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Louise de Prusse (1776-1810)

La nécessaire commémoration du bicentenaire de Napoléon ne saurait occulter l’hommage à rendre à ses plus brillants adversaires. La nature avait donné à la reine Louise de Prusse l’atout du charme et de la beauté. Sa confrontation avec la France en fit l’héroïne de son peuple…

Louise de Prusse (1776-1810)

« C’est là le seul homme de Prusse », dira Napoléon de Louise, l’épouse de son adversaire malheureux Frédéric-Guillaume III. Il faut dire qu’à rebours de ce souverain Hohenzollern irrésolu et quelque peu falot, elle a incarné aux yeux de ses sujets et de l’Europe entière l’âme de son royaume dans les circonstances dramatiques qui ont précipité sa défaite.

Elle n’a pourtant jamais exercé le pouvoir ni directement suppléé aux carences du gouvernement. Rien chez elle ne peut rappeler les figures politiques de maîtresses femmes comme Catherine II ou Marie-Thérèse d’Autriche. Ce qui charme chez cette « Aphrodite couronnée » à la beauté légendaire, c’est qu’elle apparaît comme la reine de l’âge romantique par excellence. Héritière du Sturm and Drang qui, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, a promu les sentiments contre la froide raison des Lumières, elle privilégie les épanchements du cœur et une spontanéité désarmante. Alors qu’une grande partie de l’Europe subit l’occupation française et la politique hégémonique de Napoléon, elle cristallise sur sa personne la ferveur de l’élan national issu de la tourmente révolutionnaire. En incarnant si joliment la Prusse, elle devient le symbole du patriotisme allemand, une icône dont la mort prématurée entretiendra le mythe.

De l’insouciance de la jeunesse à l’accession aux responsabilités

Louise-Augusta est la fille du duc Charles de Mecklembourg et de Frédérica-Caroline de Hesse-Darmstadt. Mais c’est au Hanovre, dont son père est le gouverneur, qu’elle passe les premières années de sa vie. Sa mère puis sa belle-mère meurent prématurément et Charles, marqué par ses veuvages, décide de laisser ses enfants à leur grand-mère maternelle pour voyager à travers l’Europe. En dépit de ces drames familiaux, Louise passe à ses côtés une enfance relativement heureuse avec ses quatre frères et sœurs, loin de l’étiquette rigoureuse de la cour. La musique, les cours du pasteur, le dessin et les promenades dans la campagne de Darmstadt constituent l’horizon d’une vie insouciante, dont le point d’orgue reste son entrée remarquée dans le monde à l’occasion des festivités du couronnement impérial de François II, durant l’été 1792.

Après être longtemps restée à l’écart des troubles qui agitent le vieux continent, elle est néanmoins rattrapée par l’écho des événement révolutionnaires. Grisées par la canonnade de Valmy, les armées de la République, « ces hordes de brigands » écrira-t-elle, traversent le Rhin et s’emparent de Mayence. Toute la famille doit se réfugier un temps en Thuringe. C’est sur le chemin du retour en Hesse que, lors d’une halte à Francfort, Louise et sa sœur Frédérique sont choisies par le roi Frédéric Guillaume II pour épouser ses deux fils. L’aîné, l’héritier du trône des Hohenzollern, a le privilège de choisir entre ces deux « anges » : et c’est à Louise que Frédéric-Guillaume est fiancé en avril 1793. 

« Adieu plaisirs innocents, jeunesse, gaieté » dira Louise, avant son départ pour Berlin où le mariage est célébré à la veille de Noël 1793. Rapidement, son naturel et sa spontanéité lui gagnent les cœurs. L’éloignement des siens, les rigueurs de la cour lui pèsent parfois, mais elle s’étourdit dans les bals que fuit son mari, se laisse galamment courtiser… au point d’être rappelée à l’ordre par le roi lui-même. Les époux prennent alors leurs distances en achetant à quelques heures de Potsdam le domaine de Paretz, une gentilhommière propice à la création d’une véritable Arcadie. Ils s’y installent en septembre 1797, avec leurs deux enfants dont, avec une simplicité teintée de rousseauisme, elle tient à s’occuper elle-même. Mais deux mois plus tard, le roi de Prusse meurt et Frédéric-Guillaume III doit prendre en mains les destinées du royaume. « Mon temps d’épreuves va commencer et le paisible bonheur dont nous avons joui va finir », écrira le nouveau souverain de vingt-sept ans, qui n’a encore jamais exercé de réelles responsabilités.

