Jean de Brem, sentinelle de l’Europe
Officier, journaliste, militant politique… Jean-Nicolas Marcetteau de Brem est tué par le pouvoir gaulliste en 1963. Il fut trop vite oublié par les générations suivantes, et son souvenir cantonné aux cercles des nostalgiques de l’Algérie française. Jean de Brem propose pourtant une réflexion intéressante et unique sur l’Europe dans son Testament d'un Européen.
Ouvrage publié en deux volumes aux Éditions de La Table Ronde en 1964, un an après son assassinat, il couvre l’histoire du Vieux Continent, de l’Antiquité aux débuts du XXème siècle. Cette histoire, passionnée et fouillée, se lit aisément et tous les fils d’Europe devraient l’avoir dans leur bibliothèque. Elle connut hélas le même sort que son brillant auteur…
« Chacun de nous est le dernier des Européens ». Jean de Brem qui s’exprime ainsi dans son Testament1 est la figure même de cet homme européen, archétype oublié dont l’absence fait tant défaut à l’heure actuelle. À l’instar de Dominique Venner ou d’Ernst Jünger, en lui cohabitent deux entités à la fois distinctes mais, à bien y regarder, intrinsèquement liées. Il y a le combattant et l’écrivain. Courageux, dévoué, fidèle, il est l’exemple du militant qui sacrifie sa vie pour une cause supérieure tant par la plume que par le feu. Féru d’histoire et de géographie, l’auteur du Testament poursuit deux buts, dont il ne se cache pas. « J’ai voulu dans ce livre, d’une part exalter les martyrs et les grands capitaines qui ont installé sur le monde la domination de l’Europe, d’autre part dénoncer les apprentis sorciers qui ont provoqué le recul de l’Occident et préparent maintenant son écrasement total. J’ai voulu, de plus, en expliquant ce qu’est l’Europe d’aujourd’hui et ce qu’elle pourrait devenir, rendre à mon lecteur des raisons de se battre, c’est à dire une chance de gagner. »2 Pour l’écrivain, les explorateurs et les guerriers du Vieux Continent ont soumis les peuples de la terre. Il s’agit désormais de « maintenir coûte que coûte l’héritage grandiose d’un monde dont les feux ont brillé sur tous les continents, tous les océans ».
Au sujet de l’Europe, Jean de Brem écrit qu’elle « est une fourmilière d’hommes et de possibilités, dont les efforts exercés dans une direction unique, auraient des effets gigantesques et feraient basculer le prétendu sens de l’histoire »3. Le déclin de la « civilisation européenne et chrétienne » ne peut être enrayé à ses yeux que par l’alliance de ses peuples. Tout comme Pierre Drieu La Rochelle, dégoûté du nombrilisme patriotique, il affirmait : « Je sais qu’on ne peut pas rester seul en Europe, ou si l’on se croit assez fort pour y être seul on n’y fait que des folies. »4 Jean de Brem, loin de tout défaitisme, promeut l’union des nations dans un projet politique commun. Selon les propres mots de ce soldat de l’Europe, son « ouvrage, mi-historique, mi-politique (…) incite les Européens à revenir au civisme occidental (…) et exalte le passé énergique de l’Europe maîtresse du monde ».
La vision d’une nouvelle Renaissance européenne
« Il ne faut pas que l’Europe ne soit que le cadre agrandi de notre impuissance et de notre décadence », écrivait Maurice Bardèche5, autre historien de l’Europe. Jean de Brem, à l’instar de ce dernier, voit un grand destin pour l’Europe, dont le ciment intellectuel et spirituel se forme, selon lui, au Moyen-Âge et se propage dans le monde à l’époque moderne. « Le “millénaire chrétien“ a rempli sa grande mission civilisatrice : face aux païens et aux barbares, la chevalerie a maintenu la loi et l’esprit de Dieu, pendant que Byzance conservait pieusement les secrets de l’Antiquité. La synthèse de ces deux Europes médiévales, précipitée par l’Islam, s’épanouit dans la Renaissance. »6 Pour rester fidèle à cette tradition et à ces racines, l’écrivain souhaite que l’Europe, après le déclin infligé par les révolutions, se reconstruise sur un rejet du « mondialisme destructeur »7 et « une première entente de tous les hommes blancs (comprenant, si possible, les Russes) »8.
Jean de Brem développe ainsi une vision du monde9 qui cherche à préserver une « civilisation mortelle, qui se croyait invincible »10. Au début des années 1960, une telle réflexion était évidemment peu répandue donc visionnaire à bien des égards. Elle donna d’ailleurs lieu à un véritable débat d’idées à droite. Un débat qu’illustre par ailleurs l’aventure de l’Esprit Public. En effet, cette revue politique et littéraire française, considérée comme l’organe de presse officieux de l’OAS, révèlera un combat acharné entre une faction européiste révolutionnaire et une autre, plus strictement nationaliste et maurrassienne.
