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Le Guide marketing du dissident d’Hubert Calmettes

L'ouvrage est né d'un constat : le dissident, logique dans sa démarche, a tendance à vouloir convaincre par la raison en oubliant de se focaliser sur l'aspect sensitif et émotionnel : il lui faut donc aussi apprendre à persuader.

Le Guide marketing du dissident d’Hubert Calmettes

Le Guide marketing du dissident aux Éditions de La Nouvelle Librairie est aussi bien un essai qu’un manuel. Il s’agit à la fois d’une réflexion de fond sur l’association de deux termes a priori contradictoires, et à la fois d’une introduction plus pratique aux outils marketing à l’usage du dissident dans sa quête d’essaimage de ses idées.

Son auteur Hubert Calmettes est spécialiste du marketing de l’offre (notion fondamentale explicitée ci-dessous), enseignant dans le supérieur et contributeur de Polémia ainsi que de la revue Éléments. Il a participé à l’édition 2023 du colloque de l’Institut Iliade. Son intervention originale dans laquelle il invite l’audience à s’imaginer en 2028 et lui parle depuis ce futur, est d’ailleurs disponible en ligne : elle reprend en grande partie les éléments (sourcés et chiffrés) concernant le niveau inquiétant, dans la population occidentale, d’addiction à la consommation et aux écrans. Cette thématique est par ailleurs développée dans le présent ouvrage aux chapitres « Comprendre “l’addictature” et les armes du Système » et « Sevrage et réancrage ».

Objectifs de l’ouvrage

L’ouvrage est né d’un constat : le dissident, logique dans sa démarche, a tendance à vouloir convaincre par la raison en oubliant de se focaliser sur l’aspect sensitif et émotionnel : il lui faut donc aussi apprendre à persuader.

Le « Système », que l’auteur envisage comme « économico-psychologique » et qui rend addict à la consommation pour vendre, a, de son côté, développé un processus efficient pour persuader : le marketing. Pour faire connaître et apprécier une vision du monde dissidente, Hubert Calmettes invite le dissident à se saisir de cet outil en considérant qu’il est, comme n’importe quel outil, dénué de présupposé idéologique. Il s’agit d’être « dans le Système sans être du Système » (ou être « dans le monde sans être de ce monde »).

C’est donc une position assez pragmatique qui est défendue : face aux échecs répétés, électoraux mais aussi métapolitiques, se professionnaliser.

Comprendre « l’addictature » et les armes du Système

Le premier chapitre décrit et théorise l’environnement dans lequel le dissident marketeur va évoluer.

« L’être humain s’est fortement polarisé ces dernières décennies sur sa propension à polluer son environnement, beaucoup moins sur les pollutions mentales qui l’affectent. »

En plus des données factuelles sur l’état cataclysmique de dépendance aux écrans (reprises dans l’intervention du colloque 2023), Hubert Calmettes propose le concept intéressant d’addictature (dictature de l’addiction) qui décrit la tyrannie de l’image et de la conso-dépendance dont la réalité première est psychologique et physiologique avant d’être économique et politique. Pour lui, « nous sommes tous concernés » : le consommateur zombie est tout autant drogué que l’oligarque. A fortiori, le dissident n’y échappe pas et doit donc rester vigilant, car « les rebelles gras, les dissidents sous médicaments ou sous média-dépendance ne font pas les révolutions. »

Étant établi que le militant évolue dans un environnement de crétins diminués, il est en quelque sorte condamné à jouer sur le registre émotionnel pour faire avancer sa cause et à « occuper dès que possible la petite part de cerveau disponible » de ses contemporains.

Marketing politique et idéologique – Les fondamentaux d’un marketing de la dissidence

Ce chapitre est le cœur de la partie manuel/guide de l’ouvrage. Les bases du marketing (au sens général et pas nécessairement dissident), concept qui ne se résume pas à la seule communication, y sont présentées : SWOT, SMART, USP, etc. (pour ne citer que les acronymes les plus connus).

Est ensuite abordée une des thèses principales de l’ouvrage : le marketing dissident doit être un marketing de l’offre c’est-à-dire proposant une offre intangible : « Je suis ce que je suis et qui m’aime me suive ». C’est le type de marketing plébiscité par le monde du luxe. Il s’oppose au marketing de la demande et son offre plastique, mainstream, clientéliste : « Je suis ce que vous voulez que je sois ». Ce dernier est le marketing auquel le moderne est de fait habitué tant il est répandu dans les offres marchandes et politico-électorales. C’est d’ailleurs bien cette omniprésence du marketing de la demande qui explique l’aversion naturelle du dissident pour le marketing en général, perçu comme une technique de manipulation et d’adaptation en mouvement constant, donc absolument incompatible avec un projet (discours politique, produits, etc.) enraciné et identitaire.

