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Le pragmatisme méthodologique, de Gérard Dussouy

Gérard Dussouy annonce la fin de l’idéologie moderne, incapable de penser la complexité autrement qu’à travers le prisme d’un universalisme qui nie par essence les réalités plurielles du monde.

Le pragmatisme méthodologique, de Gérard Dussouy

Dans son livre, Le pragmatisme méthodologique. Outil d’analyse d’un monde complexe, Gérard Dussouy annonce la fin de l’idéologie moderne, incapable de penser la complexité autrement qu’à travers le prisme d’un universalisme qui nie par essence les réalités plurielles du monde.

On considère généralement deux approches plus ou moins antinomiques en géopolitique : l’approche dite constructiviste, qui privilégie ce que l’on pense être bien sur ce que l’on pense être mal, et l’approche dite réaliste, qui privilégie la défense de ses intérêts, indépendamment du bien ou du mal. Dans le sillage du philosophe américain Richard Rorty, Gérard Dussouy explore ici une troisième voie épistémologique : le pragmatisme. Selon la définition qu’il en donne, le pragmatisme s’inscrit dans une démarche intermédiaire, « pluriethnocentriste », qui refuse d’interpréter le monde à partir d’une vérité unique, partant du principe que si certaines interprétations sont probablement plus justes que d’autres, il n’est pas nécessairement obligatoire de trancher définitivement.

La première partie du livre, dense et complexe, explore l’histoire des idées depuis la pensée grecque jusqu’à la sociologie contemporaine et aux avancées actuelles de la génétique, en passant évidement par la philosophie allemande, à travers des références nombreuses et souvent peu connues du grand public. La seconde partie est ensuite consacrée à l’épistémologie et à la méthode, pragmatistes en elles-mêmes. Enfin, la troisième partie mobilise cette méthode pour explorer les grands enjeux géopolitiques contemporains : changement climatique, sociétés connectées, économie mondialisée, défiance vis-à-vis de la démocratie représentative, réveil asiatique, revendications identitaires, etc.

On comprend ainsi que si la planète Terre « ne parle pas », et l’Humanité (considérée comme un tout) non plus, cela n’a pas empêché l’émergence d’un discours global sur le changement climatique, ni le déploiement universel des Droits de l’homme. Face à cet état de fait, la question est donc de savoir d’où émanent ces positions, ce qui renvoie immédiatement à l’identification du « pouvoir » capable de les formuler dans un cadre universel, alors qu’inconsciemment ou non, il reste prisonnier de son propre point de vue, naturellement ethnocentré. Or, face au réveil de la Chine, au renouvellement du discours islamique et à une pénurie énergétique imminente, les changements géopolitiques déjà en cours ne permettent plus toujours à l’Occident de faire valoir la supériorité qui était la sienne quand il était seul, ou presque, à maîtriser l’ensemble des dispositifs technique mondiaux.

Gérard Dussouy annonce donc la fin de l’idéologie moderne, incapable de penser la complexité autrement qu’à travers le prisme d’un universalisme qui nie par essence les réalités plurielles du monde. Dans ce contexte, le pragmatisme s’impose comme une nouvelle grille d’interprétation épistémologique, qui envisage l’avenir comme un processus plus qu’une réalité. Il suggère d’abandonner la notion d’univers au profit d’un « plurivers » dans lequel chaque groupe humain est livré à lui-même, avec son propre système de valeurs, qui demeurera toujours, pour lui, supérieur à celui des autres. C’est donc aussi une invitation à comprendre la diversité du monde, au dialogue et à la cohabitation organisée. Mais évidemment, dans une époque où le personnel politique confond encore trop souvent complexité et chaos, c’est sans garantie de résultats face aux tentations hégémoniques qui s’annoncent inévitablement.

Olivier Eichenlaub

Gérard Dussouy, Le pragmatisme méthodologique. Outil d’analyse d’un monde complexe, [s.l.], Éditions Agora, 2023, 393 p.