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Permanence de la tradition en Alsace, voyage du champ à l’assiette (3/3)

L’Alsace foisonne d’initiatives individuelles ou collectives qui révèlent un lien fort avec une tradition qui, loin de mourir, paraît renaître sous des formes inattendues, parfois même inconscientes. Troisième et dernière partie.

Permanence de la tradition en Alsace, voyage du champ à l’assiette (2/3)

Qui ne connaît pas la flammekueche ou la choucroute, le baeckeoffe ou le bibeleskäs ? Si ces noms ne vous disent rien, un voyage en Alsace s’impose ! Dans cette région, les plats traditionnels sont toujours servis dans la plupart des restaurants, tout comme les vins blancs qui font la fierté des vignerons. Au-delà des tables de restaurant, on retrouve chez les vrais Alsaciens une aisance aux fourneaux pour cuisiner ce genre de mets et un appétit qui y fait honneur. Nous verrons comment l’Alsace parvient à sublimer les produits de sa terre, hier comme aujourd’hui, pour offrir saveur et convivialité à ceux qui ont le bonheur de s’asseoir à sa table.

Les restaurants en Alsace : plats traditionnels et soirées conviviales

Ne croyez pas trouver en Alsace de nombreuses tables à touristes. Tous les villages ou presque ont leur restaurant où vous trouverez attablés les habitants des environs. Manger en famille ou entre amis au restaurant en Alsace, c’est profiter d’un bon plat (les portions sont toujours généreuses) et d’un moment privilégié pour resserrer les liens sociaux. Les incontournables de la carte sont la choucroute, avec parfois une variante au poisson – preuve d’inventivité dans la tradition –, le baeckeofe (trois viandes cuites longuement à l’étouffée avec des pommes de terre et des légumes), un bibelekäs (au fromage blanc servi avec des pommes de terre) et bien entendu la tarte flambée, ou flammekueche.

Cette recette de tarte flambée remonte au moins du XVIIIe siècle, lorsque l’on faisait cuire le pain au feu de bois, une ou deux fois par mois. La pâte à pain restante était étalée et tartinée de lait caillé. Cuite au four, elle faisait le régal de la communauté. Cela fut plus tard agrémenté de lardons et d’oignons, la crème ayant remplacé le lait caillé. Mais il faut attendre les années 1960 pour trouver cette simple recette familiale au restaurant. Si le monde paysan a presque cessé d’exister, la table alsacienne perpétue ses traditions culinaires.

À La Couronne, à Scherwiller, ou au Marronnier, à Stutzheim-Offenheim, les traditions sont respectées pour offrir des plats copieux et savoureux, dans une ambiance familiale, communautaire au bon sens du terme, et un flot d’odeurs appétissantes. Même le mobilier et la décoration s’inscrivent dans la tradition alsacienne. Plébiscités par les riverains, ces restaurants (et tant d’autres) sont méconnus des touristes. Loin d’être muséifiée, cette tradition de la table est bien vivante : il suffit de pousser les portes d’un de ces établissements pour s’en apercevoir. Cela nous rappelle les banquets d’autrefois, les grands repas, les auberges où l’on pouvait s’asseoir, manger et trinquer avec des produits du terroir. Parfois même, des échanges se nouent d’une table à l’autre, symbole de cette « volonté de vivre-ensemble » nécessaire aux communautés comme aux nations.

D’ailleurs les cuisines sont toujours alimentées par les terres avoisinantes : le vin d’Alsace est partout présent, le munster est cuisiné ou servi tel quel, la choucroute vient de Krautergersheim… On peut regretter qu’il n’y ait pas encore plus d’interactions entre les producteurs et les restaurateurs. Cependant la tendance est aux produits locaux, et les chefs sont fiers d’afficher que le fromage vient d’une ferme voisine, ou le jus de pomme du village d’à côté. Ces restaurants sont les successeurs des auberges d’autrefois.

