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Devenir qui nous sommes : l’Europe comme héritage et comme projet

Compte-rendu du XIe colloque de l’Institut Iliade, « De l’héritage à l’engagement, l’Europe de nos enfants ».

Devenir qui nous sommes : l’Europe comme héritage et comme projet

Au début de son livre Histoire et tradition des Européens – 30 000 ans d’identité, Dominique Venner écrivait : « Tant qu’ils “commandèrent”, les Européens purent faire l’économie d’une conscience de soi fortement intériorisée, attribut et défenses des minorités insoumises. Il leur suffisait d’exister. Voilà qui est fini. Les Européens ne “commandent” plus, même chez eux, surtout chez eux[13]. » C’est dans l’optique de cerner l’Europe que nous fixons à la fois comme origine et comme destin que s’est tenu ce 6 avril dernier le XIe colloque de l’Institut Iliade, « De l’héritage à l’engagement, l’Europe de nos enfants ».

Constat critique sur l’état de l’Europe

Malheureusement, jusqu’ici, les ébauches de ce que peut être l’Europe sont plus qu’insatisfaisantes. L’intervention liminaire de Philippe Conrad[1] montre en effet combien, si l’objectif de l’Union européenne est de constituer une conscience collective européenne, elle demeure pour autant basée sur des mythes fondateurs purement négatifs, procédant d’un effacement toujours plus grand des aspérités que constituent pour elle les identités charnelles des peuples d’Europe. Culte des « droits de l’homme », sacralisation des « valeurs démocratiques », et voilà désormais que s’affirme une volonté de « faire davantage la place au multiculturalisme et à la question du genre » dans l’enseignement de notre histoire. Pourtant, tout en se tournant plus que jamais vers l’extérieur, l’Europe de Bruxelles est de plus en plus incapable de répondre aux problématiques qui lui sont internes. Christophe Réveillard et Lionel Rondouin nous le rappellent dans leurs interventions respectives[4] [10], ce dernier notant d’ailleurs une disparition des compétences diplomatiques des différents pays occidentaux. C’est enfin sur la question de l’appartenance et des frontières qu’Olivier Eichenlaub nous offre une fenêtre de réflexion[6] sur la problématique de l’identité, fondée sur des appartenances multiples, s’entrechevauchant et rendant la notion de frontière bien trop simpliste pour décrire la réalité des peuples d’Europe. 

C’est d’ailleurs à travers cette notion de frontière qu’il convient de considérer le rapport de l’Europe avec les autres puissances et entités qui composent le monde. Olivier Eichenlaub pose donc, à travers les trois exemples que sont la Russie, la Turquie et la Méditerranée, les bases d’une réflexion sur des espaces qu’il désigne comme « confins », dont l’appartenance à un continent déterminé est floue, et avec lesquels l’Europe devra impérativement dialoguer, dans une visée d’autodétermination. Et puisque l’Europe n’est pas une simple île, comme l’affirme Benedikt Kaiser[5] dans son discours, il serait donc illusoire de penser pouvoir faire fi des autres puissances qui cherchent naturellement à faire jouer leurs propres intérêts. C’est ce que met en lumière Christophe Réveillard[4], plus particulièrement à travers la figure de Jean Monnet, en démontrant que les limites entre liens privés et publics, européens et américains, ne laissent aucun doute sur le fait que, sans incarnation d’une volonté et d’un projet de puissance en Europe, l’Union européenne ne sera qu’une vague zone tampon marginale de l’Occident. Mais c’est encore – nous explique Bernard Lugan[7] – faire abstraction des quantités de peuples, d’inspirations revanchardes attisées par l’arrogance universaliste de la gauche qui profite du recul actuel de l’Europe, n’ayant pour seule réponse du pays légal que l’obligation pour les autochtones d’accepter ces altérités fondamentales sur son propre sol. Pour lutter contre cela, il faut des Européens conscients d’eux-mêmes et debout chez eux.

