Rome et ses légions
Batailles mémorables de l’histoire de l’Europe. Troisième partie
Dans son livre « Histoire des guerres romaines », Yann Le Bohec indique que la légion romaine fut un redoutable outil de conquête de par l’excellence dont elle faisait preuve dans tous les domaines : encadrement, entraînement, logistique, tactique… Il est impossible d’en détailler tous les points forts en quelques lignes. Aussi, n’en retiendrons nous que deux, illustrés ensuite par deux batailles emblématiques.
Une organisation polyvalente, souple et évolutive
A la fin du VIe siècle av JC, lorsque Rome n’est encore qu’une toute jeune République, son armée est directement inspirée du modèle grec et s’appuie sur la phalange hoplitique constituée des citoyens les plus riches, seuls à même d’acquérir casque, cuirasse intégrale (le thorax) et jambières en bronze. Deux siècles plus tard, sous la menace des incursions permanentes des tribus celtes de la plaine du Pô, le dictateur Camille fait évoluer l’organisation en créant une nouvelle unité, la manipule, composée de deux centuries (soit 200 hommes). Au IIe siècle av. JC, la légion évolue encore en se regroupant en dix cohortes composées chacune de trois manipules afin d’agir de façon plus compacte.
Lors de son accession à la dignité impériale, Octave, devenu Auguste, réforme une nouvelle fois l’armée en professionnalisant son recrutement et en sédentarisant les légions. Celles-ci ne sont toutefois pas stationnées pour défendre le territoire autour de leur implantation mais plutôt pour servir de forces mobiles d’intervention, raison pour laquelle elles sont majoritairement casernées dans les régions les plus sensibles de l’empire (notamment la frontière du Rhin et du Danube), que ce soit pour réprimer les incessantes révoltes indigènes ou pour contrer les incursions des peuples voisins.
Au combat, la légion romaine est alors disposée en trois lignes distinctes de soldats : choisis parmi les hommes les plus vigoureux, les Hastati et les Principes composent les deux premiers rangs tandis que les Triarii, hommes d’âge plus mûr mais aussi d’une plus grande expérience, composent le troisième rang. La légion est également renforcée par des unités de vélites, infanterie légère équipée de javelots, d’arcs ou de frondes ainsi que d’unités de cavalerie et d’unités d’auxiliaires, en grande partie composées par les peuples alliés (Gaulois, Celtibères, Thraces, Germains…).
Les légions forment l’ossature de l’armée romaine et apparaissent traditionnellement comme l’infanterie lourde par opposition à l’infanterie légère : la légion avance en rangs bien ordonnés et compacts. Les légionnaires affaiblissent d’abord l’ennemi par le jet de leurs pila qui peuvent briser les formations adverses en transperçant les boucliers et les soldats sans cuirasses. Puis, ils cherchent le combat au glaive, le célèbre gladius, qui permet de donner de redoutables coups d’estoc au visage ou au torse. À l’inverse, les vélites attaquent principalement en ordre dispersé, ce qui pouvait s’avérer bien utile face aux peuples privilégiant le combat singulier.
La romanité, une morale au service du moral… du soldat
L’état d’esprit du Romain s’appuie sur deux vertus individuelles que rappelle Dominique Venner dans son livre Histoire et Tradition des européens : D’un côté la virtus, « ce qui distingue un homme, vir, l’énergie morale, la maîtrise de soi, la force d’âme » ainsi que l’attachement à la tradition. De l’autre, la dignitas qui se mesure « dans ce que chacun accomplit pour la grandeur du peuple romain ». Elle n’est pas une contrainte collective mais une responsabilité individuelle qui pousse chacun à adopter un comportement le plus exemplaire possible, sous le regard exigeant de ses ancêtres et des dieux. C’est ce même sentiment qui pousse le soldat romain, et plus encore son général, à préférer la mort au déshonneur de la reddition.
