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Eugène de Savoie, guerrier et homme d’État au service des Habsbourg. Première partie

Cet article traite de l’histoire d’Eugène de Savoie et de la géopolitique du Saint Empire romain germanique, de la France et de l’Empire ottoman pendant la période couvrant la seconde moitié du dix-septième siècle à sa mort en 1736. Première partie.

Eugène de Savoie, guerrier et homme d’État au service des Habsbourg. Première partie

Eugène de Savoie naît à Paris le 18 octobre 1663. Il appartient à la famille régnante du duché de Savoie et son cousin Victor-Amédée en est le duc. Son père, officier dans l’armée royale de Louis XIV, est souvent absent, et sa mère, Olympe Mancini délaisse ses enfants et passe son temps en intrigues à la cour de France dont elle est, un temps, l’une des principales protagonistes en tant que favorite du Roi-Soleil. Eugène et ses six frères et sœurs sont donc élevés par leurs précepteurs et les domestiques de la famille à l’hôtel de Soissons.

Vie d’Eugène de Savoie, de l’enfance à son départ de France

Eugène de Savoie connaît une enfance difficile. Enfant de petite taille, laid, d’allure frêle mais au regard d’acier, Eugène est le plus mal aimé de sa fratrie et sa famille le destine à la carrière ecclésiastique alors que ses rêves sont de prendre la suite de son père dans l’armée royale. Il est aussi chahuté par la plupart de ses camarades qui se moquent de son physique. Il se cultive seul en dévorant des ouvrages d’histoire, de politique et d’art militaire. Il endurcit son corps à la fatigue et à la discipline pour se faire bon soldat.

Cette enfance difficile le marquera et sera à l’origine de son ambition et de sa volonté de fer, ainsi que de sa modestie et de sa générosité envers ses subordonnés, ses soldats et le peuple.

Son père meurt alors qu’il a dix ans. À treize ans, il tombe gravement malade et échappe de peu à la mort. Alors qu’il a dix-sept ans, sa mère est impliquée dans l’affaire des poisons, tombe en disgrâce et doit s’exiler à Bruxelles. Sa grand-mère devient alors le chef de famille.

À dix-neuf ans, Eugène ne supporte plus la soutane et s’en défait. Cette décision lui vaut d’être chassé de l’hôtel de Soissons par sa grand-mère. Sans ressources, il doit s’endetter. Tous ses espoirs reposent alors sur son cousin Louis Armand de Conti – gendre du roi par son mariage avec Mademoiselle de Blois, fille de Mademoiselle de La Vallière et de Louis XIV – qui le présente au souverain à qui il demande un commandement dans l’armée royale. Le Roi-Soleil ne lui jette même pas un regard et passe son chemin. Cette humiliation marquera profondément Eugène qui se décidera à quitter la France pour rejoindre l’adversaire du roi de France, l’empereur du Saint Empire romain germanique, Léopold Ier , alors en lutte contre l’Empire ottoman.

Situation géopolitique de l’époque

Le Saint Empire est alors en train de se remettre de la guerre de Trente Ans qui a ravagé l’Allemagne et causé un important déclin démographique. Le rôle de l’empereur en tant que chef est affaibli alors que l’indépendance des États allemands est renforcée. La division religieuse entre protestants et catholiques persiste.

La politique de Louis XIV, depuis son accession au pouvoir, a pour but de protéger la France contre les invasions en lui donnant une ceinture fortifiée solide au nord et à l’est du pays. Pour cela, la Flandre est rattachée à la France (Lille et Douai) et l’architecte Vauban fortifie ses places.

Louis XIV met ensuite en œuvre la politique dite des « réunions ». Prenant pour prétexte que les territoires cédés par l’Empire lors des traités de Westphalie et de Nimègue l’étaient avec leurs « dépendances », le roi charge ses juristes de rechercher dans les plus anciennes archives tout ce qui pouvait être revendiqué comme dépendance des territoires cédés.