Les bredele, témoins de la vitalité de la tradition dans les foyers alsaciens

Au restaurant, la tradition est bien vivante. Mais dans le cadre domestique, qu’en est-il ? L’hiver, avant Noël, entre les murs chauffés par l’âtre, les familles alsaciennes se réunissent pour confectionner des bredele, de petits sablés aux formes diverses. Des fouilles archéologiques ont révélé des moules datant du XIVe siècle ! Cette réunion familiale pour « pâtisser » ensemble a été adoptée par la plupart des foyers alsaciens aux siècles suivants. Le mot « bredele » provient sans doute du Brot (pain) allemand dont il formerait en langage enfantin un diminutif, « petit pain ». Il reste aujourd’hui courant de dénommer ainsi ces petits gâteaux, y compris sous la variante, entendue dans la bouche d’Alsaciens « de souche », « Winachtsbredle », petits gâteaux de Noël. Associés à la fête de Noël, ces gâteaux symbolisent un temps de partage et de convivialité : ils sont confectionnés en famille, dégustés avec des visiteurs à qui l’on en offre volontiers. Cela reste strictement vrai aujourd’hui, les mêmes scènes domestiques autour des Bredele se sont sans doute reproduites, parfois dans les mêmes maisons, à des siècles d’intervalle. C’est certainement une des traditions culinaires les plus vivantes d’Alsace.

La simplicité de la recette simple contribue à la popularité de cette activité pâtissière : quelques ingrédients seulement (beurre, farine, œuf…) et un simple four font parfaitement l’affaire. Les boulangers suivent avec intérêt cette tradition et proposent leur propre production à la vente. Mais l’intérêt gustatif de ces biscuits reste discutable et leur popularité tient davantage aux liens communautaires qu’ils contribuent à maintenir, voire à renforcer. En Alsace, la tradition de Noël s’agrémente de ce temps de partage et de convivialité, qui donne un véritable temps de fête, vécu comme tel par les habitants.

Le vin et la bière, une consommation qui n’a pas changé depuis des siècles

Si les étudiants préfèrent à un bon vin des mélanges douteux d’alcools forts, ce n’est pas le cas d’une majeure partie de la population. Les alcools très anciens que sont le vin et la bière connaissent en effet un succès croissant d’année en année, tant sur le plan de la production (on comptait moins de 200 micro-brasseries en France en 2007, contre bien plus de 1 000 aujourd’hui) que sur celui de la consommation. La brasserie La Narcose, à Scharrachbergheim-Irmstett, brasse avec des houblons du lycée agricole d’Obernai des bières (en bio) d’une qualité remarquable. Brunes, ambrées, blondes et blanches, à l’ortie… la créativité est au service de la finesse du goût. Vendues notamment en direct, ces bières créent un véritable lien entre le brasseur et l’amateur. Loin des productions colossales des usines Kronenbourg, ces petites micro-brasseries renouent avec la tradition européenne de la production de bière, où chaque pays fournissait une riche diversité de goûts, avec des recettes bien gardées. Aujourd’hui, l’Alsace assure plus de 60 % de la production nationale de bière, la région étant aussi la première productrice de houblon cultivé sur 415 hectares dédiés.

Fêtes locales ou bars et restaurants de proximité sont autant d’occasions de savourer ces productions locales. Les clients raffolent de ces nouveaux endroits où la proximité avec le producteur n’est pas qu’une idée marketing. Au Garde-Fou, à Strasbourg, des bières des alentours sont servies : le bar ne désemplit pas.

Il en va de même pour le vin, que les restaurants proposent tous à la carte. Un assortiment de gewurztraminer (plus sucré), de riesling (plus sec), de muscat ou autre pinot noir ou gris se retrouve toujours dans les caves des restaurants. Ces mêmes vins sont appréciés dans le cadre du foyer, pour déguster un foie gras (mets né en Alsace et non dans le Sud-Ouest !) ou un plat banal. Comme autrefois, le vin est servi à table, la chope de bière consommée dans les bars, dignes successeurs des tavernes et des auberges. L’évolution de la société n’a pas fait mourir ces habitudes ancestrales.

Conclusion : La tradition sous nos yeux

La tradition se niche là où ne l’attend pas. Et pour cause, nous la vivons sans le savoir, elle imprègne notre quotidien. C’est ce qui la rend vivante, permanente, éternelle. L’alimentation est souvent délaissée, alors qu’elle détermine à la fois notre santé et la vitalité de notre cellule familiale, nos liens communautaires et la structure de nos paysages.

Ces articles ont pour vocation de démontrer à la fois l’importance de ce monde et la tradition qui y est toujours vivante. Le but est de faire naître la conviction chez le lecteur que bien des changements positifs sont en cours, que nous nous devons de les soutenir au mieux. Et surtout, au-delà de l’alimentation, essayons de renouer avec la vigueur de la tradition dans l’architecture, l’habillement, l’art et l’artisanat, dans nos foyers et dans les espaces publics.

Thibault Fontannes, auditeur de la promotion Marc-Aurèle