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Une éthique de la volonté pour la jeunesse

Intervention de Solenn Marty pour la journée d’hommage à Dominique Venner interdite par la préfecture de police, Paris, dimanche 21 mai 2023.

Une éthique de la volonté pour la jeunesse

« La jeunesse est faite pour l’héroïsme. C’est vrai, il faut de l’héroïsme à un jeune homme pour résister aux tentations qui l’entourent, pour croire tout seul à une doctrine méprisée, pour oser faire face sans reculer, pour résister à sa famille et à ses amis, pour être fidèle contre tous. Ne croyez pas que vous serez diminué, vous serez au contraire merveilleusement augmenté. C’est par la vertu que l’on est un homme. »[1]

Paul Claudel avait environ 40 ans lorsqu’il écrivait ceci, mais il aurait pu en avoir davantage…ou moins. Car la question n’est pas là. Si la jeunesse est un état d’esprit, celle que nous dessine l’auteur de ces lignes est volontaire, éternelle, passionnée, engagée. Elle est de tous les temps et de tous les âges. Elle est amour du danger, de l’aventure et de l’inconfort…en un mot, elle est vivante. Ne faut-il pas se blesser au épines de sa jeunesse pour en savourer le parfum ?

Dominique Venner a été un activiste, un militant, un historien méditatif – pour reprendre cette expression qui lui était chère – mais s’il fallait résumer l’homme en deux mots, on pourrait dire qu’il a été, tout au long de sa vie, un esprit jeune. Il est de ceux qui tels Huguenin, Moeller ou Drieu, refusent de guérir de leur jeunesse ; et décident d’y être éternellement fidèles.

***

Mais qu’est-ce qu’être jeune ? Être jeune, c’est avoir vingt ans, certes. Et encore ! On peut avoir l’esprit vieux à vingt ans… C’est triste mais c’est possible. Être jeune, c’est surtout être fidèle à ses vingt ans, fidèle aux idéaux de sa jeunesse, refuser la renonciation, refuser encore plus de la camoufler sous les noms de sagesse, de mesure, d’adoucissement et de raison. C’est vivre comme on pense, pour ne pas penser comme on vit.

Car la jeunesse, comme le disait le général Mac Arthur, est avant tout

« un effet de la volonté, une qualité de l’imagination, […] une victoire du courage sur la timidité, du goût de l’aventure sur l’amour du confort. Et On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années : on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. »[2]

Au-delà de l’esprit du temps, au-delà des embûches et des vents contraires, s’il est un message pour la jeunesse, ce doit être un message de volonté. Jean-René Huguenin disait que « Seuls les hommes de volonté résisteront à la civilisation moderne. » Alors s’il doit en être ainsi, que notre vie entière soit un plaidoyer pour la force et le mouvement ! Un plaidoyer pour la vie, un plaidoyer pour « plus de vie », un mouvement d’aspiration à plus que soi – en tant qu’hommes, en tant que femmes, en tant que peuples.

Gardons toujours à l’esprit que « Plus est en nous », et que ce sont les minorités agissantes qui font l’histoire. Refusons donc l’esprit du temps et le fatalisme de nostalgiques aigris. Il n’y a pas plus de sens de l’histoire que de destin imposé. Le temps est une perspective, le passé une dimension… à nous de nous en saisir pour faire surgir l’imprévu, afin que s’ouvre de nouveau l’histoire. Notre objectif, ce n’est pas de bâtir des musées européens, qui feraient l’étalage de ce que nous avons perdu. Il n’est pas non plus de revenir à un passé fantasmé. Il n’est pas de vénérer des cendres, mais d’allumer des feux, de transmettre une flamme. En réalité, la question n’est pas de savoir si c’était mieux avant mais plutôt de s’atteler à ce que demain soit plus beau. Nous sommes la jeunesse du monde, celle qui s’engage et celle qui s’enflamme, celle qui croit en l’avenir et qui entend bien le construire. Il convient donc de rejoindre le constat suivant :

