chassons. Voila pourquoi il faut le lire et s’en faire un ami et un mentor.
« Avec ou sans arme, par la chasse, je fais retour à mes sources nécessaires : la forêt enchantée, le silence, le mystère du sang sauvage, l’ancien compagnonnage clanique. À mes yeux, la chasse n’est pas un sport. C’est un rituel nécessaire où chacun, prédateur ou proie, joue la partition que lui impose sa nature. Avec l’enfantement, la mort et les semailles, je crois que la chasse, si elle est vécue dans les règles, est le dernier rite primordial à échapper partiellement aux défigurations et manipulations mortelles de la modernité. »
Dominique Venner était un érudit mais pas un rat de bibliothèque. Il a su mettre sa vie en accord avec ses idées. Du jeune officier du djébel à l’homme mur, chasseur passionné, il a toujours veillé à ce que sa vie soit équitablement partagée entre l’action et la réflexion. Ce fut un honnête homme du XXème siècle. N’oublions pas qu’il fut couronné plusieurs fois par l’Académie française et lauréat du prix François Sommer.
Ce qui nous intéresse ici c’est le chasseur et l’incomparable connaisseur de notre passion qu’il est devenu. Si vous vous intéressez aux armes de chasse, certains de ses ouvrages sont indispensables dans votre bibliothèque : Histoire des armes de chasse (Jacques Grancher), L’Arme de chasse aujourd’hui (Jacques Grancher), et l’Encyclopédie des armes de chasse (Maloin). Cette encyclopédie, parue en 1997 est une somme encore inégalée aujourd’hui. Plus de 400 notices classées par ordre alphabétique et une organisation pratique des documents permettant de retrouver instantanément l’information recherchée. Une somme unique en son genre écrite dans un style clair et servie par une fabuleuse documentation photographique.
Mais s’il ne fallait retenir qu’un ouvrage de Venner à propos de la chasse, ce serait sans aucun doute son Dictionnaire amoureux de la chasse. Ce livre, plus que tous les autres qu’il a pu écrire sur la chasse, nous dit pourquoi la chasse est en nous et pourquoi elle fait partie de notre identité. Il dit lui-même que ce n’est pas un dictionnaire malgré le titre mais “un chant panthéiste dont la chasse est un prétexte”. Pour Venner, la chasse est d’abord et avant tout une manière de renouer avec nos origines et donc avec la forêt. Il dit dans une interview, « Pour moi, aller en forêt est beaucoup plus qu’un besoin physique, c’est une nécessité spirituelle. » C’est pourquoi Venner insiste beaucoup sur le lien qui unit chasseur et gibier, sur le respect que l’on doit à l’animal et à la nature qui nous offre ces moments d’émerveillement et de plénitude. Il est à l’opposé des chasseurs consommateurs, ceux qui considèrent que tout est à prendre sans compter, sans aimer. Il a d’ailleurs beaucoup écrit sur ce paradoxe, bien connu de tous les chasseurs, qui nous fait aimer les animaux que l’on chasse. Everyone kills what he loves disait Oscar Wilde. Venner en parle beaucoup et nous raconte les nombreuses fois où il a laissé l’animal passer. Ce n’est pas pour autant un adepte du no-kill. Il nous raconte une approche au brocard dans les Highlands et nous décrit les sentiments qui l’assaillent après son tir réussi :
« Tout s’est joué dans les règles par un acte qui est sa propre perfection, sans place pour l’erreur. […] Tout chasseur qui prend le risque de l’approche silencieuse le sait ou le découvre. […] Il en est comme pour l’acte d’amour. À un certain degré d’intensité, ne pas conclure serait un échec. »
Dominique Venner profite de cet ouvrage pour nous rappeler que la chasse ne peut se concevoir sans éthique et sans conscience. Il insiste sur le fait qu’elle doit être “vécue dans les règles” et nous rappelle que « C’est par la force qu’Artémis défend le royaume inviolable de la sauvagerie. Elle tue férocement les mortels qui, par leurs excès, mettent la nature en péril. Ainsi en fut-il de deux chasseurs enragés, Orion et Actéon. En l’outrageant, ils avaient transgressé les limites au-delà desquelles l’ordre du monde bascule dans le chaos. Le symbole n’a pas vieilli, bien au contraire. »
Denis Plat
Article initialement publié dans Chasses internationales n°30 (juin-juillet-août 2023)
Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur