Institut ILIADE
Institut Iliade

Accueil | Pôle Études | Géographie | Les dépossédés, de Christophe Guilluy

Les dépossédés, de Christophe Guilluy

Les classes populaires, très largement majoritaires démographiquement, regrouperaient donc les « dépossédés », systématiquement moqués par des médias, des séries et des émissions misérabilistes, qui stigmatisent un peuple ridicule et sans dignité, auquel on ne demande plus qu’une chose : ne pas remettre en cause le modèle qui les a sacrifié socialement.

Les dépossédés, de Christophe Guilluy

On connaît désormais assez bien les travaux de Christophe Guilluy. Portée par la crise des Gilets jaunes, la notion de France périphérique, qu’il a échafaudée dans Fractures françaises en 2010 puis dans son ouvrage éponyme en 2014, est en effet largement relayée par la sphère médiatique, et s’invite de manière incontournable dans de nombreux débats politiques. La thématique des Dépossédés reste globalement sur la même lignée : il s’agit de s’inscrire au côté des classes populaires et des Français exclus des « joies » de la mondialisation, condamnés au silence et à la disparition par une classe élitaire qui ignore ses problèmes et ses revendications. Le ton, toutefois, n’est plus à la cartographie et à l’analyse posée des chiffres du recensement et des bulletins économiques. Christophe Guilluy nous livre désormais un « coup de gueule » nettement plus pessimiste qui prend clairement parti contre le monde politique et les médias actuels.

À l’instar de Jérôme Fourquet, Christophe Guilly commence par rappeler que la dernière décennie a vu les écarts se creuser entre les Français : alors que, faute de moyens, ils sont de moins en moins nombreux à partir en vacances, les maisons traditionnelles du littoral sont paradoxalement reconverties en résidences secondaires inaccessibles, alors même qu’en ville, autre exemple, l’habitat populaire s’est transformé en lofts haut de gamme. Le « peuple » s’en trouve donc bien dépossédé, sous le regard impuissant d’élus qui se couvrent lamentablement derrière un discours politique toujours plus vague et vide de sens. Selon Guilluy, nous sommes en effet face « au pire du capitalisme », appuyé par sa « meilleure agence de communication » : la gauche. À l’origine de cette exclusion, il accuse les classes supérieures, dont il dénonce l’attitude cynique : un écologisme de façade et des modes de vie peu compatibles avec les enjeux environnementaux, une injonction à l’inclusion et à l’« ouverture aux autres » qui masque la réalité des exclusions sociales. Au final, la métropolisation s’impose comme un modèle paradoxal et fondamentalement inégalitaire.

Les classes populaires, très largement majoritaires démographiquement, regrouperaient donc les « dépossédés », systématiquement moqués par des médias, des séries et des émissions misérabilistes, qui stigmatisent un peuple ridicule et sans dignité, auquel on ne demande plus qu’une chose : ne pas remettre en cause le modèle qui les a sacrifié socialement. Selon Guilly, qui avait en partie prédit l’émergence des Gilets jaunes dans No society (2018), cette attitude explique l’esprit de révolte qui gronde désormais en France. Il le montre, pour ne pas dire qu’il l’appuie, dans un dernier chapitre explicitement intitulé Apocalypse Now. L’alternative à la disparition programmée prend sa source dans les campagnes et les périphéries désertées par les partis politique (RN mis à part), là où la majorité populaire, désormais insensible à toute forme de narratif fascisant, lutte pour sortir du chaos existentiel dans lequel les élites l’ont plongée. Il n’y a donc plus qu’à espérer que le système s’écroule de lui-même sous les coups des crises sanitaires, énergétiques et environnementales qu’il génère, avant que le peuple ne se charge de le remplacer. Une intuition qui semble en partie confirmée par les manifestations contre la « réforme des retraites » de 2023, où les barricades mettent en lumière la profondeur réelle de la crise actuelle.

Olivier Eichenlaub

Christophe Guilluy, Les dépossédés, Paris, Flammarion, 2022, 195 p.