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La Saint-Valentin du 14 février ou l’amoureuse initiation

Le climat actuel de cette fête des amoureux, toute de mièvrerie mercantile, n’est guère en rapport avec le contexte des célébrations saisonnières qui autrefois se conformaient véritablement à un rite de passage au sein de la jeunesse.

La Saint-Valentin du 14 février ou l’amoureuse initiation

Hymne à l’amour 

Quoi de plus émouvant quoi de plus merveilleux
Que d’entendre l’écho de tous les mots d’amour.
Mais qu’il est déplaisant ce mépris insidieux
Qui délabre notre âme et gangrène nos jours.

En notre être sans fin l’amour se fortifie
Si nous marchons confiant vers la pleine lumière
Car il sait magnifier l’argile qui nous fit
Dans le secret des nuits il est douce prière.

Cette musique intime alimente l’ardeur
Qui couve dans nos cœurs pour détruire la peur
Et nous rendre à la joie dont on use si peu.

O flamme de la vie si tu t’éteins je meurs !
Donne-nous ta chaleur tu es notre demeure
Tu es le bleu du ciel et la source et le feu. 

Gérard Leroy, Jeudi 14 février 2019
en la fête de Saint-Valentin

Demain de bon matin,
C’est la Saint-Valentin,
Moi qui t’attends devant la fenêtre
J’aurais plaisir à être ta Valentine.
Hamlet (Acte IV, scène 2) 

Valentins et Valentines

La tradition que nous désignons par Fiancés de Carnaval s’affirme à travers des rituels populaires qui se déroulent entre février et mars dans nos pays occidentaux. Ces différentes coutumes locales sont associées à un thème qui peu à peu leur est devenu commun et qui est la fête de Saint-Valentin fixée par le martyrologe romain au 14 février. Le climat actuel de cette fête des amoureux, toute de mièvrerie mercantile, n’est guère en rapport avec le contexte des célébrations saisonnières qui autrefois se conformaient véritablement à un rite de passage au sein de la jeunesse.

Sous différents noms et selon des modes d’élections particuliers, des Valentins et Valentines étaient désignés au sein d’une communauté et symboliquement accordés pour toute une année. Il s’agissait de garçons et de filles en âge de se marier et qui allaient ainsi partager une sorte d’alliance, de contrat moral, unis dans une amitié amoureuse. Cette association temporaire répondait à certaines obligations de part et d’autre mais n’aboutissait pas forcément au mariage.

La Vendée et la Lorraine ont conservé ces charmantes pratiques respectivement désignées sous les noms de Maraîchinage et Dônage mais le premier témoignage historique du Valentinage remonterait à Pépin le Bref qui en 755 ordonna d’en faire crier publiquement les bans à travers le royaume. Cependant les pays anglo-saxons donnèrent une forme spécifique à cette coutume qui avait de fortes racines en Irlande et en Ecosse depuis le Haut Moyen Âge. Nous pensons que l’origine de ce choix d’une compagne laissé à la providence remonterait à l’antiquité celtique. Cet héritage a très fortement imprégné le lyrisme anglo-saxon à travers le temps et dans un poème de George Buchanan, dramaturge écossais du XVIème siècle, nous lisons : Quisque legit dominam quam casto observit amore qui se traduit par :

Chacun choisit la Dame qu’il vénère d’un amour chaste.

Voilà qui est en parfait accord avec la conduite amoureuse des troubadours. Une très ancienne mélodie populaire anglaise chante d’ailleurs cette coutume ancestrale du tirage au sort ou du choix délibéré des futurs époux, mélodie que Shakespeare utilisera dans Hamlet lorsqu’il fera dire à la douce Ophélie, selon la traduction d’Alexandre Dumas :

Voici le matin
De Saint-Valentin,
Et je viens, mutine,
Vous dire bonjour,
Pour être à mon tour
Votre Valentine. 

