Un regard territorial sur la biodiversité
Ce texte de Rémy Martin, suivi d'une recension de Jérôme Régnault, a été publié dans le numéro spécial de la revue Livr'Arbitres, à l'occasion du VIIe colloque de l'Institut Iliade "La nature comme socle, pour une écologie à l’endroit" le 19 septembre 2020.
Nul ne saurait actuellement contester la prédominance du sujet environnemental. Les enseignements des élections municipales françaises en juin dernier ont mis en exergue le besoin de composer avec l’impératif écologique, qu’il soit vécu, surjoué ou encore exploité. Au premier plan de ces considérations liées à l’environnement figure la biodiversité, souvent utilisée à tort dans une logique purement « marketing » et in fine politicienne.
Comme le précisent Christian Lévêque et Jean-Claude Mounolou dans leur ouvrage Biodiversité – Dynamique biologique et conservation, il conviendrait plutôt d’employer le terme de « biocomplexité » pour désigner « tous les types d’organismes, des microbes aux humains, tous les milieux qui vont des régions polaires aux forêts tempérées et aux zones agricoles, et tous les usages qu’en font les sociétés. Elle est caractérisée par (…) une appréhension du système vivant dans son ensemble et non par morceaux par morceaux. » Loin de nous soumettre à une terminologie déformée, nous emploierons ici par commodité le mot de « biodiversité » pour désigner l’ensemble des rapports qu’entretient l’homme avec la nature et aux mécanismes qui régissent les interactions de tout ordre entre les deux.
Cela n’échappera à personne, il est aujourd’hui inutile de contester la dégradation constante de la biodiversité. Nos décideurs font mine de tirer la sonnette d’alarme, d’engager des plans de « reconquête écologique » et de placer le « vert » au centre des politiques publiques mais des contradictions s’affrontent sans cesse entre leurs intentions et leurs actes. Abandonné depuis novembre 2019 sous la pression de divers acteurs associatifs et politiques, le projet d’Europacity, initialement validé par l’État, en était une parfaite illustration : perte d’espace pour la biodiversité et atteinte à 3,5 hectares de zones humides, disparition du paysage agricole sur 260 ha de terres cultivables, augmentation des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, risque de rechargement insuffisant de la nappe souterraine à cause de l’urbanisation, risque d’apparition d’un îlot de chaleur urbain…
Même si certains cas reposent parfois sur des spécificités locales, les acteurs territoriaux auraient tout intérêt à prendre en compte ces quelques paramètres parmi tant d’autres pour tenter d’endiguer le déclin de la biodiversité dans notre pays :
- Remettre la nature au centre de nos terres. Dans une France de plus en plus urbanisée, la végétalisation sur nos territoires est une priorité afin de combler la diminution constante du nombre d’espèces, en particulier les vertébrés. Cette démarche est élémentaire puisque la destruction de centaines d’hectares d’espaces naturels mène logiquement à l’imperméabilisation des sols. Rappelons que la biodiversité se perd et disparaît d’abord par la destruction des sols, et en premier lieu des sols agricoles.
- Mieux combiner énergies renouvelables et biodiversité. Les impacts des énergies renouvelables sur la biodiversité sont nombreux, tant négativement que positivement. Afin de ne pas écarter la préservation de la biodiversité, en particulier au sein des Parcs Naturels Régionaux (PNR), il est nécessaire de tout mettre en œuvre pour bien la concilier avec les énergies renouvelables récemment mises en place. La biodiversité doit avoir une place centrale dans la politique énergétique des PNR et on retrouve plusieurs bienfaits à cette combinaison à travers les différentes énergies : fourniture de zones de couverture ou d’habitat et d’alimentation pour certains animaux (énergie solaire), constitution de territoires favorables pour certaines espèces terrestres en raison de la réduction du trafic, de la disponibilité en ressources alimentaires et de la réduction de prédateurs (énergie éolienne terrestre), création de nouveaux habitats ou de nouveaux écosystèmes (énergie hydraulique), fourniture d’habitat, alimentation et autres services écosystémiques de soutien par certaines surfaces recouvertes de plantes énergétiques (bioénergie)…
- Abandonner le bétonnage. Chaque année, le bétonnage induit par le développement de projets d’activités commerciales représenterait dans notre pays plus de 100 millions de tonnes de CO2 émises, soit près de 20 % de toutes les émissions nationales. Ce phénomène détruit entre 50 000 et 100 000 hectares de terres et d’espaces agricoles en France. Les sols artificialisés, c’est-à-dire qui ont perdu leur état naturel, recouvrent 9,3 % du territoire (en métropole) en augmentant de près de 70 % en 30 ans, soit beaucoup plus vite que la population. Entre 2006 et 2014, l’artificialisation s’est faite pour deux tiers à leurs dépens. Cela affecte massivement la biodiversité et tout particulièrement les espèces animales pour qui les cycles sont alors déréglés du fait du nouvel environnement dans lequel elles avaient autrefois l’habitude de prospérer.
