Institut ILIADE
Institut Iliade

Présentation des actes du colloque 2023

L’Europe ne peut renoncer à l’excellence scientifique et technique, au risque d’un déclassement fatal. Mais elle doit pour cela se réapproprier une vision du monde qui lui permette de reprendre les rênes de son destin. Par Henri Levavasseur

Présentation des actes du colloque 2023

Les nations occidentales sont aujourd’hui au bord d’un véritable effondrement anthropologique. Le déclin démographique, la baisse des capacités cognitives reflétée par la chute du quotient intellectuel, la multiplication des pathologies provoquées par l’artificialisation des modes de vie, l’incapacité à affronter des situations conflictuelles ainsi que la multiplication des troubles de l’identité sexuelle constituent les symptômes les plus évidents de cette inquiétante évolution.

Les causes de ce processus sont multiples : contre-sélection générée par le malthusianisme des élites et la fécondité des couches les moins éduquées de la population, issues en grande partie de l’immigration extra-européenne ; conséquences néfastes de l’utilisation massive et précoce des écrans sur le développement cérébral des enfants ; effondrement de l’enseignement ; conditionnement des esprits par des idéologies subversives qui prétendent empêcher les peuples d’Europe de fonder leur avenir sur l’héritage d’une culture partagée ; rupture de plus en plus nette avec les réalités naturelles ; dégradation générale de l’environnement et de l’alimentation. À ces périls s’ajoutent les délires des apprentis-sorciers qui rêvent de transformer l’espèce humaine en l’affranchissant de tout conditionnement biologique.

L’Occident menace de périr asphyxié par les conséquences non maîtrisées de l’extension du règne de la technique et par les errements de son modèle économique et social, fondé sur le mythe du progrès indéfini et de la croissance illimitée. De manière paradoxale, cette situation pourrait conduire à l’avènement d’une véritable « idiocratie », privant les Européens des moyens de préserver leur inventivité scientifique et leur prospérité, et d’affirmer leur puissance dans un contexte marqué par la raréfaction des ressources énergétiques.

Cependant, ce déclin civilisationnel n’est pas une fatalité. Les jeunes Européens doivent se préparer à vivre des temps troublés, qu’ils devront aborder avec des corps, des âmes et des esprits trempés. Face à l’avachissement général, il convient de réaffirmer l’idéal de l’homme « complet », refusant la paresse intellectuelle et physique. Il s’agit d’assurer la transmission de notre vision du monde contre tous les ressentiments délétères. Il importe surtout de restaurer au sein de la Cité un éthos commun, à travers lequel l’identité spécifique de nos peuples puisse se manifester pleinement, afin de sortir du cycle de l’individualisme et de l’universalisme niveleurs.

À l’instar de l’alpiniste représenté sur l’affiche du Xe colloque de l’Institut Iliade, nous appelons les hommes et les femmes d’Europe à « prendre de l’altitude » pour échapper à la médiocrité ambiante. Cette prise de hauteur ne doit pas seulement concerner l’intellect, mais engager concrètement tout l’être : elle suppose de renouer avec le goût de l’effort et du risque, de tendre vers l’excellence à travers le dépassement de soi, en rejetant le confort bourgeois, qui est d’abord un conformisme. À la mentalité bourgeoise, éprise de sécurité à tout prix, prête à toutes les concessions pour conserver ses « acquis », nous opposons la volonté de nous confronter au réel, y compris dans sa dimension tragique. La nature sauvage, d’autant plus étrange et inquiétante qu’elle échappe encore à toute domestication, demeure la première source à laquelle il convient de ressourcer nos âmes et nos corps pour affronter les défis à venir. La nature ne nous offre pas seulement l’écrin dans lequel se déploie notre existence : elle nous façonne à travers la transmission de notre héritage génétique. Mais nous la façonnons aussi en retour, en tant qu’« êtres de culture par nature », selon la formule de Gehlen. Non pour soumettre la nature à une volonté d’exploitation sans frein, mais bien pour l’établir comme socle de notre tension vers l’excellence.

L’idéologie mondialiste entraîne au contraire un effroyable mouvement de dévastation de la nature en niant la spécificité des cultures européennes et le droit de nos peuples à affirmer leur identité sur leur terre, en privilégiant l’échange marchand sur toute autre considération, en appelant au métissage généralisé, en favorisant la mobilité permanente d’individus interchangeables au sein de masse soumises à la « société de surveillance ».