Il annexe ainsi la Franche-Comté, l’Alsace et la Lorraine. Ces annexions, réalisées sur des arguments juridiques contestables, suscitent une indignation dans toute l’Europe et une ébauche d’alliance militaire antifrançaise, appelée ligue d’Augsbourg, se dessine. Toutefois Léopold Ier n’est pas en mesure de s’opposer à la politique du roi de France. En effet, un danger plus important venu d’Orient menace le Saint Empire.

Depuis la prise de Constantinople en 1453, l’Empire ottoman ne cesse de s’étendre. Il contrôle le Maghreb à l’exception du Maroc, l’Égypte, les lieux saints de La Mecque, Médine et Jérusalem, inclut Bagdad et s’étend jusqu’au Caucase. En Europe, il a soumis les territoires situés autour de la mer Noire, la Grèce et la péninsule balkanique jusqu’à la Hongrie. Après l’échec du premier siège de Vienne en 1529, les Turcs assiègent une nouvelle fois la ville en 1683.

Carte : L’Empire ottoman à son apogée, vers la fin du XVIe siècle (1600).

L’Empire ottoman est un empire musulman. Il est dirigé par le sultan, qui est aussi calife, le prince des croyants. La plupart des hauts fonctionnaires sont des esclaves du sultan qui a droit de vie et de mort sur eux.

La majeure partie de l’armée est composée de janissaires, esclaves enlevés alors qu’ils étaient enfants parmi les populations chrétiennes des Balkans et convertis de force à l’islam.

La loi islamique, la charia, est appliquée sous l’œil des théologiens. Les peuples conquis doivent changer de religion ou accepter le statut de dhimmis impliquant leur subordination et diverses discriminations (restrictions en matière de libertés civiles et religieuses, paiement d’un tribut censé garantir aux dhimmis une protection…).

La religion musulmane acceptant la polygamie, le sultan vit dans son palais avec ses nombreuses concubines gardées dans le harem par des eunuques. La distinction entre descendance légitime et illégitime n’existant pas, tous les enfants du sultan étaient des héritiers potentiels. L’accession au pouvoir d’un nouveau sultan était marquée par le fratricide de ses nombreux demi-frères.

Face à cette menace, les Européens se découvrent une identité commune et se rallient au Saint Empire romain germanique pour défendre la chrétienté. L’empereur Léopold Ier conclut une alliance, par l’entremise du pape, avec le roi de Pologne Jean Sobieski pour protéger la chrétienté. Ils forment une armée de secours pour libérer Vienne.

Carte de l’Europe en 1683.

Départ d’Eugène pour Ratisbonne

Eugène ressent ce besoin de défendre la chrétienté et convainc son cousin Conti ainsi qu’une cinquantaine de jeunes nobles de se joindre à lui pour combattre les Turcs. La chrétienté étant en danger, ce n’est pas trahir le roi très chrétien Louis XIV que de combattre les infidèles. Ils partent secrètement pour l’Autriche. À la découverte de cette fuite, l’émotion à la cour de France est considérable. La fuite de Conti dans le but de proposer ses services au principal adversaire de son beau-père porterait, si elle aboutissait, un coup très dur au prestige du Roi-Soleil, dont toute la politique est orientée contre l’Empire. Louis XIV fait donc savoir aux jeunes nobles que, s’ils reviennent, ils seront pardonnés mais que, s’ils prennent du service dans l’armée impériale, ils seront considérés comme traîtres, bannis, et leurs biens saisis. La mort dans l’âme, Conti et la plupart des compagnons d’Eugène rentrent, au contraire d’Eugène décidé, quant à lui, à persévérer.

