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Comment se réapproprier notre identité (nos identités) ?

Intervention de Gérard Dussouy, géographe, professeur émérite à l’Université Montesquieu de Bordeaux, lors de la table ronde « Comment se réapproprier notre identité ? » au colloque « Fiers d’être Européens » le 7 avril 2018.

#ColloqueILIADE 2018 : Comment se réapproprier notre identité (nos identités) ?

La réponse à cette question apparait finalement assez simple. Mais c’est sa mise en œuvre qui est plus compliquée.

Tout réside, en effet, dans l’acte de se définir soi même, et de ne pas être défini par les autres (malgré la part d’intersubjectivité qui peut exister dans la définition d’une identité), ou pire encore de se résoudre à voir son identité prescrite par une instance transcendantale qui porterait le nom d’Humanité. Car en matière d’identité, comme dans tous les autres champs des sciences sociales et politiques, il n’y a pas de vérité ; il n’y a que des représentations. Ce sont les hommes eux-mêmes, qui conscients de ce qu’ils sont, forgent leurs identités à travers les épreuves du temps, et en fonction de leur naissance et de leurs lieux de vie.

On peut donc dire que l’identité s’éprouve comme conscience et s’affirme comme volonté, et que c’est instruits de cela que nous pouvons croire soit à une réappropriation (si la situation est aussi grave que ce terme le laisse entendre) soit à la défense de nos identités européennes.

L’identité comme conscience

L’identité, c’est d’abord la conscience d’où l’on vient, et pour un groupement humain d’un passé commun. Concernant les identités nationales et régionales européennes, le sociologue anglais Anthony Smith explique que pour une grande majorité d’entre elles (la France est la seule grande exception), elles se sont constituées à partir d’un substrat ethnique et d’un mythomoteur, c’est-à-dire d’un complexe de symboles et de valeurs partagés (six dont : un nom commun, une mémoire collective, une association avec un territoire). Dans le cas de la France, on peut dire que l’identité d’origine, pluriethnique et historique, a été assujettie par l’identité idéologique de la révolution, celle de la république universelle, ouverte à tous. Ce qui crée une distorsion très grande en matière de définition de la citoyenneté par rapport aux autres Etats européens (droit du sol contre droit du sang). Et ce qui peut conduire à une autodissolution de l’identité d’origine.

Car l’identité n’est pas figée, et jamais définitivement acquise. Elle reçoit l’empreinte des contextes historiques traversés, des épreuves surmontées, des dominations subies, des emprunts effectués. Surtout, qu’elle soit celle d’une civilisation, celle d’une nation, ou celle d’une collectivité plus restreinte, elle n’est ni intangible, ni immortelle. C’est la raison pour laquelle, la conscience du présent et du changement mondial qui le caractérise est une condition nécessaire à sa survie, à sa continuité.

Au cœur du changement contemporain, s’active un phénomène d’ordre idéologique et culturel, à double face, qui menace les identités européennes d’origine. Sur la face occidentale, l’universalisme, dans sa version moderne et radicale de l’humanitarisme, a jeté le discrédit sur l’Occident lui-même et l’a précipité dans la repentance. Rendu opératoire (en ce sens qu’il n’est plus purement verbal) par les forces matérielles de la mondialisation, il va jusqu’à contester aux Européens leur droit à conserver leurs différences et donc à exister. Sur l’autre face, celle du monde non occidental, sourdent ou émergent de nouveaux hégémonismes, du côté de la Chine et de l’Islam en particulier, qui, d’une part mettent en pleine lumière la naïveté ou l’arrogance de ceux qui en Occident ont pensé, ou imaginent encore, convertir tous les peuples de la terre à leurs valeurs, et qui d’autre part, et bien plus, pourraient être en capacité dans l’avenir d’imposer leurs normes bien au-delà de leurs espaces de civilisation.

La conscience de que l’on a été, de ce que l’on est, et de ce que l’on peut ou veut devenir, implique donc une adaptation aux circonstances qui pour ce qui concerne les Européens, en matière d’identité, les oblige à privilégier tout ce qu’ils ont en commun sur tout ce qui les sépare. Autrement dit, sans renoncer à leurs identités multiples, toutes menacées d’effacement ou d’assujettissement, à plus ou moins long terme, si l’évolution que connaît le continent se poursuit, les Européens doivent se convaincre que pour continuer d’exister en tant que tels face au reste du monde, il leur faut lui paraître être UN. Il leur faut disposer, en plus de leur identité originelle, d’une identité qui la recouvre et la protège, européenne cela va de soi.

L’identité comme volonté

Cette identité européenne ne peut être autre chose que le fruit de la volonté des peuples européens, à la suite de la prise de conscience du changement mondial évoqué ici. La volonté de demeurer eux-mêmes et de conserver leurs valeurs et leurs traditions. Mais pour cela, de les défendre en commun, en acceptant les adaptations institutionnelles nécessaires, car la survivance, ou la non soumission, est aussi une affaire de puissance. Une affaire de volonté de puissance en surpassant les cadres et les clivages traditionnels.

L’identité européenne se conçoit, dans cette optique, comme l’agglutination volontaire de toutes les identités nationales et régionales à partir du même soubassement humain et civilisationnel. Elles s’agrègent et s’interpénètrent, sans disparaître, autour d’un même poteau indicateur qui leur signale leur communauté d’avenir. Car, il ne faut plus se leurrer, le cycle des Etats-nation européens touche à sa fin.

