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La bataille de Vienne, 1683 : vaincre ou disparaître. Première partie

Plurimillénaire, l’histoire de l’Europe s’est aussi nouée autour de quelques dates et événements clés. Son destin s’y est joué, son salut ne tenant qu’au courage et à la clairvoyance de quelques-uns. Ce fut le cas devant les murs de Vienne, en 1683... Aujourd’hui comme hier, nous sommes à la croisée des chemins et peu de choix s’offrent à nous. Il nous faut vaincre ou disparaître.

Promotion Roi Arthur

À la fin du XVe siècle, malgré le revers de la Reconquista, l’Empire ottoman ambitionne toujours d’envahir les puissances européennes. Les offensives commencent en 1481, sous le règne de Bajazet II, avec l’annexion de l’Herzégovine. Elles se poursuivent en 1484 avec la Moldavie qui se reconnaît vassale du sultan et en 1503 par la signature d’un traité de paix particulièrement désavantageux par le royaume de Hongrie. En parallèle, Bajazet forme une importante force navale commandée par des chefs pirates, des émirs corsaires et des amiraux barbaresques, qui aura pour missions principales de menacer les possessions des Vénitiens et de harceler tous les convois maritimes en Méditerranée.

En 1512, Sélim Ier arrive au pouvoir. Désireux de dominer et d’unifier l’Anatolie, il ne cherche pas à envahir l’Europe par la voie terrestre. Il fournit toutefois des navires, des pièces d’artillerie et plus de 6 000 janissaires aux chefs pirates musulmans afin de combattre la monarchie catholique d’Espagne. En 1520, alors qu’il prépare une expédition contre l’île de Rhodes, Sélim meurt et laisse la place à Soliman Ier plus connu sous le titre de Soliman le Magnifique.

L’offensive ottomane contre l’Europe

Un an après son arrivée au pouvoir, le nouveau sultan lance une puissante offensive contre Vienne qu’il considère comme le dernier rempart de la chrétienté en Europe. Les Ottomans cumulent les victoires. En 1521, la perte de Belgrade résonne comme un coup de tonnerre dans les cours européennes. La chute de Rhodes, un an plus tard, en 1522, force le départ de l’ordre des Hospitaliers[1] et met définitivement fin à la présence en Méditerranée orientale des ordres militaires nés des croisades. Elle permet également à l’Empire ottoman d’obtenir la suprématie dans cette zone maritime. En 1526, Mohács et Pest tombent à leur tour.

Et en 1529, après avoir conquis Buda, Soliman décide de lancer une grande offensive sur Vienne avec 150 000 hommes et 500 pièces d’artillerie. Fort heureusement, la vaillance et la détermination des assiégés ainsi que la rudesse du climat automnal forcent les envahisseurs islamiques à rebrousser chemin. L’issue victorieuse des combats, aussi inespérée qu’inattendue, marque la fin du premier siège de Vienne le 15 octobre 1529.

La défaite ottomane à Vienne ne marque pas pour autant la fin des prétentions de Soliman le Magnifique. Aussi, après avoir perdu Buda et été contraint de se replier sur Belgrade en 1529, il annexe la Moldavie en 1538 et assure ainsi sa domination sur cette province de la Roumanie. En 1541, il reprend Buda et y écrase la contre-attaque des Habsbourg. Charles Quint et son frère, Ferdinand Ier, roi de Bohême, de Hongrie et de Croatie, sont alors forcés de signer une trêve humiliante de cinq ans avec leurs adversaires musulmans. L’empereur en ressort affaibli politiquement, Ferdinand doit renoncer au trône hongrois et l’Empire ottoman prend une place de premier ordre dans les affaires européennes.

En 1570, le successeur de Soliman, Sélim II dit l’Ivrogne, débarque à Chypre et reprend l’île de force aux Vénitiens le 1er juillet 1570. Face à cette nouvelle provocation, le pape Pie V crée un an plus tard la Sainte-Ligue composée des États pontificaux, de la sérénissime république de Venise et du royaume d’Espagne. Avec une flotte de plus de 200 galères placées sous les ordres de don Juan d’Autriche, la coalition maritime européenne va remporter une victoire éclatante à Lépante le 7 octobre 1571. En coulant la moitié de la flotte adverse et en tuant plus de 20 000 soldats ottomans, les Européens mettent un sérieux coup d’arrêt à l’expansionnisme musulman.