Le retour des Européens sur eux-mêmes

Pour cerner ce qui distingue les Européens des autres civilisations, il convient de s’attarder d’abord sur une problématique fondamentalement interne à nos peuples qui est la place de la liberté, et, à cette fin, de comprendre la différence fondamentale entre société et communauté, que nous explique Pierre Gentillet[8] en se référant au sociologue Ferdinand Tönnies : la première est avant tout affaire d’intérêts individuels, quand la seconde se fonde sur les liens charnels en dépit des séparations empiriques. C’est cette dernière que l’on trouve aux origines des peuples européens. Dans la communauté, la liberté devient avant tout devoir envers les siens, envers sa cité. Dans la société, au contraire, la liberté se cantonne à la jouissance individuelle. Le libéralisme, en tant qu’il est systématisation de ce principe – qui, comme tout principe, peut être dévoyé – est donc une des plus grandes sources de détachement des communautés au profit d’une société de consommateurs déracinés. Il est par ailleurs bien contradictoire – et c’est là un des symptômes du déclin de cette société de marchands – que, sous couvert de libéralisme toujours plus débridé, l’on voit la liberté d’expression autant bafouée, comme nous le démontre Jean-Yves Le Gallou[9].

Car l’Europe, c’est la civilisation du débat, de la critique, d’un niveau de réflexion qui ne saurait se satisfaire des tiédeurs dogmatiques. Au cours de son discours[2], Olivier Battistini nous explique bien à quel point l’opposition des contraires se suffit à elle-même, et n’appelle pas de synthèse simplificatrice comme dans la vision eschatologique marxiste. Du tertium datur à la troisième voie, les Européens savent penser l’harmonie comme un équilibre en mouvement, à la manière de la mécanique céleste. O. Battistini propose alors une piste d’invariant de l’Europe : la tentative de rencontre pourtant impossible entre philosophie et religion, entre Athènes et Jérusalem.

Pierluigi Locchi[3], lui, va chercher plus loin encore, dans notre histoire commune, chez les Indo-Européens. Ces derniers – et le mythe que nous en avons –, en tant qu’ils sont avant tout le fruit de découvertes rendues possibles par les avancées linguistiques et paléogénétiques, marquent bien l’interpénétration du passé, du présent, et de l’avenir. C’est là, à son sens, la spécificité des Européens : leur conception de l’histoire. Une histoire ouverte, dont le passé est constamment réactualisé par sa représentation dans notre mémoire ; dont le futur est, lui aussi, rendu présent par le biais d’un projet ; laissant donc à chaque instant l’Européen, engagé par son héritage, sur le chemin de l’action vers le destin qu’il s’est fixé.

L’engagement vers notre destin

Ce destin, ce projet, c’est celui de la renaissance européenne face au déclin de l’Occident. Cette dernière revêt alors plusieurs formes en fonction de l’endroit d’où nous l’envisageons. C’est tout d’abord Thibaud Gibelin qui nous livre un discours[11] sur la notion d’empire européen. Sous l’interrègne du nouvel ordre mondial, centré en Amérique, il nous faut retrouver les caractéristiques d’un empire qui nous soit propre. Tout d’abord, rétablir le primat du politique sur l’argent, afin de regagner une pleine souveraineté liée au territoire européen. Ensuite, insuffler à nouveau un dynamisme civique, rallier plutôt que soumettre ; que se distinguent les meilleurs, et que tous « oublient la modestie de leur rang dans l’importance de leurs fonctions[14] », comme l’écrivait Abel Bonnard. Enfin, que l’autorité renoue avec le caractère sacré qui lui incombe : « L’empire relie le ciel et la terre, il est la manifestation supérieure d’un ensemble de croyances dont il tire sa dimension spirituelle[11]. » Aujourd’hui, le pouvoir en place est notre profonde antithèse, mais nous réalisons que le désastre a déjà eu lieu ; et parce que « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve[15] », nous en appelons à un recommencement. Paradoxalement – et nous, Européens, savons combien les tensions contraires sont fécondes –, c’est notamment face à cette dépossession commune d’eux-mêmes que les peuples d’Europe prennent aujourd’hui acte d’une existence commune. Invoquant l’innocence du devenir, T. Gibelin clôt son discours : « Empire européen ? Nous devons désapprendre le mot pour retrouver la chose. Nous n’avons pas tant besoin d’un idéal ardemment cru ; mais d’abord d’un réalisme cru, c’est-à-dire vigoureux, pugnace, qui exige une poigne tenace et de fortes mâchoires. Car toute organisation de la puissance des Européens, pour sanctuariser le territoire de nos nations et rallier les énergies de nos peuples, sera, et sous un jour inédit, la forme impériale de notre avenir[11]. »

