L’influence du climat sur les peuples selon Hippocrate
Par ce traité, Hippocrate, né vers 460 avant J.-C. sur l’île de Kos, a cherché à exposer des observations et théories qui, pour être antiques, n’en sont pas moins restées intelligibles et familières aux modernes.
« Partout où le sol est gras, mou et plein d’eau, où les eaux, étant très superficielles, sont chaudes en été et froides en hiver, où les saisons ont une favorable température, là les hommes sont charnus, faibles, et d’une constitution humide, d’un caractère indolent, et généralement sans courage dans l’âme. L’insouciance et l’engourdissement dominent en eux ; et dans l’exercice des arts leur esprit épais est dépourvu de subtilité et de sagacité.
Mais sur un sol nu, sans abri, âpre, accablé par les rigueurs de l’hiver, brûlé par les ardeurs du soleil, les hommes ont la constitution dure et sèche, les articulations prononcées, le corps nerveux et velu ; dans de telles nations prédominent l’activité, la pénétration, la vigilance, en même temps que l’insensibilité à la douleur et l’indocilité ; plutôt farouches que doux, ils sont plus fins et plus intelligents dans l’exercice des arts, et plus braves à la guerre.
En général, tout ce que la terre produit est conforme à la terre elle-même. »
Par ce traité, Hippocrate, né vers 460 avant J.-C. sur l’île de Kos, a cherché à exposer des observations et théories qui, pour être antiques, n’en sont pas moins restées intelligibles et familières aux modernes.
Quelques points ont appelé l’attention d’Hippocrate :
Il cherche quelle est, sur le maintien de la santé et de la production des maladies, l’influence de l’exposition des villes par rapport au soleil et aux vents. Il examine quelles sont les propriétés des eaux qui, si elles diffèrent par la saveur et par le poids, écrit-il, ne diffèrent pas moins par leurs propriétés. Ensuite, il s’efforce de signaler les maladies qui prédominent suivant les saisons. Enfin, il compare l’Europe et l’Asie, rattachant les différences physiques et morales qui en séparent les habitants aux différences du sol et du climat. Ainsi, « avec de telles recherches et cette prévision des temps, le médecin aura la plus grande instruction sur chaque cas particulier. Il saura le mieux conserver la santé, et il ne pratiquera pas avec un médiocre succès l’art de la médecine. »
La doctrine de l’influence des climats sur le caractère, sur les dispositions et sur les mœurs des peuples a fait fortune. Et de grands esprits, citons par exemple Montesquieu, l’ont acceptée sans restriction. Nul doute que le climat exerce une action énergétique sur les peuples. Hippocrate reconnaît que l’homme, être invariable et inconstant, est néanmoins modifié par les influences permanentes du sol, de l’atmosphère et de la température.
Comparant différents peuples quant à la pusillanimité et au défaut de courage, il suggère que la nature du climat rend les Européens plus belliqueux que les Asiatiques. Hippocrate ajoute également à sa doctrine que les institutions politiques modifient notablement le moral des peuples, indiquant notamment que les nations asiatiques, soumises au despotisme, sont moins belliqueuses que les nations européennes, gouvernées par leurs propres lois. Or, et l’histoire le montre, la vertu militaire n’est attachée à aucun climat ni ne dépend des institutions politiques. Elle dépend de la discipline et de la science de la guerre (polémologie).
Par divers exemples, Hippocrate remarque que les peuples diffèrent entre eux : d’une part, parce qu’ils sont placés dans des compartiments de la terre distincts par l’aspect, la configuration et la température ; d’autre part, parce que les individus d’un même peuple vivant dans une contrée partout semblable à elle-même n’ont entre eux que des différences peu considérables. Ces deux propositions appartiennent à la même doctrine anthropologique, à savoir que les hommes sont profondément modifiés par le pays qu’ils habitent. Hippocrate se tait ici sur les races – dont les modernes se sont occupés exclusivement – et il rapporte tout aux inégalités des habitations.
Il ajoute :
« Pour les races humaines comme pour les animaux domestiques, les modificateurs sont toujours les circonstances locales, notamment l’habitation, le genre de vie, et le régime diététique ; les effets, des variations, d’abord dans la taille et dans la couleur, puis dans la proportion et dans la forme des organes. »
Selon notre médecin grec, les dissemblances entre les peuples représenteraient les dissemblances du sol et du climat ; et les similitudes entre les individus d’une même nation montreraient que ces individus sont soumis, sur une grande échelle, aux mêmes influences, soit par l’effet d’un état demi-barbare, comme les Scythes, peuple indo-européen de l’Antiquité habitant la Scythie, soit par l’effet des castes, comme chez les Égyptiens.
Au sein des peuples dont les saisons changent fortement, les secousses fréquentes que donne le climat mettent dans le caractère la rudesse et éteignent la douceur et l’aménité. Chez de tels naturels prédominent les dispositions farouches. Ce serait la raison pour laquelle, nous dit Hippocrate, les habitants de l’Europe seraient plus courageux que les habitants de l’Asie :
« Une perpétuelle uniformité entretient l’indolence. Un climat variable donne de l’exercice au corps et à l’âme. Or, si le repos et l’indolence nourrissent la lâcheté, l’exercice et le travail nourrissent le courage. »
Par l’exposition de ces diverses constitutions physiques et morales, Les Airs, les eaux et les lieux constitue un des plus beaux héritages que la science moderne ait reçu de la science antique. L’influence de l’exposition, des vents et des eaux sur la santé, et celle des climats sur les dispositions physiques et morales des hommes, nous donnent un ensemble plein d’enseignements.
En guise de conclusion, il semble judicieux de reprendre cette interrogation que pose le traducteur, Émile Littré :
« En effet, quoi de plus positif et, en même temps, quoi de plus profond que ces aperçus sur l’action des causes générales, et sur les relations incontestables qui lient l’homme avec les influences cosmiques ? »
Michaël de Carvalho – Promotion Léonard de Vinci
Hippocrate, Les airs, les eaux et les lieux, arléa, 1995