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Romy Schneider : la fiancée de l’Europe

L’héroïne tragique du cinéma européen.

Romy Schneider : la fiancée de l’Europe
Photo : Romy Schneider dans Max et les Ferrailleurs (1970). Source : Wikimedia (cc)

La vie de Romy Schneider est digne d’un drame shakespearien. Telle Ophélie, elle incarne l’idéal féminin, la passionnée fougueuse, l’âme solitaire, l’héroïne tragique du cinéma européen.

Et en effet, il n’est pas de sentiment que l’Autrichienne n’ait interprété, pas d’émotions que cette âme inquiète n’ait elle-même ressenties. Car Romy Schneider a tout vécu : le succès, l’adulation, l’amour, mais aussi l’abandon du père, le suicide d’un premier mari, la mort d’un enfant. Entrer dans le mystère de la femme Romy Schneider est donc une tâche délicate. Femme européenne, elle porte sur ses épaules le poids de l’histoire. Liée de naissance au cercle restreint d’Aldolf Hitler, telle une malédiction, elle ne cessera de s’en repentir à demi-mots. Âgée de 30 ans en 1968, elle incarne, d’une certaine façon, la femme-mère, libre, jonglant entre devoirs d’état et vie professionnelle. Femme passionnée ensuite, elle a besoin d’aimer pour avancer. Comment pourrait-on lui en vouloir ? Si Romy Schneider est aujourd’hui un mythe, en particulier pour les femmes, c’est bien que sa vie nous parle de quelque manière. La femme trop fragile, la femme trop sensible, la femme trop excessive. Pas de demi-mesure pour la fiancée de l’Europe : sans absolu, pas de salut.

La poupée autrichienne

Née à Vienne le 23 septembre 1938, Rose-Marie Albach, de son vrai nom, est originaire d’une vieille famille d’artistes autrichiens et a littéralement la comédie dans le sang. C’est dans Lilas blancs, où elle donne la réplique à sa mère, que Romy Schneider, 14 ans, débute au cinéma. Trop précoce sans doute. Alors que le film devait faire revivre la carrière de Magda, délaissée après-guerre par les cinéastes en raison de sa proximité avec le régime nazi, il révèle davantage la jeune Romy, alors nouvelle figure de la petite fille modèle pour tout un peuple.

Mais c’est en 1955, à l’âge de 17 ans, que l’Autrichienne devient immortelle. Le metteur en scène Ernst Marischka lui offre le très convoité rôle de Sissi, Élisabeth de Wittelsbach, qu’elle interprétera sous sa direction à trois reprises (avant de réincarner vingt ans plus tard l’impératrice d’Autriche dans le Ludwig de Luchino Visconti). Les trois épisodes sont un immense succès, commercial et générationnel. Le monde du cinéma est à ses pieds. L’image de Romy Schneider est désormais adossée à l’impératrice, que les films ont idéalisée et édulcorée. Cette image déplaît toutefois à la jeune actrice : « On ne voulait pas m’en sortir », confiera-t-elle au micro de Jacques Chancel, en 1970, dans l’émission « Radioscopie ». Effectivement, Sissi ne la quittera pas. Tel un pacte faustien, le rôle lui apportera gloire éternelle et destin tragique. Le parallèle entre les destins de ces deux femmes est effectivement trop saisissant pour être simplement laissé au hasard. Toutes deux sont autrichiennes, belles comme le jour – leur élégance viennoise est reconnue dans toute l’Europe – et elles ont connu la célébrité très jeunes. Toutes deux sont des âmes torturées, ayant perdu leur premier enfant, vivant de drames, de douleurs et de mélancolie. Elles mourront au même âge, l’année de leur quarante-quatrième anniversaire.

Dans les pas des lions

Pour se distancier de sa mère Magda, qui tend à vouloir superviser la carrière de sa fille, Romy Schneider choisit de tourner en 1958 Christine, une production franco-italienne, reprise de Liebelei (« Une histoire d’amour ») dans lequel jouait sa mère en 1933. Nouvelle étape décisive : ce film fait se rencontrer deux titans du 7e art, Romy Schneider et Alain Delon. Le jeune premier, à peine 22 ans, est alors totalement inconnu du public. De prime abord, entre la retenue germanique et le sanguin latin, le courant ne passe pas. C’est pourtant un amour passionnel de cinq années qui débute au cours du tournage.