Beaucoup plus tôt Charles d’Orléans, prince et poète, fut tenu prisonnier à Londres durant quatorze ans mais certainement dans un climat de semi-liberté, ce qui lui permit de connaître maintes réjouissances d’outre-manche et de pouvoir introduire en 1440 à son retour à la Cour de France une Loterie des cœurs. Un auteur du temps de la Réforme, Naogeorgus, déplore la persistance païenne de cette coutume et Butler, au XVIIème siècle dans sa Vie des saints, rattache le Valentinage, qu’il nomme superstition, au rite qui entourait les fêtes de la Juno Februa du 15 février, l’Oracle d’Amour. Ce jour-là les jeunes filles gravaient leurs noms sur des tablettes que les garçons tiraient au sort. L’usage de la Loterie des cœurs avait été aussi apporté à la Cour de Savoie. En 1602, François de Sales qui fut évêque de Genève, s’inquiétait de l’immoralité provoquée par le Valentinage auquel prenaient part aussi bien de jeunes célibataires que des personnes mariées. Ne pouvant réussir à supprimer ce divertissement mondain il remplaça le tirage au sort des amants et amantes par celui de saints et de saintes à qui chacun devait se vouer durant une année : une pieuse pratique spirituelle qui sanctifiait exclusivement des fiançailles mystiques.

Des croyances relatives à cette date du 14 février associent la Saint-Valentin à la croissance printanière qui s’annonce et au chant des oiseaux. On dit que certains oiseaux font leur nid à partir du 14 février. C’est en effet en février que le chant des oiseaux change de ton et augmente de volume. Dans une mélodie anglaise évoquant la fête de Saint-Valentin nous lisons :

Les oiseaux choisissent leur compagne et s’unissent en ce jour.

Et c’est encore Shakespeare qui dit dans le Songe d’une nuit d’été :

Saint-Valentin est passé,
Maintenant les oiseaux vont s’accoupler. 

À l’inverse de l’oiseau, nous voyons que l’invocation de saint Valentin est un exorcisme puissant à l’encontre d’autres espèces animales. Dans la Normandie pittoresque, Amélie Bosquet raconte que l’église paroissiale de Jumièges fut dédiée à saint Valentin parce que ses reliques ayant été portées dans la campagne environnante dévastée par les rats, ceux-ci se rassemblèrent pour aller se noyer dans la Seine.

La tradition rurale affirme que l’union des oiseaux coïncide avec les fêtes chrétiennes proches de la Chandeleur. On entend dire en Anjou :

Quand la Chandeleur est arrivée
La perdrix grise est mariée. 

Il faut rappeler que le 14 février était l’ancienne date célébrant la Purification de la Vierge, date que le calendrier liturgique arménien a toujours conservée. Jusqu’au IVème siècle le 25 décembre n’avait pas encore été adopté à Rome pour fêter la naissance du Christ. À Jérusalem la fête de la Purification était célébrée le quarantième jour après l’Épiphanie, c’est-à-dire le 14 février. Incontestablement l’influence de la Gnose est encore très puissance au sein du christianisme primitif. Le mot Épiphanie évoque une naissance spirituelle, une Parousie, et celui de Purification est sans contexte du domaine de la Catharsis.  En l’an 393, une dame gallo-romaine nommée Ethérie entreprend un pèlerinage à Jérusalem. Elle nous a laissé le témoignage émouvant des cérémonies chrétiennes qui se déroulaient alors dans cette ville et sa Peregrinatio décrit ce qui deviendra au VIIème siècle la Chandeleur sous le nom de Quadragesimae de Epiphania :

Le quarantième jour après l’Épiphanie se célèbre ici avec une très grande solennité. Ce jour-là il y a une procession à l’Anastasis, tout le monde la suit et tout se passe dans l’ordre habituel avec une grande pompe… Après quoi, quand on a achevé régulièrement toutes les cérémonies habituelles, on célèbre les mystères, et alors a lieu le renvoi.

L’emploi de ce terme de sacramentum, mystère, rappelle singulièrement l’initiation éleusinienne. Il faut noter aussi que les Grecs emploient le mot Rencontre pour désigner la fête de la Purification. Voilà qui constitue un lien très fort avec la Saint-Valentin qui s’est substituée à la fête mariale dans un sens d’union amoureuse.

La jeune paysanne écossaise croit encore aujourd’hui que le premier garçon qu’elle rencontre le matin du 14 février sera son futur époux. Il faut bien entendu qu’il ne soit ni marié, ni promis et n’habite pas sous le même toit. L’amoureuse jeunesse ne cherchera qu’à surprendre, ou mieux encore à corriger, le hasard et prendra toutes les précautions nécessaires pour rencontrer la personne attendue. Les jeunes gens rejoignent d’un cœur ardent, dès le lever du soleil, les abords de la maison de leur Bien-aimée ou les endroits où ils ont coutume d’être ensemble mais en faisant des détours pour ne pas croiser l’indésirable. Les filles vont s’asseoir de bon matin près de la fenêtre de leur chambre pour entendre la voix de leur amoureux. Les yeux fermés, elles attendent ainsi pendant des heures jusqu’à ce que le jeune homme vienne et dise : Bonjour, c’est la Saint-Valentin ! Cette coutume de la Fensterln, visite à l’aimée sous sa fenêtre, est encore bien vivante dans les pays germaniques mais c’est aussi ce qu’exprime en d’autres lieux le chant d’Ophélie.