Louise continue d’assumer avec la même grâce ses devoirs de représentation, tout en se découvrant un appétit culturel sans limite. Guidée par ses amies Marie von Kleist et Caroline von Berg, elle découvre la littérature du Sturm und Drang, se prend de passion pour les œuvres de Schiller, se plonge dans les lectures historiques et fréquente des salons où se retrouve l’élite intellectuelle du moment, comme Herder ou Goethe. Ce dernier restera charmé par « une apparition céleste dont l’impression ne s’éteindra jamais en (lui) ». Frédéric-Guillaume est quant à lui confronté à une situation d’autant plus délicate que son caractère indécis et passablement velléitaire ne le porte pas à l’accomplissement d’une politique clairement assumée dans une Europe en proie à la guerre. Depuis 1795, la Prusse est en paix avec la France, à qui le traité de Bâle a reconnu la possession de la rive gauche du Rhin. Mais quand la Russie et l’Angleterre se rapprochent en 1798, il se laisse arracher son accord pour entrer dans la seconde coalition… avant de revenir sur sa décision.

Confrontation avec les « hordes de brigands »

Bonaparte, Premier consul, cherche une entente avec la Prusse en novembre 1803 en lui faisant miroiter la possession du Hanovre. Il réitère ses propositions en 1805, sans succès. Ce n’est pas au roi qu’il se heurte – un souverain dont Talleyrand disait qu’il ne savait « ni ce qu’il devait croire ni ce qu’il devait faire » – mais à la reine Louise, violemment anti-française. Elle l’est d’autant plus facilement qu’elle s’est convaincue que l’indéfectible amitié du tsar Alexandre les protégera du féroce appétit de l’« usurpateur ». Depuis leur première rencontre en juin 1802 à Memel, Louise est littéralement tombée sous le charme du tsar, ce « nouvel Hercule », pour lequel elle éprouvera des années durant des sentiments confus.

Conscient de la nécessité de se repositionner sur l’échiquier européen, Frédéric-Guillaume se décide enfin. Au début du mois de novembre 1805, sous la pression du tsar, il entre dans la troisième coalition, une alliance symboliquement marquée par le recueillement des deux souverains sur la tombe de Frédéric le Grand. Mais lorsque le diplomate Haugwitz se rend en Autriche auprès de Napoléon pour lui transmettre l’ultimatum prussien, c’est à l’éclatant triomphateur d’Austerlitz qu’il doit faire face. L’empereur riposte en offrant à la Prusse un encombrant traité d’alliance, signé à Schönbrunn, et ne cesse par ailleurs de pousser son avantage dans les mois qui suivent. En 1806, il contrôle l’Allemagne centrale et occidentale, où il crée la Confédération du Rhin. La Bavière, le Wurtemberg et d’autres états allemands deviennent ses alliés. Durant l’été, le vestige du Saint Empire romain germanique disparaît lorsque François II renonce à son titre multiséculaire. Quant à la Prusse, largement épargnée pour le moment, elle doit néanmoins fermer ses ports aux Anglais.

Louise s’indigne : « Plus on se montre conciliant envers Napoléon, plus il se moque de ceux qui sont assez bêtes pour cela […]. Force contre force, voilà selon moi, la seule réponse ».  La reine critique même la politique de son mari dans les cercles privés qu’elle fréquente et dans sa correspondance. Sans jamais prendre publiquement position, elle use de l’ascendant qu’elle exerce sur son mari. Napoléon ne l’ignore pas. Égérie du parti de la guerre, la reine donne son nom au régiment de dragons d’Ansbach-Bayreuth, et l’on raconte qu’elle encourage les officiers prussiens à aiguiser leurs sabres sur les marches de l’ambassade de France… Il n’est pourtant pas certain qu’elle ait participé à la fronde intérieure qui met le roi en demeure, par un mémoire signé de hautes personnalités, de réagir. « Je n’ai plus d’autre choix que la guerre », dira le pusillanime Frédéric-Guillaume.