La bataille de Saint-Gothard

En 1591, les Ottomans veulent de nouveau étendre leur territoire en Europe et renforcer leur autorité en Moldavie, en Valachie et en Transylvanie. Commence alors la Longue Guerre appelée aussi la guerre de Quinze Ans en raison de sa durée. Pour pouvoir contenir l’islam, le pape Clément VIII organise une alliance entre les puissances européennes[2]. Les raids en terre ottomane contrebalancent les défaites accumulées en Europe centrale et permettent aux deux camps de négocier. La guerre prend fin le 11 novembre 1606 avec le traité de Zsitvatorok qui établit un statu quo entre chrétiens et musulmans.

Le XVIIe siècle se poursuit par une période de décadence pour l’Empire ottoman, baptisée le « sultanat des femmes ». Les sultans, plus intéressés par leurs harems que par leur vocation de chef, laissent leurs mères et leurs épouses guider la politique. En parallèle, un grand nombre de mutineries et de révoltes militaires sont menées par les janissaires. C’est finalement en 1656, avec la nomination de grands vizirs issus de la dynastie albanaise des Köprülü, que le sultan retrouve son pouvoir, que les révoltes militaires cessent et que les Ottomans retrouvent à nouveau leur désir de soumettre l’Europe.

En 1663, le sultan repart en campagne contre l’Occident. Ses armées entrent de nouveau en Europe et attaquent les points stratégiques du système de défense en avant de la ville de Vienne. Face à cette menace, l’empereur Léopold Ier demande le secours des puissances européennes, notamment celui de son rival, le roi de France. Les troupes envoyées par les princes du Saint Empire romain germanique et par Louis XIV[3] arrivent en Hongrie en 1664 et sont placées sous le commandement du comte Montecuccoli.

L’armée chrétienne ainsi constituée obtient une victoire décisive le 1er août 1664 près de la ville de Saint-Gothard[4] sur la rivière Raab, ce qui met un coup d’arrêt définitif à la campagne ottomane entamée un an plus tôt. Malheureusement, l’empereur Léopold Ier n’exploite pas ce succès, tant sur le plan militaire que politique. Le 1er août 1664, le traité de Vasvár[5] est ratifié. Il impose le versement de lourdes indemnités de guerre aux Ottomans et reconnaît leur autorité sur la Transylvanie et Uyvar.

La préparation de l’offensive vers Vienne

L’Empire ottoman profite des conditions avantageuses du traité qu’il vient de ratifier avec ses adversaires pour se déployer en Europe de l’Est et y reconstituer son armée. Toutefois, la montée en puissance de la Russie des Romanov et ses velléités d’expansion inquiètent de plus en plus le sultan.

En 1667, les troupes russes prennent le contrôle de l’Ukraine jusqu’au Dniepr. En 1672, les Ottomans envahissent et dévastent la Podolie[6] et, après quatre ans de guerre contre les armées de l’Union de Pologne-Lituanie, ils se rendent maîtres de la partie occidentale de l’Ukraine. En 1676, la volonté du sultan d’étendre sa domination à l’est du Dniepr déclenche le conflit avec la Russie. Celui-ci prend fin cinq ans plus tard, le 3 janvier 1681, quand un traité de paix est signé entre les belligérants à Bahçesaray.

Si les accords signés par les Russes et les Ottomans maintiennent les conquêtes territoriales des deux empires de part et d’autre du Dniepr, ils donnent l’avantage au sultan de ne plus être inquiété sur son flanc droit et de pouvoir désormais concentrer ses efforts vers l’Occident. En outre, les conflits intra-européens qui ont marqué le XVIIe siècle et qui ont affaibli les puissances chrétiennes lui permettent d’envisager une résistance plus faible face à son offensive. L’Europe est alors en grand péril.