Si nous appelons au « grand ressourcement » au sein de la nature, nous ne nous réfugions pas pour autant dans une fuite hors du réel, dans un rejet illusoire du monde de la technique, qui nous conduirait à sortir de l’histoire. La technique ne doit pas être appréhendée comme un simple « instrument », faute de quoi nous demeurons incapables de saisir son essence, et courrons le risque de nous laisser broyer par son extension universelle illimitée. La technique est fille du génie européen, pour le meilleur et pour le pire : elle est certes issue de la science grecque, qui jette sur le monde un regard émerveillé, avant d’instituer l’ordre et la mesure au sein du chaos ; mais elle est également le produit, à l’époque moderne, d’une idéologie universaliste fondée sur la croyance au progrès indéfini, sensé affranchir « l’homme » de toutes les entraves afin de maximiser son « bonheur » et son profit. Il convient de rompre avec cette idéologie qui se présente comme « rationnelle », bien qu’elle soit en réalité fondée sur une croyance irrationnelle en une croissance illimitée, qui conduit à la négation des structures anthropologiques fondamentales et à la destruction de l’identité des peuples.

Le développement de la science et de la technique, dans laquelle les Européens excellent depuis l’Antiquité, repose en vérité sur autre chose que le périmètre du seul savoir scientifique ou des capacités techniques : il participe d’une vision du monde, d’une conception de l’homme et de la nature qui sont absolument déterminantes, et sur lesquelles la société contemporaine, aveuglée par le culte du « progrès », a cessé de réfléchir. C’est cette vision du monde qu’il s’agit de remettre aujourd’hui à l’endroit, pour que les Européens retrouvent la voie d’une véritable domination des domaines scientifiques et techniques – ce qui n’a rien à voir avec le fait de transformer l’homme en esclave de la technique, ou la nature en réserve de matière exploitable pour assurer le bonheur du plus grand nombre.

Dominer la technique impose de ne pas s’abuser sur sa portée comme sur ses limites, et de ne pas se payer de mots en employant des formules irréfléchies : existe-t-il par exemple une véritable « intelligence artificielle » ? Cette expression ne désigne-t-elle pas plutôt, en vérité, la possibilité de développer dans des proportions considérables, grâce à l’intelligence humaine, les capacités de gestion automatiques de données ? Encore faut-il déterminer l’usage auquel ces capacités doivent s’appliquer, et former des esprits humains capables de les développer en les subordonnant à des fins supérieures, au lieu de laisser les cerveaux s’atrophier en leur substituant des machines, ou en les nourrissant d’une pensée indigente, réductrice et « prémâchée ».

L’Europe ne peut renoncer à l’excellence scientifique et technique, au risque d’un déclassement fatal. Mais elle doit pour cela se réapproprier une vision du monde qui lui permette de reprendre les rênes de son destin. L’Europe doit réapprendre à assumer la puissance dans l’espace géopolitique qui lui revient, afin de redevenir germe d’ordre au sein du chaos, car la puissance ne se confond pas avec la démesure. Elle est la forme la plus élevée de responsabilité.

Nous appelons les Européens à sortir de la logique marchande qui tend à un effacer chaque jour un peu plus « ce que nous sommes », à refuser de vivre dans un monde de « l’informe uniformisé », animé par « l’idéologie du même ». Contre toute tentative d’homogénéisation mondiale et de colonisation mentale, les Européens doivent continuer à une cultiver la vision du monde qui les distingue, fondée sur une aptitude à la pensée « polyphonique » et dynamique, capable de combiner les contraires et de concevoir l’être comme « devenir », à l’instar d’Héraclite.

Combattre le déclin anthropologique nécessite d’accorder toute notre attention aux jeunes générations, qui donneront bientôt la direction à suivre. À ce titre, une profonde réforme du système d’éducation et d’enseignement apparaît comme une nécessité incontournable. Le retour à l’enseignement de la culture classique s’impose dans ce cadre, non comme un ensemble de savoirs académiques figés, qui constitueraient un simple « ornement » pour de « beaux esprits », mais bien comme la pierre angulaire sur laquelle fonder un enseignement scientifique qui corresponde au génie propre et à la conscience identitaire des Européens, afin de « devenir ce que nous sommes », comme nous y incitait déjà le poète grec Pindare au ve siècle avant l’ère chrétienne.

De cet impératif de redressement, il convient de tirer enfin les conséquences éminemment « politiques » : celles qui déterminent nos engagements au sein de la Cité. Car nul ne pourra se contenter de rester « neutre » : surmonter le déclin anthropologique qui s’est amorcé au cours de ces dernières décennies impose de la lucidité et du courage. Plus que jamais, les Européens doivent prendre leur destin en main. Il n’y aura pas de « sauveur miraculeux », ni de deus ex machina : chacun de nous doit se préparer à suivre une voie exigeante, pour tenir sa place dans le long et difficile combat qui s’annonce. Il est plus que temps. La tâche sera longue, mais il est urgent de l’entreprendre.

Henri Levavasseur

Actes du colloque 2023, Hors-série Livr’Arbitres, 116 pages, 12 euros