Parution : Bienvenue dans le meilleur des mondes

Bienvenue dans le meilleur des mondes. Quand la réalité dépasse la science-fiction, par Michel Geoffroy, La Nouvelle Librairie éditions, 2023, 92 pages

Si, comme l’a souligné Hubert Calmettes lors de son intervention au colloque de l’Institut Iliade le 15 avril dernier, les Français lisent en moyenne 1,5 livres par an, leur goût pour le genre de la science-fiction n’est plus à prouver. Et les dernières années que nous venons de vivre n’ont rien fait pour nous détourner de ce genre qui provoque immanquablement chez le lecteur ou le spectateur un plaisir mêlé à une franche fascination. Lire Orwell à l’aune des dernières décisions du gouvernement revêt en effet un caractère tout à fait unique… Michel Geoffroy, énarque, essayiste et contributeur régulier de Polémia commet ici un nouvel ouvrage publié par l’Institut Iliade dans sa collection Cartouches pour évoquer le lien entre la science-fiction et la réalité qui tend à la surpasser.

Ce nouvel essai de Michel Geoffroy ne se veut pas un catalogue des différents ouvrages de science-fiction. L’auteur s’interroge plutôt sur l’intérêt que représente l’analyse de ce genre littéraire et cinématographique et de ce qu’il dit de son époque. Connaissant son acmé au XX^e siècle, la science-fiction est donc, comme le montre l’auteur au fil de ses pages, intrinsèquement liée à l’utopie progressiste de gauche qui aura su triompher d’un conservatisme « de la tradition ou de la loi naturelle », selon les mots de Michel Geoffroy lui-même.

D’un côté, la science-fiction, comme le montre l’auteur, peut être vue comme un genre littéraire ou cinématographique proposant une vision du monde de demain où le progrès utopique et l’américanisation rêvée ont enfin triomphé. La religion du progrès et le transhumanisme permettent aux élites de vivre pleinement les plaisirs que ce nouveau monde leur offre. D’un autre côté, c’est un pessimisme mordant qui étreint le cœur du lecteur ou du spectateur. L’impuissance de l’homme face au développement d’une machine toujours plus performante – n’allons pas jusqu’à parler d’intelligence tout de même… – les désastres écologiques et nucléaires, la fracture sociétale entre une élite toujours plus déconnectée du reste de l’humanité mise au rebut et éloignée de la ville parfaite et performante… tant de questions soulevées par différentes œuvres de science-fiction et qui trouvent un écho tout particulier pour nos contemporains !

Mais ce qui intéresse plus particulièrement Michel Geoffroy est bien l’intuition incroyable d’auteurs de dystopies mettant en scène des régimes totalitaires. On pensera bien évidemment à George Orwell et son si connu « Big Brother », ou encore à Aldous Huxley et son Meilleur des Mondes. Deux traitements de la tyrannie assez différents mais dont certains éléments s’affichent aujourd’hui dans notre réalité, ayant quitté pour de bon le monde de la fiction : novlangue, réécriture du passé, utilisation de la peur comme moyen de coercition, injonction au bonheur et aux plaisirs immédiats et refus d’une individualité propre, pour ne nommer que cela…

Convoquant bien des auteurs comme ceux de Fahrenheit 451, L’Île du docteur Moreau, Vingt-Mille Lieues sous les mers, l’auteur ne met pas de côté le cinéma pour autant et évoque Matrix, La Planète des singes, La Guerre des étoiles et tant d’autres, parvenant à en tirer leur substantifique moelle pour montrer ce que ces dystopies ne sont en aucune manière un programme politique qui s’abattrait fatalement sur nous, mais qu’au contraire, elles doivent nous conduire à mener une réflexion sur les européens que nous sommes et qui aspirons à la Renaissance Européenne face à une tyrannie toujours plus massive.

Voilà un livre qui trouvera un écho certain chez un public friand de science-fiction, offrant des cartouches solides à celui qui veut porter un regard toujours plus acéré sur le monde qui l’entoure, sans jamais se départir de son esprit critique… et de son sens de l’humour…