Alain Delon est un élément essentiel dans le tournant que prendra la carrière de l’actrice. Delon fait rencontrer à Romy les maîtres avec qui il travaille. C’est lui qui influencera ses choix de films. Ainsi, Romy Schneider quitte l’Autriche pour s’installer avec lui à Paris. Pour son pays natal c’est une véritable trahison… Le français de la jeune femme, encore imparfait, ne lui permet pas de tourner, alors que le surhomme Delon ne s’arrête pas et regorge de projets. Romy le suit donc sur le tournage de Plein Soleil (1960), de René Clément, puis sur ceux de Rocco et ses frères (1960) et du Guépard (1963) de Luchino Visconti.

Entre l’esthète italien et la jeune femme, c’est un coup de foudre artistique. La comédienne dira de Visconti qu’il est, dans le métier, le premier à lui avoir accordé sa confiance. En 1961, le metteur en scène italien la fait jouer, pour la première fois, au théâtre, dans la pièce élisabéthaine de John Ford Dommage qu’elle soit une putain, avec Alain Delon pour partenaire. La scène est un nouveau défi pour cette photogénique habituée des caméras. La novice veut prouver sa valeur au maestro. Pour cela, son français doit être parfait. Luchino Visconti, grand seigneur, l’envoie étudier auprès du meilleur professeur de diction et de phonétique du moment. Très attendue pour ce rôle sur la scène française, elle travaille dur. L’excellence comme but, toujours. À son habitude, Visconti remodèle entièrement ses acteurs, les pousse à bout : « Elle se cabrait, essayait de tenir tête, mais il gagnait toujours[1]. » La veille de la première, Romy est hospitalisée pour une péritonite. À peine trois semaines plus tard, devant le tout-Paris, elle joue Annabella. La pièce lui ouvre les portes de la France.

La collaboration Schneider-Visconti se poursuivra en 1962 avec Boccace 70, film franco-italien composé de quatre sketchs mis en scène par différents réalisateurs, dont Visconti pour Le Travail. Pour la première fois, Romy Schneider joue le rôle d’une épouse, prostituée. Habillée par Coco Chanel, « elle se sentait femme, belle, forte[2] ». C’est ainsi que le génie milanais fera passer Romy Schneider de la jeune fille modèle à la véritable femme, capable d’interpréter tous les rôles. « J’ai quatre maîtres, dira-t-elle : Visconti, Welles, Sautet et Zulawski. Le plus grand est Visconti. Il m’a apporté ce qu’il apporte à tous ceux qui travaillent avec lui, sa manière de pousser les choses le plus loin possible, sa discipline[3]. »

L’indépendance

En février 1963, Romy Schneider s’envole pour Hollywood. La tentative du cinéma américain fut une déception. « En tournant à Hollywood, Romy Schneider perd le charme profond et l’aisance qui sont les siens… On a voulu aller à contre-courant de sa nature et en faire une comédienne pétulante et irrésistible. Elle est ridicule à chaque fois qu’elle rit à fausse gorge[4]. » La médiocrité sied mal à la complexité de l’âme européenne, dont Romy est l’un des plus grands défenseurs et qu’elle incarne si jalousement à l’écran.

Aussi la parenthèse américaine marque-t-elle le début d’une nouvelle vie. La fin de ses fiançailles avec Alain Delon, qui la quitte pour la future madame Delon, va ouvrir une période d’indépendance artistique et de sérénité sentimentale. Cet épisode est toutefois révélateur de sa relation compliquée avec la gent masculine et mérite que l’on s’y attarde. En effet, dès son enfance, à 4 ans et demi, Romy Schneider connaît son premier drame, prélude de ses relations futures avec les hommes. Son père, Wolf Albach, quitte sa mère car il se déclare « fait pour avoir une femme, pas des enfants ». Gage d’instabilité et possible révélateur d’un manque d’affection paternelle, Romy Schneider est de ces femmes qui ont besoin de ressentir la passion des amours naissants pour se renouveler. Chaque fois, elle a tout pour être heureuse. Chaque fois, le schéma tragique se répète.

Deux ans après sa rupture avec Delon, au printemps 1965, Romy Schneider rencontre son futur mari, Harry Meyen, Allemand d’origine juive, lui-même acteur et metteur en scène. En décembre 1966, âgée de 28 ans, l’actrice donne naissance à leur fils David. Pendant les deux années qui suivront, la mère louve goûtera aux charmes discrets de la maternité à Berlin, loin des projecteurs et du monde moderne. En 1968, Alain Delon la persuade de jouer à ses côtés dans La Piscine de Jacques Deray. Trente ans, mère, Romy Schneider est au zénith de sa vie. Jamais elle n’a été aussi belle. « Trente ans, c’est le meilleur moment de la vie d’une femme », glisse-t-elle au micro de Jacques Chancel. La Piscine relance sa carrière.