L’offensive ottomane

Dès son arrivée au pouvoir en 1648, le sultan Mehmed IV considère qu’il est temps pour lui d’écraser l’Europe et de soumettre les Européens. Ayant analysé les raisons de l’échec du premier siège de Vienne en 1529, il sait que le moment est propice. Par ailleurs, ses troupes sont fraîches, disciplinées et entraînées, et elles peuvent progresser sans difficulté en direction de Vienne, en longeant le Danube, grâce aux territoires sous le contrôle des Malcontents5. Lors d’un conseil de guerre qui a eu lieu le 6 août 1682, Mehmed IV décide que ses troupes doivent s’emparer des forteresses de Raab (Győr) et de Komárom, puis lancer des raids dévastateurs dans les territoires impériaux. L’attaque de Vienne, quant à elle, ne doit pas commencer tant que le Saint Empire romain germanique n’est pas affaibli. Elle est donc prévue un an plus tard, au cours de l’année 1684.

Le 30 mars 1683, après avoir reçu le commandement en chef des armées, le grand vizir Kara Mustafa quitte Andrinople et marche en direction de l’Occident à la tête de plus de 150 000 hommes[7]. Imre Thököly, le chef des Malcontents, va alors redoubler d’effort afin de le convaincre de se rendre directement à Vienne pour conquérir la ville impériale et ainsi forcer la reddition du Saint Empire romain germanique. Kara Mustafa, guidé par son ambition personnelle et le désir atavique de réduire la chrétienté à néant, va finalement choisir de désobéir au sultan pour s’élancer vers la capitale autrichienne.

La défense autrichienne

Léopold Ier a confié le commandement de l’armée impériale au duc de Lorraine, Charles V. Ainsi, dès janvier 1683, ce dernier prépare la contre-offensive avec les 32 000 hommes disponibles qui lui ont été confiés. Malgré des demandes de renforts restées vaines, il doit quitter Vienne et rassemble ses troupes dans la plaine de Kittsee, face au château de Presbourg, les 2 et 3 mai 1683.

L’empereur arrive sur le lieu de cantonnement le 4 mai et passe son armée en revue deux jours plus tard. Le 9 mai, il convoque un conseil de guerre. Y sont présents Charles V et tous les généraux impériaux. Léopold Ier décide alors de mener l’offensive mais de manière limitée afin de ne pas subir des pertes trop importantes. Il doit également choisir de quelle place forte sera prise l’artillerie pour équiper les troupes. Alors que la majorité des membres du Conseil souhaite réquisitionner les bouches à feu des arsenaux viennois, l’empereur refuse de dégarnir la défense de sa capitale. Ce sont finalement les canons de Komárom qui sont choisis pour appuyer les forces du duc de Lorraine.

Le 11 mai, l’armée impériale commence son mouvement vers les forteresses de Raab et de Komárom. L’artillerie, quant à elle, prend du retard et n’arrive à destination que le 29. Le lendemain, 30 mai, alors qu’il effectue une reconnaissance à Esztergom, Charles V comprend les intentions des Ottomans. Le temps presse et il faut agir pour éviter un encerclement par le sud-ouest et le nord-est. Malgré la pression de la Cour, le duc de Lorraine fait preuve d’une grande audace. Il décide de devancer l’ennemi et de mettre en place une défense d’usure jusqu’à la capitale.

La confrontation s’engage…

Le 4 juin, l’armée impériale est pour la première fois au contact de l’armée ottomane, à Bude. Malgré plusieurs victoires, les forces de Charles V ne sont pas assez nombreuses face à leur adversaire et ne peuvent donc que freiner son avancée. Kara Mustafa s’enfonce progressivement en Europe où il réquisitionne systématiquement la population pour creuser des puits et améliorer ses axes logistiques.

L’armée musulmane continue de marcher vers Vienne avec un dispositif réparti sur trois fuseaux. Au nord, 30 000 hommes progressent sur l’axe Nyitra-Presbourg-Vienne. Au centre, le corps principal, composé de 80 000 hommes commandés par le grand vizir en personne, progresse en direction de Vienne sur la rive sud du Danube. Enfin, au sud, 20 000 cavaliers tartares protègent le flanc des troupes sur l’axe Pápa-Sopron-Wiener Neustadt et lancent des reconnaissances en profondeur en Basse-Autriche.

Au sud, 20 000 cavaliers tartares protègent le flanc des troupes sur l’axe Pápa-Sopron-Wiener Neustadt et lancent des reconnaissances en profondeur en Basse-Autriche...

