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Les corporations étudiantes allemandes, introduction à un particularisme méconnu

Studentverbindung, Landsmannschaft, Burschenschaft : les corporations étudiantes existent toujours en Allemagne. Retour sur un particularisme méconnu.

Les corporations étudiantes allemandes, introduction à un particularisme méconnu

Les corporations étudiantes, Studentverbindung, en Allemagne existent, sous leurs formes actuelles, depuis le début du XIXe siècle. À l’origine de celles-ci, les formes les plus répandues étaient les Landsmannschaft, regroupant des étudiants venus d’une même région, les Corps, regroupant, quant à eux, des étudiants issus d’une même classe sociale et enfin les Burschenschaft, regroupant des étudiants ayant une vision pangermanique (deutschnational), nationaliste et démocratique de la politique. Le temps passant, de nouvelles formes de corporations étudiantes sont apparues et se sont démocratisées, comme les corporations catholiques.

Caractéristiques des corporations étudiantes allemandes

Les Couleurs sont l’un des dénominateurs communs des corporations allemandes. Elles regroupent tous les objets montrant l’appartenance à une corporation étudiante. Parmi les Couleurs, on retrouve, entre autres, le Zirkel, une forme de signature regroupant plusieurs lettres entrelacées, et les couleurs de la corporation qui sont généralement au nombre de trois (dans certains cas plutôt rares, au nombre de deux, quatre ou plus). Ces couleurs sont présentes sur le drapeau et le blason de la corporation. On les retrouve également sur la bande (Band) et le chapeau (Kopfcouleur – littéralement : couleur de la tête) porté par les membres de la corporation. Elles tirent souvent leurs origines de l’origine géographique des créateurs de la corporation (une ville, une région, …). Dans le cas des Burschenschaft, elles résultent majoritairement d’une combinaison de noir-rouge-or, ces trois couleurs étant les couleurs de l’Urburschenschaft, et deviendront par la suite les couleurs de la République allemande.

Un autre dénominateur commun des corporations étudiantes : le Lebensbundprinzip. Il s’agit d’un engagement à vie, constitué d’une période active, divisée en deux parties, la Fuxenzeit, période probatoire lors de l’entrée qui, une fois achevée, permet à l’étudiant de devenir un membre définitif. Il s’engage ensuite à rester membre de la corporation jusqu’à sa mort, en soutenant cette dernière par une sorte de contrat générationnel. En effet, une fois les études terminées, les anciens étudiants Alte Herren, financent les activités de l’Aktivitas (l’Aktivitas étant l’ensemble des membres actifs de la corporation faisant leurs études), et la maison de la corporation.

La Fuxenzeit, pour les nouveaux membres d’une corporation, joue un rôle à la fois d’intronisation et d’initiation. Les Fux vont devoir assister pendant une période d’en moyenne deux semestres à des cours hebdomadaires : la Fuxenstunde, afin d’apprendre les us et coutumes des Studentverbindung, les règles de savoir-vivre, ainsi que des cours d’histoire sur la corporation, des autres corporations et sur l’Allemagne. À la fin de cette période probatoire sous réserve d’avoir accompli un certain nombre de tâches, notamment un examen nommé la Burschenprüfung sur le contenu des Fuxenstunde, les Fux ont la possibilité de s’engager et devenir membres à part entière de la corporation.

Les corporations étudiantes allemandes aujourd’hui

De nos jours, ces corporations existent toujours et se sont adaptées à l’air du temps. Bien que les traditions aient été en partie conservées, ces corporations souffrent de l’évolution décadente du monde moderne, comme toutes les sphères de la société allemande. Les corporations catholiques ont souvent de catholique que le nom et n’ont conservé que quelques traditions, comme la messe de début et de fin de semestre. Le remplacement de la population indigène par des membres exogènes se fait également ressentir dans les Studentverbindung, où il n’est pas étonnant de voir une majorité d’extra-européens dans une Aktivitas. Une anecdote qui résume parfaitement cela, est la dissolution d’une Aktivitas d’une Burschenschaft par l’Altherrenschaft (groupe, regroupant les membres ayant achevé leurs études), car la langue parlée principalement lors des Convents, organe démocratique de décision au sein d’une corporation étudiante, était devenu le turc au lieu de l’allemand. Bien que ce délitement touche toutes les corporations étudiantes, il y a une différence claire entre les corporations qui continuent à combattre au sabre, à savoir les Corps, les Landsmannschaft, les Sängerschaft et les Burschenschaft, ces dernières étant « relativement » épargnées et conservatrices, et celles qui ont abandonné, ou non jamais pratiqué ces duels, comme les corporations du Cartelverband (CV) et du Kartelverband (KV) et autres Akademische Verbindung (AV). À noter que le CV et le KV sont deux fédérations de corporations catholiques : le CV portant des couleurs (Band et Kopfcouleur), contrairement au KV, qui à quelques exceptions près ne le fait pas.

