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Mishima : le miroir et l’épée

Mishima nous apprend à tracer notre propre voie, à coups de sabre, dans les conventions et les attentes, à inventer notre route, à ne nous plier à aucune autre règle que la notre mais à nous y plier entièrement.

Mishima : le miroir et l’épée

Au moment de célébrer le cinquantenaire de la mort volontaire de Yukio Mishima le 25 novembre 1970 – date qui le définit bien plus sûrement que celle de sa naissance puisqu’elle couronne son œuvre et le propulse, outre l’immortalité littéraire, dans le mythe ; à cette date anniversaire, donc, nous pouvons nous demander ce que Mishima peut nous apporter par son exemple.

Nombre d’ouvrages retracent l’œuvre et le parcours de Mishima et l’on se référera avec profit à la synthèse de Marguerite Yourcenar, Mishima ou la Vision du vide, à la biographie de Henry Scott-Stokes, Mort et vie de Mishima ou à la page qui lui est consacrée sur Citatio. Ce qui nous intéresse ici est un paradoxe qui gêne à droite comme à gauche et constitue la leçon que peut être pour nous la vie-œuvre de l’auteur, metteur en scène, acteur, esthète, et personnalité politique que fut Mishima.

À gauche, on frémit devant l’absolue radicalité, le fanatisme nationaliste et l’adoration impériale élevés au rang d’esth-éthique (car chez Mishima, héritier en cela des Grecs comme du Hagakure, les deux se confondent), à droite, on tente de cacher tout le flamboyant mauvais goût homosexuel comme les failles trop humaines sous le tapis.

Les admirateurs de la dévotion patriotique sautent vite les passages de Confession d’un masque où il est question du lâche soulagement d’avoir évité la mobilisation et louchent fort pour ne pas voir les photos dignes de Pierre et Gilles (pas celles bien connues où Mishima incarne, seul, toute l’énergie martiale, mais celles où apparaissent divers partenaires masculins qui rendent impossible la séparation du culte de la virilité de ses racines homosexuelles).

Les fervents de l’avant-garde marginale, du dandy des bouges et du chantre des aisselles de vidangeurs voient double en lisant, dans Chevaux échappés, l’ode à l’adolescence terroriste qui pour une fois mériterait l’étiquette d’ « ultra droite ». Ils ne la peuvent supporter que sous l’angle de l’érotisation, certes réelle, mais qui n’épuise pas la force du personnage d’Isao et de ses camarades. Non, l’exaltation de l’extrême pureté n’est pas que sexuelle, elle n’existe pas dans sa seule mise en tension avec la souillure nécessaire du monde adulte et matérialiste, elle est idéologique. L’ultra-quoi-que-ce-soit est désirable, esthétiquement, éthiquement et politiquement, parce qu’ultra, parce que l’extrême seul porte vive la flamme de l’esprit qui meurt dans la boue des compromissions modérées. L’ultra-nationalisme est préférable parce qu’il est spirituel, parce qu’il est reconnaissance de l’âme d’une nation, et toute l’œuvre de Mishima est profondément spiritualiste, on s’y divinise par la dévotion sacrificielle à une idée, que ce soit celle du Beau ou de l’Empereur (le second étant l’incarnation politique et historique du premier, c’est à dire de l’éclat solaire que Platon nomme Absolu et le japon Amaterasu).

Mais que l’idéaliste de droite ne se réjouisse pas si tôt : le critique ès-mauvais-genres aura raison de souligner tout le kitsch, tout l’occidentalisme décadent, toute la cavalerie d’opérette dans lesquels ces nobles aspirations s’incarnent de l’aveu même de Mishima qui exprime son amour du mauvais goût histrionique dès Confession d’un masque, et qui le rendent, à ses yeux (ceux de l’amateur de cinéma-bis et de cabaret travesti) si sympathique.

Voici en effet ce que nous apprend Mishima : que l’individualité la plus radicale peut se mettre au service de l’âme d’une nation et que c’est cette sincérité parfaite, cette dévotion absolue jusqu’à la mort qui fonde la non moins absolue liberté personnelle. Mieux que quiconque il a compris que l’existence post-moderne ne pouvait s’embarrasser de scrupules et de honte : dans une époque qui brûle, il faut flamboyer plus haut encore et ne s’excuser de rien, n’être jamais petit, pas de petit ridicule, pas de petit sacrifice, pas de semi-dévotion. Makoto est le nom japonais de cette entièreté, de cette sincérité constante, le contraire même de la bienséance tradi’ qui se donne à voir en costume semi-folklorique et en cochant toutes les cases d’un cahier des charges socialement approuvé : un panache à la diable, exagéré, énorme, bizarre comme celui de Don Quichotte ou de Cyrano sous les rires du vulgaire.

Mishima nous apprend à tracer notre propre voie, à coups de sabre, dans les conventions et les attentes, à inventer notre route, à ne nous plier à aucune autre règle que la notre mais à nous y plier entièrement, la plus grande liberté ayant la plus grande discipline pour mère. Mishima ne « vient » pas « comme il est », il se crée, il se sculpte selon son idéal, il taille dans sa chair comme dans les mots et les images avec sa volonté pour lame et l’Absolu pour étoile polaire.

De Mishima certains ne veulent retenir que l’épée du samouraï, d’autres que le miroir du comédien : les deux sont les dons sacrés d’Amaterasu, les deux appartiennent au trésor impérial, et son suicide fécond en est le joyau.

Mahaut Hellequin

Auditrice de la promotion Patrick Pearse