L’économie au service des peuples
Conclusions de Nicolas Buriez, auditeur de l’Institut Iliade, consultant en conduite de projets et management d’entreprise, au VIIIème colloque annuel de l'Institut Iliade, samedi 29 mai 2021.
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des sociétés humaines, l’économie a toujours été « encastrée » dans un tissu de relations sociales, politiques et religieuses. L’économie n’existait jamais de manière totalement autonome, mais était toujours subordonnée à une idée du bien commun – c’est-à-dire du bien de la communauté. Les quantités – de flux commerciaux, de richesse amassées – comptaient peu en regard d’impératifs qualitatifs : la sagesse, le courage, la beauté, le goût du travail bien fait, etc.
De nos jours, l’économie, ce sont souvent des chiffres astronomiques des formules mathématiques abstraites, des mots complexes, des hommes en costumes sombres dans de glaciales tours de verre. Ce monde de gagnants et de perdants, d’acheteurs et de vendeurs, de ressources et de marchés, nous le détestons tous aujourd’hui, car nous le jugeons à ses fruits. Les valeurs d’argent ont subverti les valeurs morales traditionnelles : un État souverain, la Grèce, mis sous la tutelle des banques. Des hommes et des femmes, dans un grand magasin londonien, se battant pour un téléviseur soldé. Un fleuve indonésien, le Citarum, pollué à tel point que son eau brûle la peau… Vous avez tous de multiples exemples en tête. Tout ou presque est devenu marchandise.
Mais rappelons une chose simple : l’économie n’est pas une loi naturelle. Elle ne s’impose pas à nous telle la gravité sur une pomme. L’économie est une construction humaine, qui a connu de nombreuses formes à travers l’histoire et les civilisations. Il n’y a pas si longtemps, une grande partie de la planète était dominée par une économie communiste. Et si, aujourd’hui, le capitalisme a remplacé presque tous les modèles économiques préexistants, nous savons que l’histoire n’est pas finie et qu’elle est souvent pleine de surprises.
Revenons nous abreuver à la source claire et fraîche des mots. Le mot économie vient du grec oikía, la maison, et nómos, la loi. Quand nous parlons d’économie, n’oublions jamais que nous parlons simplement de l’administration de la maison.
Pour nous, il n’y qu’un enjeu concernant l’économie : rester maître de notre maison, maître de notre foyer, maître chez nous.
Une économie prospère est une des conditions de la grandeur d’une civilisation et de la puissance d’un peuple car il s’agit d’un instrument de puissance exceptionnel. De l’Athènes du Vème siècle avant J.-C. à la Chine contemporaine, point de grande puissance sans économie performante. L’histoire européenne est jalonnée d’immenses réussites économiques qui ont permis l’émergence d’avancées culturelles et artistiques sans précédent : les républiques de Gênes et de Venise dans l’Europe du Sud, l’union de Kalmar et la Ligue hanséatique au nord et les foires de Champagne, maillon central du commerce européen. Sans cette économie européenne florissante, point de cathédrales, point de Michel-Ange, point de Rembrandt.
Quelle serait la liberté d’une nation dont la monnaie dépendrait intégralement d’un pays étranger ? Quelle serait la liberté d’une entreprise entièrement endettée auprès de sa banque ? Quelle serait la liberté d’un individu dont le revenu ne dépendrait pas de son travail mais du bon vouloir de son maître ?
Que nous le voulions ou non, nous dépendons tous de l’économie. Qu’elle soit locale ou mondiale. Notre souveraineté et notre liberté dépendent aussi de notre autonomie économique.
Et si elle n’est pas un phénomène naturel en tant que tel, elle le devient indirectement en tant qu’expression de notre volonté naturelle de puissance. Qui possède cet instrument impose sa volonté. Qui rejette les réalités économiques se condamne à être dominé.
Cet instrument de puissance dépasse le cadre idéologique. La chute du communisme soviétique découle de plusieurs facteurs, mais un des principaux fut son inefficacité économique face au monde capitaliste. Erreur que ne commet pas la Chine communiste. Elle qui est désormais une des plus grandes puissances économiques de la planète n’a pourtant pas abandonné son régime politique et a renoué avec sa culture millénaire.
Les entrepreneurs de la Silicon Valley, que nous connaissons tous, Bill Gates de Microsoft, Jeff Bezos d’Amazon, Elon Musk de Tesla, n’ont en rien dévié de leur idéologie initiale. Leur réussite économique est devenue un levier dans la mise en œuvre de leur vision du monde : égalitarisme, cosmopolitisme, progressisme, sans frontiérisme. Avant eux, d’autres ont fait de même, tel que Jean-Baptiste Godin au XIXe siècle et son utopique Familistère de Guise.
La puissance économique n’est pas immorale mais amorale. Elle ne porte en elle aucune valeur ou si peu. En revanche, elle peut être un instrument décisif pour porter les nôtres. Elle doit ainsi être une des composantes de notre projet civilisationnel.
Critiquer la marchandisation massive du monde est une nécessité.
Mais cette folle marchandisation, est-elle fatalement liée à l’économie capitaliste ?
La cause de cette marchandisation n’est-elle pas plutôt à rechercher du côté des affinités électives qu’ont certaines cultures avec l’économie moderne ?
Dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Max Weber, nous révèle l’extrême efficacité des protestants à dominer l’économie capitaliste. Il attribue cette réussite aux spécificités culturelles et religieuses des protestants. Benjamin Franklin, entrepreneur américain et protestant, explique que « l’esprit du capitalisme existait déjà dans le Massachusetts avant que ne se développe l’ordre capitaliste ». Il y aurait donc un primat du culturel sur l’économique.
C’est la culture qui décide de l’économie et non l’économie qui décide de notre culture.
Et l’on ne peut nier que certaines cultures sont plus adaptées au système capitaliste que d’autres. Il est donc plus facile pour elles de s’approprier l’outil économique et d’en faire leur instrument de puissance. Aux autres de suivre, aux autres de subir.
Alors devons-nous adapter l’outil économique à notre culture ou est-ce à notre culture de s’adapter à l’outil économique ? La vérité est peut-être entre ces deux positions.
Il est vrai que le capitalisme est un système qui porte en lui les germes de la marchandisation de masse. Mais, à tout moment, nous gardons aussi le pouvoir de les maîtriser.
L’hubris, la démesure, n’est pas inscrite dans la table de la loi économique, mais dans celle des hommes et des peuples.
Alors, comment reprendre le contrôle ?
Lutter contre le système économique capitaliste en tant que tel semble un combat d’arrière-garde, c’est s’attaquer aux conséquences et non aux causes.
Nous devons soumettre le système économique et non le détruire. Le soumettre à notre politique et notre pratique économique. Certains d’entre vous préfèreront la première voie, d’autres la seconde. Mais ces deux approches sont complémentaires en travaillant sur des échelles différentes.
Vous avez déjà commencé à reprendre le contrôle sur l’économie, d’ailleurs, votre présence ici le prouve. Dans un monde qui ne cesse de nier ce que nous sommes, vous savez que ce combat ne pourra être évité.
Chacun agit déjà concrètement à sa mesure, chacun à son rang de responsabilité.
Certains ont commencé à changer de mode de consommation, d’autres ont créé leurs propres entreprises, d’autres créent des emplois ou financent des actions dissidentes. Et, n’oublions pas toutes celles et ceux qui s’engagent en politique au niveau local, national ou européen.
Nos atouts sont nombreux pour mettre l’économie au service de notre maison : détermination, intelligence, abnégation, force de travail, créativité, courage, solidarité. Que de qualités vous avez !
- Nous sommes de ceux qui se lèvent tôt !
- Nous sommes de ceux qui n’abandonnons pas facilement !
- Nous sommes de ceux qui sont enracinés dans le réel !
L’économie est un de nos territoires naturels de conquête, nous ne pouvons pas le laisser à nos adversaires.
Chacun peut agir à son niveau et point n’est besoin d’être multimilliardaire pour cela :
- créez une monnaie locale dans vos quartiers ou vos villages afin de s’émanciper du système bancaire ;
- promouvez auprès de vos élus locaux le décret du code des marchés publics autorisant le recours à des circuits courts (n° 2011-100 du 25 août) ;
- refusez de participer à l’usure en préférant les plateformes de financement participatif. Et pourquoi ne pas créer la vôtre ?
Ouvriers, artisans, employés, responsables de service, professions libérales, chefs d’entreprises, dirigeants de grands groupes. Tous à vos postes, vous pouvez participer à ce combat.
Vous n’êtes pas une armée de réserve mais une armée en action, une armée en mouvement.
Et pour cela nous avons tous à notre disposition 3 leviers fondamentaux :
- Faire reconnaître nos compétences
- Rayonner
- Et dominer
Être reconnu dans son environnement professionnel c’est démontrer l’excellence de son travail même quand celui-ci paraît ingrat ou inutile. Nous avons tous été confrontés à la démotivation, à l’absence de sens, ou pire encore à la contradiction avec nos convictions. Mais, parfois, c’est sur ces tâches les plus insignifiantes, mais réalisées avec le plus grand soin, que la reconnaissance peut se manifester. Elle sera ensuite certainement encore confirmée à d’autres occasions. Mais il ne faut rien négliger, il faut exceller partout et être exemplaire en tout temps, c’est aussi cela qui nous différencie.
Être reconnu c’est donc avant tout faire le meilleur travail possible pour rayonner. Rayonner c’est commencer à produire une certaine attractivité qui permettra de faire entrer vos collègues, vos clients, vos fournisseurs sur votre terrain, dans votre vision du monde, votre style, votre esthétique. Parce que l’excellence est si rare, qu’elle interroge, fascine, attire. Accueillir votre interlocuteur sur votre terrain, là où vous êtes le plus fort, vous permettra de prendre le contrôle. C’est ici, et à ce moment, que vous obtiendrez concrètement le pouvoir sur votre environnement économique et professionnel.
Ce pouvoir vous permettra de dominer. Ce qui ne signifie en aucune façon écraser, bien au contraire. Nous avons le devoir de guider ceux qui nous font confiance. Les guider pour qu’ils puissent reprendre à leur tour le contrôle
- sur leur environnement professionnel ;
- sur leur manière de consommer ;
- sur leur rapport au monde financier.
Allez au contact des entreprises, soyez rugueux, inventifs, combatifs et déterminés. Imposez votre style. L’économie ne vous changera pas, c’est vous qui la changerez. C’est vous qui remettrez de l’ordre dans la maison, c’est vous qui remettrez l’économie au service des peuples.
Nicolas Buriez
Retrouvez les actes du colloque dans le hors-série de la revue littéraire Livr’Arbitres (10 €).