La tradition du combat au sabre

Les combats au sabre font partie des traditions qui ont su résister aux assauts du temps. Historiquement, les étudiants faisaient partie des seules classes de la population, à côté des officiers et des nobles, à avoir le droit de porter des armes. Cela était dû au fait qu’ils devaient faire, tous les semestres, le voyage depuis leurs villes d’origine jusqu’à la ville où ils étudiaient, tout en transportant avec eux leur bourse contenant l’argent pour l’entièreté du semestre. Ces jeunes hommes étaient, de ce fait, la cible des brigands et devaient être en capacité de se défendre. Cette bourse, qu’ils transportaient avec eux, donna, par la suite, le mot Bursch, pour désigner un jeune homme, ce même mot donnant le mot Burschenschaft. Des cours d’escrime étaient alors dispensés dans les universités afin de pouvoir se défendre en cas de rencontres inopportunes. Ces mêmes étudiants, ayant des armes à disposition en permanence, n’hésitèrent pas à se battre en duels, avec une fin souvent tragique. C’est à la suite de l’interdiction du duel qu’est née la Mensur, devenue une alternative autorisée, car moins meurtrière.

La Mensur est une version codifiée d’un combat au sabre ; où dans la plupart des Comments (ensemble de règles propres à chaque ville ou cercle de combat), les combattants se tiennent à une distance d’un environ un mètre, c’est-à-dire l’équivalent d’un Sabre (Korbschläger ou Glockenschläger, dans la plupart des cas). Les combattants ont le droit de déplacer uniquement le bras tenant le sabre. Les coups étant uniquement portés à la tête, ces derniers ne peuvent être que parés sachant qu’il est interdit de les esquiver par un mouvement de la tête ou du corps. La Mensur dure en moyenne trente assauts à raison de quatre à six coups par assaut, le nombre de coups devant être porté par assaut étant défini dans le Comment. Lors des assauts la lame, affûtée comme un rasoir, doit toujours rester en mouvement. Ces combats sont donc toujours pratiqués de nos jours par les corporations dites schlagend. C’est ainsi qu’on distingue les freischlagend (corporations dont les membres n’ont pas l’interdiction de combattre), des fakultiv schlagend (corporations dont les membres ont l’obligation de s’entraîner, mais ne sont pas obligés de combattre) et des pflichtschlagend (corporation dont les membres sont obligés de combattre). Il existe donc une réelle discrépance entre les schlagende Studentverbindung et les celles qui ne le sont pas. Divergence que l’on retrouve entre les pflichtschlagende Studentverbindung et celles qui le sont seulement de manière facultative ou libre. Cette distinction, combattante – non-combattante, permet une sélection supplémentaire des membres, sélection qui influe sur la qualité de l’ensemble de la corporation.

Comme évoqué précédemment, les Burschenschaft sont les seules corporations à avoir un aspect politique, les autres corporations étant en théorie apolitiques. C’est pourquoi l’apparition des Burschenschaft remonte au XIXe siècle à la suite de la création de l’Urburschenschaft, le 12 juin 1815, rassemblant des étudiants voulant unir l’Allemagne, à l’époque divisée en nombreux royaumes, et se battre pour la démocratie.

De nos jours, une partie des Burschenschaft sont régulièrement attaquées tant médiatiquement que physiquement. Il n’est pas rare de voir des manifestations de plusieurs milliers de personnes viser ces dernières. Ce fut encore le cas récemment lors d’une manifestation contre la droite, regroupant plus de 100 000 participants, ayant pour objectif final de « rendre visite » à la maison de la Burschenschaft Danubia München, habitée par seulement une quinzaine d’étudiants résistants, donnant un air de bataille des Thermopyles à la situation. Ces dernières n’acceptent pas de trahir leurs idées et de s’adapter à l’air du temps, et restent attachées à leur éthique et leurs traditions.

Ralph Klotz

Photo : Düsseldorf, procession de la Fête-Dieu 2016, Burschenschaft Burgundia. Domaine public.