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Alexandre le Grand (356 av. J.-C. – 323 av. J.-C.)

Pourquoi Alexandre fut grand ? Incarnation de la civilisation grecque face aux Barbares, fasciné cependant par l’Orient, il fut multiple, apollinien et dionysiaque. Reste le souvenir d’un destin et d’une conquête hors du commun.

Alexandre le Grand (356 av. J.-C. – 323 av. J.-C.)

Maître de la Grèce à 20 ans, Alexandre domine une dizaine d’années plus tard un empire s’étendant de la mer Égée au Pamir et de l’océan Indien aux Balkans. Peu de sources contemporaines relatant ce périple de 18 000 kilomètres sont parvenues jusqu’à nous. Mais les textes plus tardifs ont donné à cette épopée son aspect légendaire, voire mythique : n’aurait-il pas lancé, en débarquant en Asie : « À toi Zeus, le ciel, à moi, la terre » ? Sa beauté juvénile, son courage et son génie militaire en ont fait une éblouissante figure de l’imaginaire européen. Tantôt perçu comme l’incarnation de la civilisation sur les mondes barbares, tantôt présenté comme le héraut de la fusion de l’Occident et de l’Orient, on lui a aussi reproché d’avoir été gagné par ses propres conquêtes. Sans doute reste-t-il un personnage difficile à saisir, porteur de valeurs grecques toute apolliniennes, mais aussi d’une démesure profondément dionysiaque.

Alexandre est né en 356 av. J.-C. dans une Macédoine en pleine expansion. Son père, Philippe II, a en effet entrepris depuis son accession au pouvoir de transformer ce royaume périphérique du monde hellénique en un puissant État centralisé. Il étend son territoire, consolide ses frontières septentrionales et triple les effectifs d’une armée devenue quasiment professionnelle. Maître de la rive européenne du Bosphore et de l’Hellespont, sa progression le long des côtes thraces reste pourtant freinée par les satrapes du Grand Roi qui soutiennent financièrement les révoltes suscitées par l’essor de la Macédoine. Convaincu de la supériorité de ses troupes sur la lâcheté traditionnellement attribuée aux Orientaux, Philippe projette d’attaquer l’Empire perse et cherche dans ce but à nouer des alliances en Grèce méridionale. Il s’y heurte au mépris affiché par les cités à l’encontre d’un royaume jugé barbare et soupçonné de vouloir imposer son hégémonie au sud des Balkans.

Naissance d’un chef

C’est dans ce contexte que grandit Alexandre qui, très jeune, fait déjà montre d’un fort caractère. Pour « fléchir la nature rebelle de l’enfant », Philippe doit ainsi lui trouver un précepteur d’exception en la personne d’Aristote. Ce dernier exercera une grande influence sur la formation intellectuelle du jeune prince, forcé de reconnaître que s’il doit à son père de vivre, c’est bien au prestigieux philosophe qu’il doit de « bien vivre ». Le fameux épisode de Bucéphale témoigne d’une fougue et d’une ténacité que l’on retrouve dans les rapports parfois houleux qu’il entretient avec son père. Mais cela ne l’empêche pas de jouer un rôle politique important et d’être surtout l’un des acteurs décisifs, en 338 av. J.-C., de l’écrasante victoire de Chéronée, remportée sur les cités grecques coalisées contre la Macédoine. Elle permet à Philippe d’imposer la constitution de la ligue de Corinthe dont il est fait « hegemon » et de préparer sa campagne en Asie, où un premier corps expéditionnaire a déjà pris pied.

Mais en 336 av J.-C., le roi est poignardé lors des noces de sa fille. Soupçonné d’avoir trempé dans un assassinat qui semble pourtant n’avoir été motivé que par la rancœur très personnelle d’un garde du corps humilié, Alexandre s’impose sans mal en Macédoine. Mais il lui faut raffermir les positions au nord du royaume, par une campagne qui le mène jusqu’au Danube, et raser Thèbes pour mettre un terme à la révolte des cités grecques. Il déploie alors une intense propagande pour servir ses projets asiatiques. S’il ne rêve sans doute pas encore de conquérir l’Empire perse, il prétend venger l’incendie d’Athènes par Xerxès en 480, lors de la Seconde Guerre médique et construire l’unité du monde grec si chère à Isocrate en offrant aux cités depuis longtemps divisées un adversaire commun.