Les coutumes urbaines qui entourent l’élection des Valentins se sont enrichies de certains cérémonials. On s’adresse réciproquement de brèves poésies, qui parfois ne manquent pas de malice, ou des petites cartes ornées de cupidons et de cœurs percés de flèches sur lesquelles on lit :

I am thine and you are mine
I am your dear loved Valentine. 

Ces messages d’amour, souvent accrochés à une orange ou une pomme, sont adroitement lancés dans la maison de l’être aimée. De nos jours la majorité de ces envois passent par la poste et le 14 février des postiers est considéré comme un jour sombre. Il faut cependant constater que ces gracieux échanges épistolaires sont beaucoup moins fréquents de nos jours et remplacés souvent par des fleurs et des cadeaux où le mauvais goût s’allie au kitsch le plus désolant.

Les jeunes amoureux pratiquaient aussi toutes sortes de canulars. Une blague très prisée consistait à dessiner à la craie une enveloppe devant un pas de porte et de frapper pour se réjouir de la surprise de la personne qui tentait vainement de ramasser la lettre en croyant que le facteur venait de passer. Les noms des jeunes gens et jeunes filles inscrits pour désigner les suffrages étaient parfois intervertis. Cela obligeait le Valentin et la Valentine à demeurer ensemble malgré eux, durant toutes les festivités communautaires, tout au long de l’année.

Tous ceux que la fatalité du tirage au sort enchaîne le jour de la Saint-Valentin joueront ce rôle du couple un certain temps. Nous retrouvons ici, anticipés dans la date hivernale, l’antique rituel indo-germanique des fêtes de printemps et du sacrifice de mai. En Allemagne comme en France subsiste pour les jeunes filles un rite d’élection en rapport avec le Mai Nouveau. C’est ainsi que le Roi de Pentecôte comme le Roi de mai accompagne des fiancés qui participent également à ce cérémonial d’élection. Une gravure anglaise de 1850 décrit de manière romantique ce cortège de la reine de Mai et des filles de Pentecôte.

Selon la croyance de nos ancêtres, au printemps, quand tout reverdit et refleurit, les puissances du Ciel et le Soleil, dieu lumineux, ainsi que les puissances de la Terre nourricière et la déesse-Mère produisent par leur secrète union l’abondance des biens de l’été et de l’automne pour laquelle le Merci des moissons et des vendanges est la réponse des hommes. C’est la référence à cette hiérogamie sacrée, cette union des dieux du Ciel et des déesses de la Terre, qui relie nos coutumes agraires et les symboliques alliances de Carnaval au mythe primordial de la Grèce antique appelé Noces des dieux.

En Suède, des roches gravées de l’âge du Bronze révèlent dans un réalisme charnel des accouplements d’hommes et de femmes tandis qu’en Norvège, une paire de vases en or figure avec beaucoup de décence une scène amoureuse. Les couples de Valentins peuvent être autant comparés à l’image primitive de ces pierres scandinaves que des vases norvégiens.

L’incitation publique à un accouplement de circonstance est spécifique de la période du Carnaval et plus particulièrement en pays germanique. Il existe en Alsace depuis le Moyen Âge un Bal des Veuves où les femmes sont masquées et invitent les hommes à danser. En Corse, vers la fin de la nuit du Mardi-Gras, un amoureux se détache du cercle de la danse et se dit Blessé au cœur par une telle. La fille désignée le remplace et avoue son amour pour lui ou en appelle un autre. De tels rites étaient fréquents dans l’ancienne France et s’exprimaient sous la forme de rondes à baiser, de balladespastourelles et chansons de bergers. Charles d’Orléans écrivit beaucoup de ces Invites d’amour où dans la ronde au milieu de laquelle se forme un couple on entend :

Entrez dans la danse… Voyez comme on danse… Venez, prenez, embrassez qui vous voulez !

L’origine des coutumes de la Saint-Valentin peut remonter bien avant l’histoire.  C’est en approfondissant la signification des rituels que nous pourrons résoudre certaines énigmes verbales qui s’attachent à ces moments consacrés. Pourquoi dit-on Brûler d’amour ? Allumeuse ? Pourquoi dit-on Le crier sur les toits pour parler d’indiscrétion ? Que signifie la comparaison si familière entre Terre et Femme, la femme pour laquelle s’emploie le terme féconder et celui de fruit pour désigner l’enfant… Le fruit des entrailles ? Tout cela s’explique par les différentes phases qui occupent l’espace de la fête.