Une armée entièrement perdue, une nation en sursis

En juillet 1806, une alliance secrète est signée avec la Russie et un mois plus tard, l’ordre de mobilisation est donné. La Prusse est en proie à une frénésie belliciste qu’alimente l’exécution par les autorités françaises du libraire Palm qui avait fait circuler un virulent pamphlet encourageant la résistance allemande. La troupe, forte de la grandeur passée des bataillons de Frédéric II, a hâte de pouvoir enfin en découdre avec un ennemi français sous-estimé : « Pas besoin de sabres, des gourdins pour ces chiens ! ». Certains, pourtant, sont conscients des risques de l’entreprise, du caractère confus de la direction bicéphale de l’armée, dirigée par le roi et le duc de Brunswick, face à un Napoléon au faîte de sa puissance militaire et politique.

La guerre commence après l’ultimatum prussien du 28 septembre. Louise accompagne son époux. Mais, dès le 10 octobre, elle doit se réfugier à Berlin après qu’à la défaite de Saalfeld le prince Louis, cousin du roi, a trouvé la mort. Les Prussiens, dont le moral est déjà entamé, font l’erreur de ne pas attendre le renfort de leur allié russe.

Le 14 octobre 1806, à Iéna, l’Empereur balaie les soldats allemands. Tandis qu’à quelques dizaines de kilomètres, à Auerstedt, les 30 000 hommes de Davout l’emportent sur un ennemi deux fois supérieur en nombre… et sur Frédéric-Guillaume III en personne. Une semaine après l’ultimatum exigeant qu’il évacue l’Allemagne, l’Empereur a balayé la Prusse.

« Jamais une armée n’a été plus battue et plus entièrement perdue », dira Napoléon, qui fait son entrée à Berlin le 27 octobre. Comble d’humiliation pour Louise :  afin de discréditer le pouvoir prussien réfugié à Königsberg, Napoléon jette en pâture à l’Europe entière ses relations avec Alexandre, des extraits de sa correspondance étant publiés dans Le Moniteur.

La guerre continue quelques mois encore, avec des forces dérisoires. Les Prussiens peuvent tout au plus prétendre servir d’auxiliaires au tsar. Mais, après Friedland (14 juin 1807), celui-ci signe un armistice et consent à rencontrer Napoléon. Frédéric-Guillaume est aussi convié, le 25 juin 1807, à la fameuse entrevue de Tilsit, sur le Niémen, durant laquelle il va faire les frais de la réconciliation théâtrale des deux empereurs. Napoléon traite la Prusse en ennemie et ne montre ainsi qu’animosité à l’encontre de celui qu’il considère comme « un vrai benêt », contraint de rester le plus souvent sur la rive, au milieu de la foule, quand l’avenir de son royaume se décide au milieu du Niémen.

Louise a rejoint Tilsit dans l’espoir de fléchir Napoléon. Elle dîne entre les deux empereurs. Toujours portée à confondre diplomatie et sentiments, elle est très affectée par la Realpolitik d’Alexandre, ne percevant pas que sans lui la Prusse aurait peut-être cessé d’exister. Lors de cette rencontre de Tilsit, pour le bien de son royaume, elle dissimule sa profonde aversion à l’égard de Napoléon. Elle tente ainsi de sauver Magdeburg, importante forteresse prussienne sur l’Elbe qui, dans la débandade générale après Iéna, a été l’une des rares villes à résister aux Français. Peine perdue : si Napoléon reconnaît son charme, il reste insensible, mais finira par lui porter une estime inversement proportionnelle au mépris dans lequel il tient son époux.

Tenir… et renaître !