Trancher le nœud gordien

En 334 av. J.-C., à la tête de 40 000 hommes, Alexandre fiche sa lance dans la terre achéménide de Darius III Codoman, qui est loin de connaître la décadence qu’on lui prête souvent à cette époque. Pour faire siens les exploits des Achéens de l’Iliade, il se rend en pèlerinage à Troie, avant de rencontrer son adversaire sur les bords du Granique. Commandés par un satrape local, les Perses, en nombre trois fois supérieur, sont balayés par la redoutable machine de guerre façonnée par Philippe II : la phalange macédonienne. Cette infanterie lourde, plus mobile que les hoplites traditionnels, et équipée d’une longue lance, la sarisse, est d’autant plus efficace qu’elle est soutenue par une impétueuse cavalerie, conduite par Alexandre en personne. Le jeune roi charismatique fait preuve d’une bravoure exemplaire, avant de se montrer intraitable avec les mercenaires grecs, traditionnellement nombreux dans l’armée perse, en les faisant tous exécuter.

Alexandre effectue ensuite une véritable promenade militaire en Asie Mineure et en Phrygie, où le fameux épisode du nœud gordien lui promet de façon opportune la domination sur l’Asie. En 333 av. J.-C., à Issos, il affronte une armée perse dirigée par le Grand Roi lui-même. La supériorité manœuvrière des Grecs l’emporte une nouvelle fois, contraignant Darius à la fuite. La route de la Phénicie et de la Palestine est désormais ouverte et doit permettre de s’assurer du littoral de la Méditerranée orientale qu’écume une flotte au service des Perses. La lutte est alors plus acharnée, notamment devant Tyr qui résiste six mois durant à un siège témoignant de la maîtrise de la poliorcétique par les ingénieurs grecs. Alexandre s’y montrera aussi impitoyable qu’il saura en d’autres moments faire preuve d’une grande mansuétude.

Avant de s’enfoncer plus avant en Asie, il rallie l’Égypte, soumise aux Perses depuis la fin du VIe siècle av. J.-C. Accueilli en libérateur, il ceint à Memphis la double couronne des pharaons. Déjà convaincu de descendre tout à la fois d’Héraklès et d’Achille, il parfait son image de héros chéri des dieux en se rendant dans le sanctuaire de Siwa, en plein désert, où le prêtre le reconnaît comme « le fils d’Amon ». Alors que ses architectes posent la première d’Alexandrie, le jeune conquérant repart vers l’Asie. À Gaugamèles, au Nord de la grande plaine assyrienne, la charge fulgurante de sa cavalerie est une nouvelle fois décisive face aux soldats de Darius. L’élite locale se désolidarise alors du vaincu pour traiter avec celui qu’elle nomme « Iskandar ».

Les portes de l’Asie s’ouvrent…

Tandis que le Grand Roi tente de lever une nouvelle armée, ces négociations ouvrent les portes de Babylone. La marche irrépressible des Grecs devient néanmoins plus difficile lorsqu’ils abordent le plateau iranien. Après n’avoir rencontré qu’enthousiasme ou indifférence, ils doivent désormais faire face à une profonde hostilité. Peut-être faut-il voir là une explication au sort réservé à Persépolis, livrée aux flammes, même si Alexandre renouvelle pour l’occasion le discours panhellénique de la vengeance d’Athènes. Un thème mobilisateur à l’heure où, en Europe, Sparte se révolte violemment contre la domination macédonienne.

Alors qu’il était lancé à sa poursuite, Alexandre apprend la mort de Darius, assassiné par un satrape félon au cours de l’été 330 av. J.-C. Il venge celui dont il se pose comme l’héritier et entreprend de soumettre les populations montagnardes des régions les plus excentrées de ce qu’il considère désormais comme son empire. La pacification de la Sogdiane et de la Bactriane [nord de l’actuel Afghanistan] est marquée par une guérilla difficile contre un ennemi moins aisément identifiable. Mais la fondation de cités et un mariage très politique avec une princesse locale, Roxane, contribuent au ralliement progressif des indigènes.

Cette périlleuse traversée de l’Asie centrale est marquée par des tensions au sein de l’entourage d’Alexandre qui, en dépit de l’enseignement aristotélicien de la juste mesure, laisse resurgir un tempérament impulsif et violent. En 330 av. J.-C., déjà, il s’était débarrassé du puissant Parménion, hostile à la poursuite de l’expédition. A l’occasion d’un banquet trop arrosé, il tue cette fois de ses propres mains son ami Cleitos qui lui reprochait ses pratiques autocratiques, l’accueil trop conciliant réservé à l’aristocratie iranienne, mais aussi l’adoption  de l’étiquette orientale jugée dégradante par les Grecs. La proskynèse, cette inclination traditionnelle devant le Grand Roi, considéré comme un dieu, est vivement critiquée par Callisthène. Il sera exécuté pour avoir rappelé que les rapports d’homme à homme ne sont pas, chez les Macédoniens, de l’ordre de la soumission. C’est là le principal ressort du complot des pages, auxquels Quinte-Curce prête ses reproches :

« Tu as substitué, à une royauté sur des hommes libres, un despotisme sur des esclaves (…) le costume, la civilisation perses t’enchantent, tu as pris haine pour les mœurs de ta patrie. Nous avons donc voulu tuer le roi des Perses et non celui des Macédoniens » (VIII, 6-8).