Valentin, Val d’amour !

En ce qui concerne les saints du calendrier, la réalité historique est secondaire. La légende l’emporte par une évidence symbolique où l’importance du nom est primordiale. Il est essentiel de chercher à comprendre tout ce qu’implique ce nom de Valentin, son rapport avec la fonction amoureuse et la date du 14 février, date en liaison évidente avec la période carnavalesque.

Dans le terme tout aussi énigmatique de Carnaval nous pouvons distinguer deux noms qui renvoient à une commune tradition indo-européenne. L’hagiographie médiévale a volontairement placés certaines figures de saints dans le sillage des anciens dieux. C’est dans ce sens que leur culte peut paraître très mystérieux et Valentin en fournit l’exemple qui permet de rapprocher la syllabe Val de son nom dont l’origine latine associe d’ailleurs deux vocables, valorem tenens, avec le sens élogieux de persévérant dans la vaillance.

Carna est une ancienne divinité italique appelée la déesse des fèves. Mais, faisant le lien entre l’Inde et l’Occident, Karna, est aussi un dieu védique victime comme Valentin d’une décapitation rituelle.

D’abord, qui est-il ce saint Valentin et quand lui a-t-on attribué le Patronage des amoureux ? Rien ne justifie ce titre à l’examen de sa biographie. La Légende Dorée de Jacques de Voragine évoque seulement un saint prêtre décapité à Rome en l’an 280 parce qu’il refusait de renoncer à sa foi dans le christ. Il a vécu dans ce IIIème siècle très tourmenté et sous le règne de l’empereur roman Claudius II. Ce n’est pas le seul Valentin figurant dans le martyrologe et cependant, la première légende qui tente d’expliquer la Fête des amoureux ressuscite la grande figure d’un évêque : Valentin de Terni.

Il aurait été martyrisé parce qu’il unissait à des jeunes filles dans le mariage de jeunes soldats de l’armée romaine. Ceux-ci ne répondaient plus alors à l’appel lors des réouvertures du temple de Mars qui annonçaient le temps de guerre.

On apprend aussi qu’en signe d’affection, cet évêque avait l’habitude d’offrir la plus belle fleur du jardin de son monastère chaque fois qu’un jeune homme accompagné d’une jeune fille lui rendait visite. Il devint le conseiller spirituel de nombreux jeunes gens épris l’un de l’autre et bénit leur union. Mais ne pouvant réponde à toutes les demandes, il décida de choisir un seul jour de l’année pour accomplir la bénédiction nuptiale. Il aurait choisi le 14 février pour célébrer ces mariages et cette date devint la Saint-Valentin, fête de l’Amour. Il s’agit là d’une belle construction littéraire, tant prisée au Moyen-âge, qui occulte en quelque sorte l’authentique attribution du jour consacré au mythe de l’Amour.

La fête romaine des Lupercales se situait justement au milieu de février. À cette occasion, entre bien d’autres réjouissances, des couples se formaient à la faveur d’un tirage au sort. Les jeunes gens qui participaient à cette cérémonie échangeaient alors des présents et des fleurs. Le mystère chrétien de la Saint-Valentin, pas plus que les coiffes de Sainte-Catherine, ne peut s’expliquer sans la relation avec la fête des Valentines c’est-à-dire des pucelles à marier. Cette fête se situe également au 14 février, elle fusionne avec la Saint-Valentin et c’est le jour où sont élus les fiancés de Carnaval.

Une sainte Valentine a été brûlée vive à Césarée en l’an 308 mais elle est fêtée localement le 25 juillet. Cinq Valentins différents sont honorés à la date du 14 février ainsi qu’une bergère du val de Loire, du côté de Blois, appelée Némoise ou Néoménie, du latin Nemetona qui veut dire La Dame du lieu sacré.

Le nom de valentin serait l’altération du vieux mot normand Galantin, dérivé de galant et dont la racine galer signifie se réjouir en vieux français. On comprend pourquoi la fête des galants pouvait devenir la Saint-Valentin, la fête de ceux qui s’aiment.

Gérard Leroy

François Boucher, Le Printemps (Les quatre saisons), 1755. Détail. The Frick Collection, New York. Source : Wikimedia