L’Écrivain, la politique et l’espérance…
Ces idées politiques novatrices, dont Jean de Brem fut l’un des premiers chantres, s’incarneront à travers Europe-Action, mouvement politique créé et animé par Dominique Venner en janvier 1963. Cette organisation s’appuiera sur une revue mensuelle du même nom dont Jean Mabire, partisan lui aussi d’une « Europe des patries charnelles », sera rédacteur en chef à partir de 1965. Jean Mabire couronnera cette vision européiste en rendant hommage à Jean de Brem dans le dernier chapitre de son livre L’Écrivain, la politique et l’espérance11.
« Notre monde ne sera pas sauvé par des savants aveugles ou des érudits blasés. Il sera sauvé par des poètes et des combattants, par ceux qui auront forgé l'”épée magique” dont parlait Ernst Jünger, l’épée spirituelle qui fait pâlir les monstres et les tyrans. Notre monde sera sauvé par les veilleurs postés aux frontières du royaume et du temps. » affirmait Dominique Venner12. Jean de Brem est de ceux-là. Homme d’action ne répugnant pas à user de violence (pour peu qu’il la considère comme légitime), qui n’hésite pas à tuer le banquier Lafond n’ayant pas soutenu son camarade Bastien-Thiry, il est pourtant poète idéaliste qui aime à discuter sans fin de l’avenir à bâtir13. Militant bagarreur aux Jeunes Indépendants14, il est l’adaptateur lyrique de la chanson allemande Ich hatte ein Kamerad, sous le titre La Cavalcade. Officier parachutiste bouillonnant sur le canal de Suez, il est l’auteur serein d’une histoire encyclopédique de l’Europe. Jean de Brem a fait son « devoir de nationaliste, d’Européen et de révolutionnaire ». Que l’on partage ou non ses combats, il lui appartient un mérite qui est le privilège des héros : la cohérence absolue de son combat qu’il mena sans faillir jusqu’au bout. Sans déviation ni compromis.
Adrien R. – Promotion Ernst Jünger
Notice biographique
- 2 août 1935 : Naissance dans le VIème arrondissement de Paris.
- 5 novembre 1956 : Sous-lieutenant au 2e régiment de parachutistes coloniaux, sous les ordres du colonel Château-Jobert durant la crise de Suez, il saute sur Port-Saïd.
- 1961 : S’engage dans l’OAS métropole dès sa création.
- 6 mars 1963 : Assassine le banquier Henri Lafond qui avait refusé de témoigner en faveur des accusés lors du procès du Petit-Clamart.
- 18 avril 1963 : Meurt abattu par la police, Montagne Sainte-Geneviève, en plein cœur de Paris.
- 1964 : Publication à titre posthume du Testament d’un Européen par Les Éditions de La Table Ronde.
Notes
- Les deux tomes parus aux éditions de La Table Ronde sont :
Tome 1. L’épopée européenne par un soldat de l’Europe.
Tome 2. De la Renaissance aux révolutions qui secouèrent le monde de 1780 à 1945. - Jean de Brem, Le Testament d’un Européen, L’épopée européenne par un soldat de l’Europe. La Table Ronde, 1964, p.12
- Ibid. p.15
- Pierre Drieu La Rochelle, Mesure de la France, Bernard Grasset, 1922, p.40
- Cité par Francis Bergeron, Bardèche – Qui suis-je ? Pardès, 2012. 128 p.
- Jean de Brem, Op cit p. 297
- Jean de Brem, Le Testament d’un Européen, De la Renaissance aux révolutions qui secouèrent le monde de 1780 à 1945. La Table Ronde, 1964, p. 297
- Ibid. p.347
- Selon les éditions de La Table Ronde, Jean de Brem, mort avant d’avoir achevé son livre, avait l’intention d’ajouter à son ouvrage un troisième tome, dans lequel il aurait exprimé plus profondément ses convictions personnelles sur la justification et l’avenir de l’Union européenne.
- Jean de Brem, Le Testament d’un Européen, L’épopée européenne par un soldat de l’Europe. La Table Ronde, 1964, p.8
- Jean Mabire. L’Écrivain, la politique et l’espérance, collection Europe, 1966, p. 215 à 223.
- Dominique Venner. Histoire et tradition des Européens : 30.000 ans d’identité, éditions du Rocher, 2011, 276 p.
- Jean-Marie Curutchet, Je veux la tourmente. Robert Laffont. 1973, 334 p.
- Les Jeunes Indépendants constituent le mouvement de jeunesse du Centre national des indépendants et paysans (CNIP). Parti de droite traditionnelle, il est socialement conservateur et économiquement libéral. Ses militants s’engageront nettement en faveur de l’Algérie française.
Illustration : © Solis, pour l’Institut ILIADE