« Nous sommes aujourd’hui face à l’éventualité d’une infinité de destins […]. Personne ne nous dit pour quel destin nous sommes nés. […] On doit bien pouvoir lire quelque part dans l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes ce qu’il va advenir de nous […]. Ce ne saurait être que là où le destin rencontre les hommes, là où le présent rencontre ceux qui triomphent de lui, là où l’avenir rencontre ceux qui lui ouvrent la voie. »[3]

Si l’avenir est à qui le prendra, il est aussi à ceux qui choisiront de le construire, d’y vivre, de s’y forger un destin, avec toujours l’intime conviction qu’aucun déterminisme, aucune fatalité, aucune norme ne saurait les arrêter dans cette pulsion de vie, qui fait ce qu’Hélie Denoix de Saint-Marc nommait dans sa Lettre à un jeune de vingt ans, « l’honneur de vivre ».

Être et durer, transmettre et créer, choisir, aimer, agir… Telle est l’aspiration de cette jeunesse que nous voulons incarner, jeunesse qui embrasse et embrase la vie, n’ayant de limites que celles qu’elle se fixe. Nous voulons être une jeunesse de pureté, de combats et de passion. Nous voulons chérir la vie, les étoiles, les flammes, les bosquets en fleurs et l’écho de la mer quand elle vient se déchirer au pied des falaises.

Car renouer avec sa jeunesse, c’est renouer avec le sens, le sacré, l’exaltation du monde ; renouer avec tout ce qui est grand, tout ce qui est beau, tout ce qui est noble. C’est choisir le fer et le feu, maintenir la flamme et embraser le monde.

La vertu de la jeunesse, ce n’est pas de changer le monde : le changement peut être recul, il n’est pas toujours élévation, pas toujours dépassement ni construction. La vertu de la jeunesse, c’est de savoir qu’elle a le pouvoir de changer le monde. Le pouvoir de choisir une voie, de s’imposer un destin, de s’inscrire dans un perpétuel renouveau afin de sauvegarder ses « richesses éternelles »[4], son souffle, sa vie, l’identité de son peuple qui est à la fois héritage et devenir. La jeunesse, c’est une disposition du corps et de l’esprit.

« Nous devons être jeunes et nouveaux, non parce que l’être est mouvement, mais parce que la durée matérielle momifie, et qu’il n’est qu’un moyen de rester purs, de bonne grâce, frais et féconds, qui est de renaître toujours. » [5]

Éprise de volonté, la jeunesse est à la fois éternité, vie et destin. Cette jeunesse, telle que l’incarne Dominique Venner, est avant tout un être au monde, un rapport à la vie, à la mort, à l’amour, à ce qui fait de nous des hommes, des femmes, des Européens fiers de ce qu’ils sont et aptes à agir sur ce qu’ils seront.

Le 21 mai 2013, par sa mort volontaire à Notre-Dame, Dominique Venner signifiait non seulement son refus de l’esprit du temps et son pouvoir sur l’existence, mais surtout, il s’adressait à la jeunesse, à une nouvelle jeunesse, prête à jaillir de ce peuple en dormition qu’est le nôtre. Il n’a pas conçu son geste comme une renonciation mais comme une fondation, comme un germe, une « provocation à l’espérance et à l’émeute ». Emeute intellectuelle et morale, conçue comme une « insurrection éthique et esthétique, contre le risque d’effacement de notre civilisation ». Dans une sorte de « chaos-naissance », Dominique Venner a prononcé un appel à l’action, un appel à la force, au pouvoir de la volonté, à la passion et à la vie. Un appel à la rébellion face à la grisaille de l’époque. Revenant sur son engagement de jeunesse dans le Cœur rebelle, Dominique Venner écrit ainsi :

« Comment peut-on être rebelle aujourd’hui ? Je me demande surtout comment on pourrait ne pas l’être ! Exister, c’est combattre ce qui me nie. Être rebelle, ce n’est pas collectionner des livres impies, rêver de complots fantasmagoriques ou de maquis dans les Cévennes. C’est être à soi-même sa propre norme. S’en tenir à soi quoi qu’il en coûte. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre tout le monde à dos que se mettre à plat ventre. Pratiquer aussi en corsaire et sans vergogne le droit de prise. Piller dans l’époque tout ce que l’on peut convertir à sa norme, sans s’arrêter sur les apparences. Dans les revers, ne jamais se poser la question de l’inutilité d’un combat perdu. »

Aujourd’hui, être rebelle, c’est être fidèle, fidèle à nos enfants, fidèle à nos pères qui ont construit et nous ont légué ce monde, fidèles à nous-mêmes et à l’image que nous nous faisons de nous. Nous sommes donc rebelles par fidélité, par liberté – liberté qui se prend et jamais ne se demande – .