La Prusse doit renoncer à toutes ses possessions à l’ouest de l’Elbe, qui, par la volonté de Napoléon, vont désormais constituer le royaume de Westphalie. Elle perd également les territoires acquis au détriment de la Pologne, dont une partie constituera le Grand-Duché de Varsovie. Les Français occuperont les forteresses tant que la lourde indemnité de 120 millions de francs n’aura pas été réglée. Le couple royal n’étant pas autorisé à revenir à Berlin, il reste jusqu’à l’automne 1809 à Königsberg, où Louise aurait dit-on empêché son mari d’abdiquer. Une véritable cour se reconstitue autour de la reine, qui a déjà mis au monde neuf enfants sans rien perdre de sa beauté : « On la voit manifester un caractère véritablement royal, écrit Heinrich von Kleist. Elle a bien saisi l’importance de l’enjeu maintenant en cause… La voici qui rassemble autour d’elle tous nos grands hommes que le roi néglige. C’est elle qui tient tout ce qui ne s’est pas encore effondré. »

Durant cet exil humiliant commence cependant l’immense effort de reconstruction de la Prusse. Consciente des enjeux, Louise défend auprès de son mari les projets du baron de Stein, très critique à l’encontre du roi, puis ceux du prince de Hardenberg. Deux figures qui, à partir de 1808, engagent de profondes réformes sociales et politiques (émancipation des paysans, autonomie municipale, créations de ministères modernes investis de compétences spécifiques). Dans le même temps, la reconstruction de l’armée est engagée par le général Scharnhorst et le Feld-maréchal Gneisenau.

Dans le royaume se développe l’esprit de résistance. L’espoir vient de l’Autriche. Mais il sera brisé à Wagram en juillet 1809. Contraint de se soumettre à un Napoléon tout-puissant, Frédéric-Guillaume III doit réprimer le soulèvement antifrançais des hussards du commandant von Schill. « Napoléon souffla sur la Prusse, écrira cruellement Heinrich Heine, et la Prusse cessa d’exister. » Peut-être Louise de Prusse a-t-elle une responsabilité dans le désastre de 1806. Elle reconnaîtra pleurer souvent sur les conséquences des conseils à bien des égards hasardeux, prodigués au roi. Pour son malheur, elle ne verra pas le réveil tant espéré de son pays. Elle meurt d’une pneumonie à trente-quatre ans, le 19 juillet 1810. C’est elle pourtant qui incarnera le futur redressement prussien qui sera fatal à Napoléon.

Le 17 mars 1813, profitant de la débâche napoléonienne en Russie, Frédéric-Guillaume III proclame la levée en masse et invite son peuple à s’armer « pour livrer le dernier combat décisif pour son existence ». Du 16 au 19 octobre 1813, à Leipzig, la « bataille des Nations » marquera la fin de la domination de Napoléon sur l’Allemagne. À côté des Russes, des Autrichiens et des Suédois, les Prussiens du feld-maréchal Blücher ont prouvé la réalité de leur redressement. Nul doute que les milliers de volontaires qui répondirent à l’appel de 1813 avaient à l’esprit l’image tutélaire de la reine Louise, dont le jour anniversaire sera choisi cette même année pour créer la Croix de fer.

Emma Demeester

Bibliographie

  • Jean-Paul Bled, La reine Louise de Prusse. Une femme contre Napoléon, Fayard, 2008.

Chronologie

  • 1776 : Naissance de Louise, fille du duc de Mecklembourg.
  • 1793 : Mariage avec Frédéric-Guillaume, l’héritier du trône de Prusse.
  • 1795 : Traité de Bâle mettant fin à la guerre avec la France révolutionnaire.
  • 1805 : Traité d’alliance franco-prussienne imposé au roi par Napoléon.
  • 1806 : Le 14 octobre, les troupes prussiennes sont défaites à Iéna et Auerstaedt.
  • Juillet 1807 : Lors du traité de Tilsit, la Prusse perd près de la moitié de son territoire et de sa population.
  • 1810 : Mort de la reine Louise.

 

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