Alors que les pertes, l’installation de garnisons dans les cités nouvellement fondées, le licenciement des troupes de la ligue de Corinthe, mais aussi l’incorporation d’archers orientaux ont numériquement affaibli les éléments macédoniens, la foi intangible en un chef charismatique qui avait fait la force des troupes grecques est en passe d’être ébranlée.

Un « rêve dépassé »

Cette démesure se ressent également dans la poursuite de sa marche vers l’Est. Pour restaurer à son profit les anciennes limites de l’Empire perse, Alexandre franchit les sommets de l’Hindou Kouch et lutte longtemps contre de farouches montagnards. C’est après avoir traversé  l’Indus qu’il réalise le dernier grand exploit de son épopée, à l’Hydaspe, en vainquant un roi du Pendjab central, Porôs, qui lui avait pourtant opposé près de deux cents éléphants. Magnanime, il lui laisse son royaume pour poursuivre l’aventure, dans l’idée peut-être d’atteindre la mythique « grande mer extérieure » dont parlaient les Anciens. Mais cette fois, ses hommes refusent de le suivre. Alexandre doit ravaler sa colère et accepter de revenir sur ses pas. Après avoir descendu la vallée de l’Indus jusqu’à la mer, l’armée est scindée en trois corps : Néarque emprunte la voie maritime, explorant les côtes du Golfe persique ; Cratère suit le chemin des caravanes ; quant au roi, il se lance dans le désert de Gédrosie, une terrible traversée de deux mois où disparaît la moitié de ses effectifs.

Le retour à Suse renforce le sentiment d’incompréhension des soldats face aux tentatives d’acculturation de l’armée. Sans doute pour s’attacher les élites perses, Alexandre épouse une fille aînée de Darius, et contraint 10 000 Macédoniens à s’unir à des indigènes. L’instauration d’un culte royal et le décret devant faciliter le retour des soldats en Grèce semblent indiquer qu’Alexandre ne rentrera pas en Macédoine, trop excentrée du cœur de l’Empire. Lorsqu’il annonce son intention d’intégrer des Perses dans son armée, et ce jusque dans les rangs de l’élite des hétaires, le mécontentement donne lieu, à Opis, à la mutinerie de vétérans fatigués. La théâtrale réconciliation du chef et de ses troupes n’interviendra qu’après l’exécution des meneurs.

Quels qu’aient pu être les nouveaux horizons sur lesquels il portait désormais son regard, Alexandre contracte à Babylone une terrible fièvre. Usé par les épreuves de la guerre et les excès, il s’éteint le 10 juin 323 av. J.-C. Il n’a pas encore 33 ans… « C’était la jalousie des dieux qui l’avait enlevé à l’humanité », écrira Quinte Curce, comme pour faire écho à Hérodote, qui en son temps avait prédit que « le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure ». Son demi-frère et son fils sont assassinés, son empire est livré aux appétits féroces de ses anciens compagnons d’armes, les Diadoques, dont les conflits inaugureront la complexe époque hellénistique.

Si sa construction politique disparaît avec lui, il est incontestable que la culture grecque, dans son sillage, a laissé sa marque sur la terre asiatique. Mais le fait que sur les 90 proches du roi mariés à Suse, un seul conservera sa femme perse, souligne bien les contradictions et limites de son rêve oriental. Reste la dimension mythique d’une épopée, caractéristique d’une aventure aux confins de la terre qui restera longtemps l’apanage des peuples européens.

Emma Demeester

Bibliographie

  • Paul Faure, Alexandre, Fayard, 1985.
  • Olivier Battistini et Pascal Charvet (dir.), Alexandre le Grand. Histoire et dictionnaire, Coll. Bouquins, Laffont, 2004.
  • Jacques Benoist-Méchin, Alexandre le Grand, coll. Tempus, Perrin, 2004

Chronologie

  • 356 av. J.-C. : Naissance d’Alexandre.
  • 336 av. J.-C. : Alexandre est roi de Macédoine.
  • 334 av. J.-C. : Débarquement en Asie mineure. Victoire du Granique.
  • 333 av. J.-C. : Victoire grecque d’Issos.
  • 332 av. J.-C. – 331 av. J.-C. : Alexandre en Egypte.
  • 330 av. J.-C. : Victoire de Gaugamèles. Mort de Darius.
  • 330 av. J.-C. – 327 av. J.-C. : Alexandre en Bactriane t en Sogdiane.
  • 327 av. J.-C. – 325 av. J.-C. : Alexandre en Inde.
  • 324 av. J.-C. : Sédition d’Opis. Noces de Suse.
  • 323 av. J.-C. : Mort d’Alexandre à Babylone.