Par ailleurs, à un niveau moins fondamental et plus stratégique, le marketing de l’offre permet de se démarquer de la concurrence. Cela vaut aussi pour les projets politiques : l’offre en termes de girouettes politiques étant déjà sursaturée, assumer sa radicalité (qui n’est pas l’extrémisme, on y reviendra) peut séduire. On trouve aussi dans ce passage un développement intéressant sur les préjugés typiquement répandus dans les mouvements défendant une parole publique identitaire ou assimilé (notamment dans les partis politiques censés representer ces propositions). Ces préjugés peuvent affecter les stratégies et plans d’action marketing. Des exemples tirés du monde politique et du monde économique illustrent ce propos.

Par la suite, il présente les nouvelles formes de communication (marketing conversationnel, storytelling, registres sémantiques) les plus adaptées au discours dissident tout en prenant en compte l’environnement social très marqué par la « décorporalisation », entendue comme la perte du caractère corporel (en chair et en os) des relations sociales par virtualisation des échanges (développement du télétravail, relations à distance, téléconsultations médicales, etc).

Dissidence et différenciation : le marketing de la dissidence contre le clientélisme

« La publicité n’est pas seulement parole commerciale, mais aussi parole politique, parole sociale, parole morale, discours idéologique toujours. »
Bernard Cathelat dans Publicité et société cité dans l’ouvrage.

Si le discours de la publicité est bien idéologique, Hubert Calmettes, se basant sur son expérience professionnelle, explique que la logique interne de ce microcosme ne l’est pas. Non seulement le publicitaire est déconnecté de ses « cibles », mais, plus fondamentalement encore, il prétend « incarner une avant-garde ». « Les mondes qu’ils vont mettre en scène sont censés préfigurer le monde tel qu’il vient et véhiculer l’idée de progrès, non dans une perspective idéologique, mais prospective. » En somme, le progressisme affiché n’est pas tant une affaire de réelles convictions, mais plutôt d’objectifs commerciaux à court terme : pour le consommateur néophile, c’est-à-dire shooté à la nouveauté, le progrès fait vendre.

Ainsi, selon Hubert Calmettes, ce n’est pas la publicité qui est incompatible avec les thèmes de l’enracinement et de l’identité, mais bien la publicité qui se base sur un marketing de la demande. À titre d’illustration, l’auteur évoque notamment la marque territoriale « Fabriqué en Aveyron » (sur le modèle de « produit en Bretagne ») qui se base sur un marketing de l’offre et dont il a été l’initiateur.

Ce chapitre comporte une remarque d’intérêt pour le dissident à propos de la différence fondamentale entre radicalité et extrémisme. La radicalité au sens quasi étymologique « renvoie aux racines et aux fondamentaux. En ce sens, elle est en opposition de phase avec l’extrémisme, qui exprime une violence tout entière tournée vers l’extérieur, une fuite en avant quasi hystérique. » Contrer la stratégie d’exclusion mise en place par le Système c’est donc aussi refuser farouchement l’étiquette décrédibilisante d’extrémiste. S’il est admis que l’ennemi nous désigne, il ne faut en revanche jamais se laisser nommer par lui.

Le chapitre se termine avec une discussion sur les possibilités d’entrisme à la Gramsci. Cet entrisme ne se résume pas à la seule caste politique et/ou intellectuelle, car en réalité, certaines professions de marketeur (expert en marketing, chargé de communication pour un élu, directeur de la création en agence de développement, etc.), par la nature de leurs productions, permettent d’avoir un impact fort sur la perception du réel de pans conséquents de la population. L’auteur rappelle néanmoins la mise en garde salutaire de François Bousquet dans Courage ! : ceux qui prétendent changer le Système de l’intérieur, sont bien souvent changés par le Système.

Sevrage et réancrage : le combat de demain

Le dernier chapitre synthétise le dilemme de fond posé par la problématique abordée tout au long de l’ouvrage, agir sans se trahir, en proposant deux voies d’actions pour le dissident. D’une part le sevrage prophylactique pour conserver ou restaurer la santé de l’intelligence. D’autre part le réancrage opportuniste pour « occuper le terrain des nouvelles modalités d’imprégnation des esprits ». Ce que l’auteur appelle la stratégie du coucou.

