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La conquête du cheval. Une histoire génétique, de Ludovic Orlando

Le livre de Ludovic Orlando nous emmène sur les traces de l’épopée du cheval, alternant génomique, archéologie, histoire des peuples et des langues.

La conquête du cheval. Une histoire génétique, de Ludovic Orlando

Passionnante enquête, ce livre nous révèle que tous les chevaux domestiques actuels descendent d’une population restreinte appelée DOM2 ayant vécu il y a 4200 ans dans un arc de cercle partant du Caucase aux rives de la Caspienne.

« Le monde lui-même parut plus petit que jamais », nous dit-il. La culture qui les aurait diffusés serait la culture de Sintashta, une culture proto-indo-iranienne du sud de la Russie à la frontière du Kazakhstan. Une fois domestiqué, ce nouveau cheval DOM2 aurait été élevé en grandes quantités, son nombre explosant rapidement. On le retrouve près de 200 ans plus tard en Europe centrale. L’auteur prend l’ « hypothèse kourgane » au sérieux. Cette fameuse théorie initiée par l’archéologie Marija Gimbutas plaçait l’origine des langues indo-européennes au sein des cultures dites kourganes (du nom de leurs tumulus funéraires) dans la steppe pontique, entre l’Ukraine actuelle et le sud-ouest de la Russie jusqu’à la Volga. Selon l’auteur, la domestication du cheval par cette culture couplée à l’invention des chars tirés par les chevaux (grâce à une nouvelle roue à rayons, plus légère), serait responsable de la diffusion des langues indo-iraniennes en Asie. En effet, ici la diffusion d’un profil génétique de cheval est directement liée à l’expansion d’un profil génétique humain particulier avec une famille de langues.

Toutefois, il considère qu’il n’y a pas de trace de domestication du cheval et donc de son usage dans le cadre de l’expansion des langues indo-européennes vers l’Europe. C’est ici que le bât blesse. Il argue que le séquençage de chevaux utilisés par la Céramique cordée (culture indo-européenne courant de -3000 à -2350 s’étant étendue du sud de la Scandinavie à l’Europe centrale et du Rhin à la Volga) montre qu’ils sont autochtones et ne correspondent pas à une domestication précoce. Les « cavaliers de l’apocalypse » (c’est son expression) conquérants de l’Europe du Néolithique final n’auraient jamais existé. Mais une étude publiée en mars 2023 de manière concomitante à la sortie de ce livre vient contredire ses affirmations et rendre obsolète une partie du livre. L’étude de l’Université d’Helsinki menée par les chercheurs Martin Trautmann et Volker Heyd a analysé les os de 217 squelettes issus de kourganes de Roumanie, Hongrie, Bulgarie et Serbie et le résultat est sans appel. Datés entre -3000 et -2500, 24 squelettes de l’étude montrent clairement des marques de la pratique d’équitation, ce que l’on appelle « syndrome de l’équitation ». Le mouvement de secousse de haut en bas abîme la colonne vertébrale, notamment. C’est la plus ancienne trace indiscutable de pratique équestre de l’Histoire. Ces squelettes appartiennent à la culture des tombes en fosse, dite Yamnaya. Animal sacré indo-européen par excellence, le cheval a donc bien été monté par des proto-indo-européens à une date relativement reculée, -3000, au début de leur grande expansion. La poursuite de cette méthode d’investigation sur les squelettes de la céramique cordée devrait à terme permettre de trancher sur l’usage du cheval dans les expansions du Campaniforme et de la Céramique cordée.

En dehors de ce problème fort regrettable, ce livre nous apprend bien d’autres choses pour les passionnés de cheval ou d’histoire, parfois anecdotiques. La première domestication aurait eu lieu au sein de la culture de Botaï vers -3500, une culture sédentaire non indo-européenne du centre du Kazakhstan. De ces premiers chevaux domestiqués descendent les chevaux de Przewalski, que nous avons longtemps cru être les derniers chevaux sauvages. Ils sont en réalité des chevaux retournés à l’état sauvage après avoir été domestiqués il y a plus de 5000 ans. Les chevaux des Iakoutes, un peuple turc de Sibérie, sont bien des chevaux domestiques DOM2 alors que les légendes locales les décrivaient domestiqués depuis peu. Plus près de nous, nous apprenons que les chevaux islandais sont apparentés aux chevaux des îles Shetland et aux chevaux des landes granitiques du Dartmoor dans le Devon, héritage viking. Les chevaux sacrifiés par les Vikings étaient tous des mâles, et les destriers (chevaux de guerre) médiévaux étaient bel et bien de la taille d’un poney actuel (1,35 m au garrot en moyenne).

Gabriel Piniés – Promotion Homère

Ludovic Orlando, La conquête du cheval. Une histoire génétique, Odile Jacob, 2023