La femme (française) par excellence

La Piscine révèle Romy Schneider à Claude Sautet, l’autre homme de sa vie au cinéma. Le réalisateur cherche inlassablement son héroïne, Hélène, pour Les Choses de la vie (1970). Quand on lui propose de rencontrer la comédienne, le metteur en scène explique : « J’avais l’impression que c’était quelqu’un de sophistiqué, j’avais l’image de Sissi. Et puis je suis tombée sur une femme qui avait 31 ans, très drôle, très vivante. […] Elle avait une faculté d’émotions internes qui avait été enfouie pendant très longtemps, qu’elle dégageait très facilement[5] . »Elle jouera à nouveau sous la direction de son réalisateur fétiche dans Max et les Ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972), Mado (1976) et Une histoire simple (1978) pour lequel elle reçoit son deuxième César de meilleure actrice. Avec Sautet, force est de constater que cette germanique n’a eu de cesse d’incarner à l’écran la femme française dans toute sa « normalité », à travers les petites choses de la vie.

La reprise du travail et l’amour s’essoufflant, Romy Schneider et Harry Meyen divorcent en 1972. La séparation est très difficile nerveusement. Outre la bagarre financière, les protagonistes s’arrachent leur fils, David. En décembre 1975, Romy épouse Daniel Biasini, de neuf ans son cadet. Rencontré en 1973 sur le tournage du Train de Pierre Granier-Deferre, il est son secrétaire, confident, ami, puis mari. Daniel Biasini ouvre pour Romy Schneider une période de neuf années de joies. Pour tordre le coup à ses détracteurs, accusant la jeune mère de dépression et de dépendance à l’alcool, il affirme en mai 2018 : « Dans cette courte vie, il y a eu neuf années où j’ai vu une femme s’épanouir dans son plus bel âge, la trentaine ; où la vie était un bouillonnement permanent d’émotions, de passions, de liberté ; où j’ai vu une femme s’épanouir dans le bonheur d’avoir un enfant ; et j’ai vu également cette femme s’épanouir dans un métier qui la comblait[6]. » Avec Daniel Biasini, elle aura une petite fille, Sarah, en juillet 1977. Mais le schéma malheureux se reproduit. Cette fois-ci, c’est l’engrenage infernal.

En avril 1979, Harry Meyen, son premier mari, se suicide. En février 1981, elle divorce de Daniel Biasini. En juillet 1981, son fils David, âgé de 14 ans, se tue accidentellement en escaladant un portail. Précipitée dans l’abîme, Romy Schneider se bat et se replonge dans le travail pour sublimer son désespoir. Quelques semaines seulement après le drame, elle est sur le tournage de l’adaptation du roman de Joseph Kessel, La Passante du Sans-Souci (1982). Pour son chant du cygne, Romy Schneider a choisi de tourner avec son éternel complice, Michel Piccoli. Elle y incarne le rôle d’Elsa Wiener, protectrice d’un jeune enfant juif lors de la Seconde Guerre mondiale. La boucle est bouclée.

Pour annoncer la mort mystérieuse d’Ophélie dans Hamlet, la Reine a ces mots, ici très à propos : « Un malheur marche sur les talons d’un autre, Tant ils se suivent de près[7]. » Et en effet, dix mois après le décès de son fils premier-né, dans la nuit du 28 au 29 mai 1982, dans le VIIe arrondissement de Paris, le cœur de Romy Schneider s’est déchiré. Le destin de Sissi l’a rattrapée. Ses détracteurs exploreront toutes les pistes : suicide, abus d’alcool, de médicaments… Daniel Biasini préférera déclarer que l’éternelle Autrichienne est morte de chagrin, son cœur de mère n’ayant pas supporté la perte de son enfant.

Gaëlle B. – Promotion Marc Aurèle

Notes

[1] Catherine Hermary-Vieille, Romy, Olivier Orban, 1986.
[2] Ibidem.
[3] Télérama, 9 avril 1975.
[4] Cinéma 65
[5] France 2, 21 avril 1994.
[6] France 2, Actu Médias, 13 mai 2018.
[7] William Shakespeare, Hamlet (1600), acte IV, scène 7.