Le colloque se conclut alors par un discours[12] des plus inspirants, celui de Marion du Faouët dessinant les contours d’une révolution authentiquement européenne. Si la prise de conscience développe en nous le sentiment d’être à part, ce n’est pas pour autant aux marges que nous voulons nous reléguer. En reprenant l’étymologie du mot révolution, on trouve le retour au point d’origine. Pour nous, le rétablissement d’un ordre juste. On peut alors voir cette révolution jusque dans le printemps ou la mécanique céleste. Afin de la mener à bien, cependant, il nous faudra des Européens capables d’être à la hauteur de cette tâche civilisationnelle ; c’est à la formation de ces derniers que participe l’Institut Iliade depuis déjà dix ans. Les Européens de demain auront alors besoin de trois armes : l’humilité, la radicalité et la communauté. L’humilité, en premier lieu, doit s’appliquer à la fois à l’égard de ceux qui nous ont précédés dans la lutte, et de nos capacités et du combat à mener ; nous devons, chacun, trouver notre place dans l’entreprise de régénération dont nous avons reçu la responsabilité à notre naissance. La radicalité ensuite – qui ne se confond nullement avec un quelconque extrémisme – requiert plutôt que nous retournions à la racine des problèmes auxquels nous faisons face, mais également que nous retrouvions nos racines authentiques. C’est enfin dans les rangs de la communauté solidaire que les Européens renoueront le fil de leur histoire et de leur identité la plus solide et ancienne. Et Marion du Faouët termine alors sur ces mots, tournés vers l’avenir mais bien enracinés dans le prolongement de notre passé : « Alors chers amis, soyons dès aujourd’hui des Rebelles ! L’Europe, terre de nos pères, sera la terre de nos enfants si nous parvenons à tenir notre rang : être des passeurs de mémoire, conscients de la nécessité de notre rôle de sentinelles veillant à la fois sur les braises de notre passé, sur les remparts de nos citadelles et sur cette nouvelle génération qui se lève, fière et audacieuse, prête à défendre notre civilisation, et qui, refusant la laideur et les facilités d’une vie artificielle, s’engagera à son tour dans la voie étroite de la révolution, par fidélité à ce qu’elle est : une Europe debout[12] ! »

Un compte-rendu de Sylvain Héliaz – Promotion Richard Wagner

Références

  1. Philippe Conrad, « L’Europe, notre héritage commun », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  2. Pierluigi Locchi, « L’Europe, un mythe et un destin », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  3. Olivier Battistini, « Europe ou Occident ? Aux sources de notre identité », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  4. Christophe Réveillard, « Généalogie critique de l’Union européenne », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  5. Benedikt Kaiser, « “Et nous serons Européens” – Une évidence si simple, une réalisation si complexe », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  6. Olivier Eichenlaub, « Frontières en Europe, frontières de l’Europe », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  7. Bernard Lugan, « L’Européen et les autres peuples », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  8. Pierre Gentillet, « Contre la société libérale, retrouver la communauté des Européens », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  9. Jean-Yves Le Gallou, « L’Europe, civilisation des libertés », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  10. Lionel Rondouin, « L’Europe, terre du milieu », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  11. Thibaud Gibelin, « L’empire européen : du désastre organisé à l’horizon nécessaire », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  12. Marion du Faouët, « Pour une révolution européenne ! », XIe colloque de l’Institut Iliade.
  13. Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens – 30 000 ans d’identité.
  14. Abel Bonnard, Les Modérés.
  15. Friedrich Hölderlin, Hymne des Titans, IV.