L’Occident ne maîtrise plus la géopolitique mondiale. Au contraire, commence l’ère de la géopolitique post-occidentale, centrée sur Pékin, qui pourrait bien être celle de l’orientalisation du monde. De manière ouverte, la Chine du nouvel empereur Xi Jinping, qui n’hésite pas à célébrer les valeurs chinoises traditionnelles et à dénigrer celles de l’Ouest, entend succéder à la longue hégémonie occidentale. Sauf un drame interne qui la briserait, la dialectique de la puissance lui rend tout possible.

A l’inverse, la conscience de l’impuissance des Etats européens, qui sont structurellement dépassés face à la mobilisation d’énergies titanesques en Asie et ailleurs dans le monde, et la volonté de remédier à cet état de choses, pour peu qu’elle trouve des hommes pour la porter et l’exprimer, sont à même de constituer ensemble l’acte fondateur de l’identité européenne.

Faudra-t-il pour cela attendre que soufflent les vents mauvais de l’histoire et, avec eux, que les crises se multiplient ? Tout laisse présager le chaos, tant les gouvernements européens en place apparaissent incapables de mettre en cause les politiques qu’ils mènent depuis des années. Néanmoins, des signes existent d’une volonté de non-résignation et de redressement. Mais ce potentiel doit être mobilisé et surtout organisé.

Créer la dynamique européenne identitaire

Le potentiel en question réside dans les forces populaires protestataires qui s’expriment à l’occasion des différents scrutins européens de ces derniers mois, encore tout récemment en Italie, et depuis ces dernières années. En dépit des impasses dans lesquelles s’enferment leurs représentants, consécutivement à leurs analyses fausses ou tronquées de la réalité, à leurs représentations obsolètes du monde. Parmi ces forces, le renouveau dépendra des groupes qui auront pris la mesure des contraintes extérieures, celles qui pèsent sur tous les pays du continent, et qui en auront déduit une conscience européenne et politique (au sens presque d’une conscience de classe, tant celle-ci peut les opposer à ceux qui les dirigent). Il faut saisir que tout l’enjeu est de mettre en place une alternative continentale de reconquête, de lancer une dynamique européenne identitaire, en fédérant groupes et individus autour d’un projet commun d’autonomie et de puissance.

Et cela pour deux bonnes raisons. D’une part, pour signifier un changement de comportement politique, de celui qui va dans le sens de la responsabilité, de celui de la compréhension du monde. D’autre part, pour gagner de la confiance en soi et de la crédibilité dans l’opinion publique. En effet, l’ère de la déploration, de la contestation, de la litanie des retours en arrière, toujours espérés mais contreproductifs (Brexit), doit faire place à celle des propositions audacieuses en matière de politiques communautaires et d’innovations politiques (tel l’Etat européen, selon notre propre conviction) pour surmonter la mondialisation qui est un fait accompli. En outre, il est clair que les revendications particularistes, avec parfois des sonorités xénophobes, et que les divisions de toutes natures, sont la cause d’une faiblesse rédhibitoire des mouvements populistes qui ne peut que rassurer les pouvoirs en place (même s’ils font mine du contraire). Alors, qu’à l’inverse, l’émergence d’un rassemblement identitaire européen serait pour eux la pire des nouvelles, car cela changerait complètement la donne politique en Europe. Surtout, dès lors que ce dernier s’affirmerait porteur des demandes d’une grande majorité d’Européens sur des sujets tels que l’immigration, la protection de l’emploi, la défense monétaire et commerciale, voir, pour certains groupes nationaux, la restauration de la puissance publique.

Afin que la dynamique européenne identitaire prenne son envol, une synergie d’acteurs est souhaitable. Parmi eux, il n’est pas utopique d’inclure des Etats ou des gouvernements, trop faibles par eux-mêmes ou trop isolés pour réorienter le cours de l’histoire européenne. C’est-à-dire pour changer de l’intérieur l’Union européenne, mais dont certaines initiatives trouveraient sans aucun doute un grand écho dans l’opinion publique européenne s’ils pouvaient y disposer de relais (on pourrait ici discuter de celles du Groupe de Višegrad).

L’opinion publique a grandement besoin d’être éclairée tant sur la réalité européenne que sur les défis à venir. Nul ne doute que si cela pouvait se faire, cela contribuerait à la réappropriation par les Européens de leur identité et de leur destin, car les deux vont de pair. Malgré des obstacles d’ordre matériel (le vieillissement des populations) et d’ordre mental (l’idéologie délétère post 68 toujours prégnante, au moins dans la partie ouest du continent), qu’il ne faut pas sous-estimer.

Dans la perspective de la reconquête de l’opinion, fondée non pas sur le ressentiment ou la récrimination, mais sur l’innovation et la concertation politiques, car il s’agit d’aller de l’avant et de créer les conditions d’un avenir solide, il serait opportun, parmi d’autres initiatives, qu’un projet européen identitaire soit proposé aux électeurs, en 2019, lors du renouvellement du Parlement européen, et porté par une liste transnationale ou, ce qui va de soi, paneuropéenne. A l’instar d’ailleurs des libéraux qui, en avance sur ce point sur tous les autres partis, ont pris à leur compte la demande du président Macron. Mais les vrais Européens ont tout à gagner d’une comparaison avec ceux qui ont une conception strictement utilitariste de l’Europe, comme avec tous les autres qui ne vont vers elle qu’à reculons. Le combat électoral, si l’on en fait un combat d’idées, et cela en serait le cas, est un moyen d’affirmer son identité, en la définissant soi même. Et il a plus de chances d’être gagnant s’il relève d’une dynamique identitaire communautaire que s’il est orienté vers le repli.

Gérard Dussouy

Crédit photo : © Institut ILIADE

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