Pour la « stratégie prophylactique », après avoir rappelé que le marketing du Système c’est aussi le « kid marketing » spécifiquement à destination des jeunes cerveaux les plus manipulables, Hubert Calmettes invite à « instruire l’enfant sur son statut de cible ». Ainsi, à défaut de pouvoir intégralement contrôler l’accès aux écrans, il conseille par exemple le débat (comprendre recadrage sous forme de dialogue) avec les plus jeunes (8-12 ans) après le visionnage d’un film ou d’une publicité en vue de « décortiquer les démarches et les intentions des auteurs. »

La stratégie opportuniste, déjà discutée dans la section précédente sur l’entrisme, se focalise quant à elle sur la nécessité d’atteindre la cible (en langage marketing) c’est-à-dire atteindre les siens (en langage militant) : « Transmettre impose désormais de faire feu de tout bois pour rallumer cette flamme qui s’éteint dans les yeux mi-clos d’une jeunesse blasée. »

Mais ces humains dégradés qu’il faut réveiller, il faut d’abord pouvoir les atteindre. Et pour les atteindre, il faut aller là où leur esprit vagabonde déjà : « Si, à titre d’exemple, nous devions recommander d’éteindre la télévision, il faudrait le dire… à la télévision ! » En guise de concrétisation de cette stratégie du coucou, Hubert Calmettes discute la possibilité d’un Métavers dissident. Il ne s’agit ici pas tant de recréer de toutes pièces l’infrastructure du Métavers (potentialité justement identifiée comme impossible par l’auteur, faute de moyens), mais bien d’investir celui (ou ceux) en cours de création.

À qui s’adresse cet ouvrage

Cas du marketeur

Assez logiquement, le « Guide marketing du dissident » s’adresse au marketeur dissident. Si « dissident » est clair, qu’est-ce que le marketeur ? Il faut ici comprendre toute personne ou groupe engagé dans une démarche professionnelle d’extériorisation d’un projet (quelle que soit sa nature) à visée d’un public qui n’est pas déjà fidélisé. La qualification de « professionnel » est ici importante et ne signifie pas (confusion moderne) « à but lucratif », mais implique l’idée de systématisation de l’action dans le but d’atteindre des objectifs précis.

Cela peut désigner une liste non exhaustive d’acteurs : les professionnels impliqués dans les partis politiques dissidents (notamment les partis Reconquête et le Rassemblement National cités nommément dans l’ouvrage), la direction des associations militantes et des entreprises dissidentes (médias et éditions compris), les influenceurs et intellectuels, etc.

Cas du non-marketeur

Pour ceux qui ne sont pas engagés dans la démarche décrite ci-dessus, l’ouvrage peut avoir un intérêt secondaire pour ses diverses mises en garde.

La réflexion sur l’addicature nous rappelle l’aspect structurel de l’omniprésence de la conso-dépendance (allant de pair avec la dépendance aux écrans) qui touche aussi le dissident. Par ailleurs en tant qu’introduction à cette notion floue (pour les non-initiés) qu’est le marketing, ce guide formalise les techniques auxquelles nous sommes nécessairement exposés dans notre environnement, quel que soit notre degré de formation politique. Mieux vaut avoir conscience de ces réalités.

Attention à ne pas se méprendre cependant, il ne s’agit pas d’un guide sur la communication qui présenterait des techniques pour persuader son entourage. Comme le rappelle l’auteur, le marketing est une technique plus vaste. À cet effet, on recommandera plutôt aux non-marketeurs des ouvrages plus classiques de psychologie et de communication, ou un ouvrage sur les éléments de langages métapolitiques. On peut penser au dictionnaire de la réinformation de la fondation Polémia de 2010, évoqué d’ailleurs dans Le Guide marketing du dissident. S’y pose néanmoins le problème du nécéssaire renouvellement des éléments de language dont certains sont déjà en phase de ringardisation à force d’utilisations inappropriés et excessives, notamment de la part de la classe politique.

Conclusion

L’ouvrage propose des réflexions intéressantes et pourra servir de véritable guide de marketing pour le dissident qui aurait besoin de cet outil. On regrettera un ouvrage trop court (ou le fait qu’il n’y ait qu’un seul ouvrage) pour un sujet de cette ampleur. En effet, l’auteur propose à la fois un travail de résumé quasi journalistique (l’état de notre dépendance en chiffres), un essai (réflexion sur l’importance pour le dissident de passer outre son rejet instinctif de la notion même de marketing) et un manuel pratique (introduction aux outils marketing à l’usage du dissident dans sa quête d’essaimage d’idées).

L’interpénétration des propos entre l’aspect « essai sur le marketing dissident » et l’aspect « manuel de marketing à l’usage du dissident » peut également rendre le lecteur confus à certains moments. D’autant que certains passages focalisés sur des propositions politiques et métapolitiques semblent parfois s’éloigner du propos principal en traitant des thèmes de la dissidence et non plus de la méthode pour les diffuser.

Enfin, l’on ne peut qu’espérer une édition à venir qui se déferait de la mise en page « classique » sur la partie manuel en optant pour une présentation plus ergonomique (par exemple : sommaire sur le côté de la page pour rapidement retrouver un chapitre, encadrés, utilisation de polices et couleurs différentes, etc.) et qui ajouterait quelques études de cas concrets appliquant la méthodologie présentée.

Clément Bonini – Promotion Léonard de Vinci