***

En prônant cet idéal aristocratique, il s’agit bien d’affirmer qu’éthique et esthétique ne font qu’un : cohérence du corps, de l’âme et de l’esprit…au service de valeurs immuables que sont l’honneur, le courage, la force et la fidélité…transposables aussi bien au masculin qu’au féminin. Finalement, c’est le fondement du comportement des vieux Romains qui ressurgit en nous : gravitas, virtus, dignitas.

Dominique Venner appelle ainsi à une éthique de la tenue qui se manifeste au quotidien, dans tous les combats de l’existence. Combats qui ne se déroulent pas uniquement sur les champs de batailles… Puisque la lutte est de toute façon inhérente à la vie ; elle est cette « nécessité intérieure » qui pousse à l’action. Peut-être sait-on qu’on a vieilli quand on n’éprouve plus cette nécessité…

Centrale, la notion d’éthique traduit ainsi avant tout une attitude devant la vie – bien plus importante pour connaître la valeur d’un homme que les idées qu’il professe –. Attitude qui est au fondement du politique puisqu’elle permet de savoir qui je suis pour combattre ce qui me nie. Or combattre ce qui me nie, c’est combattre certes un ennemi extérieur mais c’est aussi – et bien souvent – combattre un ennemi intérieur. C’est nourrir – chaque jour et à chaque instant – une identité, une tradition qui meurt si on ne la maintient pas, si on ne la transmet pas. Comme l’écrit Armand Berger[6] :

« La tradition tient du choix : la transmettre, assurer sa relève et maintenir le patrimoine vivant, ou bien la laisser disparaître dans le nihilisme. S’il n’y a plus de tradition, nous renonçons à ce que nous sommes et nous laissons le champ libre à toutes les dérives que le monde engendre au quotidien ».

On en revient là au point central : celui de la volonté, qui fait de nous les maîtres d’un avenir dont nous sommes les bâtisseurs. Bâtisseurs de « citadelles intérieures » et demain de nouvelles cathédrales. Car il n’y a jamais de hasard, seulement des « forces en marche »[7].

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Dans une perspective toujours européenne, face aux affres et aux contradictions internes d’un monde occidental à l’agonie, il a été question aujourd’hui de tradition, d’histoire, de mythe, d’esthétique, de recours aux forêts, d’inconfort et de nécessaire révolution conservatrice. En somme, il a été question de vie, d’essence, de jeunesse et d’identité…ingrédients nécessaires à la poursuite d’un destin, destin choisi et assumé, inconfortable et souvent décrié. Beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneurs, disaient nos Anciens.

Mais surtout, c’est un élan vital pour qui garde en tête que nous sommes la jeunesse du monde et que notre volonté trouve ici sa parfaite synthèse :

« Être à soi-même sa propre norme, par fidélité à une norme supérieure ».

Solenn Marty

Notes

  • [1] Paul Claudel, Lettre à Jacques Rivière, in Correspondance de Jacques Rivière et Paul Claudel (1907 – 1914), éditions Plon, 1926
  • [2] Général Douglas MacArthur, Être jeune, 1945
  • [3] Arthur Moeller von den Bruck, La révolution des peuples jeunes, recueil de textes écrits entre 1916 et 1923, trad. Jean-Paul Allard, éditions Pardès, 1993
  • [4] Emmanuel Mounier, « Pour une réhabilitation de la communauté », in Krisis n°16, juin 1994
  • [5] Emmanuel Mounier, « Pour une réhabilitation de la communauté », in Krisis n°16, juin 1994
  • [6] Armand Berger, Tolkien, l’Europe et la Tradition, coll. Longue Mémoire, La Nouvelle Librairie, 2022.
  • [7] Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, éditions Gallimard, 1948
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