- Pérenniser et développer la richesse du patrimoine naturel et plus spécifiquement des milieux forestiers. La préservation de ces espèces est une nécessité absolue quand on remarque que ces dernières ont tendance à diminuer en matière d’effectifs. Les acteurs directs de la biodiversité au quotidien ont ainsi tout intérêt à être directement soutenus, et plus spécialement les agriculteurs qui sont en première ligne. Ce sont eux qu’il faut épauler massivement, notamment dans l’accompagnement des techniques culturales simplifiées et l’abandon de l’usage des produits phytosanitaires, dans le financement de programmes d’aménagements des espaces intermédiaires mais aussi dans les formations et programmes des lycées agricoles.
En quelques mots, favoriser la nature en ville, régénérer les milieux agricoles, exploiter sainement les espaces forestiers, restaurer les milieux aquatiques et humides, entretenir la sauvegarde de la faune et la flore et protéger le patrimoine naturel… C’est finalement répondre à la formule du grand ornithologue français Jean Dorst pour qui « le maintien de la diversité de la nature et des espèces est la première loi de l’écologie » qu’encourager les individus à retisser le lien unissant l’homme et la nature. Ces considérations peuvent paraître abstraites à défaut d’être concrètes, mais elles sont fondamentales dans le processus de compréhension globale des enjeux de biodiversité. Car on le sait trop bien : l’étendue de la pollution, le déclin des espèces vivantes, la dégradation des terres, la détérioration de la santé et tant d’autres encore nous rappellent qu’il n’y a pas d’un côté l’homme et de l’autre la nature.
Rémy Martin
Source : Livr’Arbitres, numéro spécial “La nature comme socle”, septembre 2020
Le champ du partisan
Le monde agricole est dans une spirale infernale : suicides, exode rural, maladies professionnelles liées aux pesticides, précarité extrême… bref un portrait qui n’est point exagéré mais malheureusement on ne peut plus réaliste. Pourtant le paysannat est tout d’abord une fonction anthropologique, celle de l’individu ancré dans sa terre, qui va produire l’ensemble des ressources nécessaires à la survie du groupe, et dont l’activité témoigne d’une approche holistique.
Jean Christophe Lebon dans son dernier ouvrage Pour une Agriculture Rebelle, nous offre un panorama sans concession sur l’évolution de l’agriculture, de ses conséquences sur notre alimentation, véritable poison agro-alimentaire, l’épuisement des sols et ressources. Son opus synthétise à merveille toutes ces questions dont les transformations profondes sont liées aux cinquante dernières années. Lebon nous rappelle que le sort des agriculteurs est entre les mains de l’oligarchie financière (Rockefeller en tête…). Par un travail incessant de lobbying, corruption et traités commerciaux iniques (ALENA, TTP …), l’élite financière a piraté le monde agricole pour le transformer en une industrie où polluants, gaspillages et injustice sociale sont légions. Sursubventionné, l’agriculture des USA impose sa loi et ses normes via tout un ensemble d’organismes internationaux (OMC au premier lieu), mais Lebon rappelle justement que les premières victimes sont les agriculteurs américains eux-mêmes.
Loin d’être uniquement un constat exhaustif et accablant, l’essai de Lebon présente des alternatives aux techniques industrielles où gabegie et rentabilité sont les mètres étalons. Aussi bien sur le plan structurel (aquaponie, agriculture biodynamique) mais aussi pour tout citoyen même urbain qui souhaite décrocher de cette ingénierie mortifère (dynamiser son eau, équilibrer son alimentation, repenser son rapport aux soins, à la maladie…), bref les béotiens désireux d’avoir un aperçu d’ensemble sur ces questions essentielles – et même d’ordre civilisationnel, osons le mot – l’opus de Lebon est plus que salutaire.
Jérôme Régnault
Jean-Christophe Lebon, Pour une Agriculture rebelle, Éditions Retour aux sources, 2020