Zama (202 av. JC) et Pydna (168 av. JC), deux batailles emblématiques
Sous la République, la légion romaine est l’outil qui, appuyant une énergique diplomatie, permet l’extension territoriale de l’Urbs. Cette expansion ne peut s’effectuer sans affrontement avec les grandes puissances de l’époque. À ce titre, méritent d’être évoquées les victoires de Zama, contre les Carthaginois, et de Pydna, contre les Macédoniens.
La bataille de Zama, qui marque la fin de la deuxième guerre punique, oppose deux stratèges de qualité dont le plus ancien, Hannibal, était auréolé de ses victoires passées sur les légions dans le Tessin, au lac Trasimène et à Cannes. Pourtant, si le nombre et la qualité donnent un avantage certain aux Carthaginois, le général qui commande les troupes romaines, Scipion, dit l’Africain par la suite, s’était bien préparé à affronter son prestigieux aîné. Il avait disposé ses manipules les unes derrière les autres afin de laisser les éléphants de guerre d’Hannibal s’engouffrer dans ces corridors ainsi constitués, non sans cribler au passage les pachydermes et leurs conducteurs.
Mais c’est surtout à la combativité de ses légionnaires que Scipion doit la victoire. En effet, après la charge des éléphants, les Romains chargent, la cavalerie carthaginoise entraînant à sa suite, par tactique ou par peur, la cavalerie romaine et laissant s’affronter les seuls fantassins. Si Hannibal compte bien que les guerriers puniques et macédoniens de son deuxième rang, sinon les mercenaires de son premier rang, enfoncent les colonnes des jeunes légionnaires placées en tête, il va en être autrement. C’est en effet sans compter avec la pugnacité des légionnaires romains dont la vaillance fait reculer les premiers rangs carthaginois, suffisamment pour parvenir au contact des vétérans d’Hannibal, ses troupes les plus sûres qui mettent en difficulté l’infanterie romaine. Celle-ci tient bon malgré tout, et suffisamment longtemps pour que la cavalerie romaine, de retour, prenne à revers les Carthaginois et provoque la déroute de ces derniers, qui laissent la moitié des leurs sur le champ de bataille, soit 25 000 morts. La route de Carthage est ouverte…
Après leur victoire sur Carthage, les Romains se tournent vers leur dernier adversaire sérieux autour de la Méditerranée : la Macédoine. La Grèce est alors divisée entre un royaume de Macédoine, héritier de l’Empire d’Alexandre le Grand et des cités ou royaumes conservant la nostalgie de leur indépendance passée. Ceci fournit un prétexte à Rome pour déclarer la guerre d’abord au roi Philippe V qui est battu à la bataille des Cynoscéphales en juin 197 av. JC, puis à l’autre royaume héritier d’Alexandre, la Syrie d’Antiochus III (battu à la bataille de Magnésie en janvier 189 av. JC) et enfin au roi Persée, successeur de Philippe V.
Cette troisième et dernière guerre de Macédoine se termine par la célèbre et décisive bataille de Pydna, sur les berges du fleuve Leukos, dans l’est de la Macédoine. L’affrontement, qui met aux prises essentiellement de l’infanterie, permet de mesurer combien les légions romaines avaient définitivement appris à éviter le choc frontal de la phalange grecque en glissant progressivement de petites troupes de légionnaires sur les flancs des lourdes formations hoplitiques, éloignées les unes des autres. Pilonnés par les jets de pila et attaqués au corps à corps par les légionnaires, les guerriers phalangites sont finalement contraints de reculer, d’abord lentement puis plus rapidement, leur mouvement tournant bientôt à la débâcle. C’est d’ailleurs dans ce mouvement de fuite que la plupart des pertes macédoniennes eurent lieu, atteignant le chiffre de 20 000 fantassins auxquels il faut ajouter environ 6000 prisonniers (sur une armée estimée à 44 000 hommes). C’est ainsi à ses qualités de discipline et de capacité manœuvrière que la légion romaine devra de réussir à vaincre cet adversaire réputé invincible qu’était la phalange macédonienne.
Nicolas L. — Promotion Marc Aurèle