Les places fortes tombent les unes après les autres et l’armée impériale continue tant bien que mal de freiner l’avancée ennemie. Le 6 et le 7 juillet, Charles V met un coup d’arrêt aux Ottomans à Petronell. Cette victoire lui permet d’obtenir davantage de temps pour mettre en place sa défense. Cependant, le bilan du combat est très lourd, notamment au sein du commandement. En effet, le duc de Savoie, le prince Thomas d’Arenberg et un grand nombre d’officiers de valeur ont sacrifié leur vie au cours de cette bataille afin de défendre l’Europe et la chrétienté.

Finalement, le 14 juillet 1683, l’armée ottomane franchit la Schwechat et arrive à Vienne. Après une reconnaissance de la ville et de ses fortifications, Kara Mustafa ordonne la mise en place du siège. Ce sont alors pas moins de 300 000 hommes[8] qui cernent la capitale du Saint Empire romain germanique. Les Impériaux, quant à eux, n’opposent qu’une troupe hétéroclite de 13 500 hommes[9] sous le commandement du comte Ernst-Rüdiger von Starhemberg.

Dans la nuit du 14 au 15 juillet, Charles V quitte la ville avec sa cavalerie. Il compte profiter des difficultés d’organisation des Ottomans pour couper leurs axes logistiques et attaquer leurs arrières. Il espère que les attaques qu’il va mener tout au long des mois de juillet et d’août 1683 vont donner assez de temps aux défenseurs pour permettre l’arrivée de renforts avant que la ville ne tombe…

Fin de la première partie.

Arnault Fermor – Promotion Roi Arthur

Notes

  • [1] Après son départ de Rhodes, l’ordre des Hospitaliers erre pendant près de sept ans, s’installant successivement à Civitavecchia, à Viterbe et à Nice. En 1529, face à la conquête d’Alger par les frères Barberousse, l’empereur Charles Quint comprend la nécessité d’avoir un ordre militaire en Méditerranée face aux armées ottomanes. Le 24 mars 1530, il confie l’île de Malte qui dépend du royaume de Sicile à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
  • [2] Cette alliance est scellée à Prague, en 1595. Sans pour autant créer une coalition, elle unit les efforts du Saint Empire romain germanique, de la Transylvanie, de la Moldavie et de la Valachie.
  • [3] Louis XIV a accepté de venir en aide à Léopold Ier en 1664 face à la menace d’une invasion musulmane en Europe. En 1683, en revanche, aucun contingent français ne participe à la bataille en raison d’un antagonisme austro-français beaucoup plus fort. Même les supplications du pape auprès de la fille aînée de l’Église n’arriveront pas à convaincre le roi de France.
  • [4] Aujourd’hui, Szengotthárd en Hongrie.
  • [5] Le traité de Vasvár met fin à la quatrième guerre austro-turque (1663-1664). Cependant, il fait naître un profond sentiment d’injustice, d’abandon et de trahison chez les Hongrois et les Croates. C’est dans ce contexte qu’est créé le mouvement des Malcontents qui cultive la haine antiautrichienne et cherche à renverser le roi de Hongrie. Il rassemble principalement des familles nobles de Hongrie et de Croatie.
  • [6] La Podolie est une région située au centre-ouest de l’Ukraine, bordée au sud-ouest par le fleuve Dniestr.
  • [7] Ces 150 000 hommes forment une armée pour le moins hétérogène. On dénombre 40 000 Ottomans, 70 000 provinciaux, 20 000 Tartares de Crimée, 6 000 Transylvains soulevés par leur prince et 6 000 Moldaves, Valaques et Malcontents.
  • [8] Parmi ces 300 000 hommes, on dénombre seulement 130 000 combattants environ. Le reste des troupes est dédié à la logistique et aux travaux.
  • [9] Les 13 500 défenseurs de Vienne se composent de 8 725 soldats de l’armée impériale, de 1 815 hommes des milices de la ville, de 1 300 hommes de la milice des marchands, de 700 hommes de la milice de l’université et 960 hommes de la milice de la Cour. L’empereur et sa cour, quant à eux, se sont repliés à la hâte à Linz, à près de 200 kilomètres à l’ouest de Vienne.

Illustration : Bitwa pod Wiedniem (détail), huile sur toile du peintre Józef Brandt (1863). Source : Wikimedia