Cette position de Louis XIV s’explique par l’intérêt politique de la France, en lutte contre les Habsbourg et optant pour une alliance de revers avec le Grand Turc. Cette alliance indigne toute l’Europe et même de nombreux nobles français. Le roi avait pourtant lutté contre les Ottomans aux côtés du Saint Empire lors de la bataille de Saint-Gothard en 1664 et aux côtés des Vénitiens assiégés à Candie, au cours de la conquête ottomane de la Crète.

Eugène arrive à Ratisbonne, où séjourne l’empereur Léopold Ier qui a dû fuir Vienne. Les nouvelles sont mauvaises : l’armée impériale a dû se replier en Moravie et l’armée ottomane a commencé le siège de Vienne. L’empereur l’autorise à servir dans les troupes impériales comme gentilhomme volontaire. Eugène rejoint donc l’armée chargée de secourir Vienne.

Guerre contre les Turcs

Sa première expérience du combat est la bataille du Kahlenberg en 1683, qui permet de lever le siège de Vienne. Il s’y distingue notamment lors de la poursuite de l’armée turque lorsqu’il stoppe une contre-offensive turque et permet au roi de Pologne Jean Sobieski, qui s’était imprudemment avancé, de retrouver le gros des forces impériales. Au cœur de l’action, il combat l’épée à la main. Cette habitude ne le quittera pas.

Le siège levé, une série de campagnes annuelles commence pour repousser les Ottomans. Les combats se dérouleront le long du Danube, s’arrêtant à chaque hiver lorsque les rigueurs du climat obligent à cesser les hostilités.

La campagne de 1683 repousse les Turcs et se termine par la prise de la forteresse de Dràn par les forces impériales. La même année, le sultan fait étrangler son vizir Kara Mustafa pour le punir de son échec devant Vienne.

La guerre contre les Turcs mobilisant toutes les forces de l’Empire, Léopold Ier négocie et signe la trêve de Ratisbonne en 1684 : les territoires « réunis » à la France demeureront sous administration française pendant vingt ans. Cet accord ne règle rien car ni Léopold Ier ni les princes allemands ne sont décidés à abandonner à Louis XIV des territoires allemands indûment annexés.

En 1684, Venise rejoint l’Empire et la Pologne dans sa lutte contre la Sublime Porte pour constituer la Sainte-Ligue, qui sera renforcée par la Russie en 1686. Venise portera ses efforts dans le Péloponnèse, la Russie en Crimée et à Azov, et le Saint Empire et la Pologne sur l’espace danubien.

Eugène fait engager ses cousins et amis français dans son régiment. L’armée impériale rassemble en effet des Européens de toutes nationalités : Allemands, Polonais, Savoyards, Croates et un grand nombre de Français.

La campagne de 1684 vient buter contre Pest, dont le siège est un échec et au cours duquel Eugène est blessé d’un coup de mousquet. S’étant si bien distingué, il est nommé colonel commandant d’un régiment de dragons (environ six cents hommes). C’est le début d’une ascension et l’apparition d’un génie militaire. Eugène passera colonel à vingt ans, général à vingt-deux ans, chevalier de la Toison d’or et Feldmarschall-Lieutnant (général de division) à vingt-quatre ans avant de devenir le personnage le plus important de l’Empire après l’empereur lors de la guerre de Succession d’Espagne.

La campagne de 1685, quant à elle, aboutit à la prise de la forteresse de Neuhaüsel.

La même année, en France, Louis XIV commet l’erreur de révoquer l’édit de Nantes : cette intolérance entraîne l’émigration de deux cent mille protestants hors du royaume vers la Prusse, l’Angleterre, la Hollande et la Suisse avec leurs capitaux et leurs savoir-faire.

En 1686, Buda et Pest sont assiégées. Le commandement de l’ensemble des régiments de cavalerie est confié à Eugène qui s’empare de la ville de Pest tandis que le reste de l’armée prend la citadelle de Buda. Ainsi est libérée Budapest, occupée par les Turcs depuis 141 ans.

Reprise du château de Buda en 1686, par Charles V duc de Lorraine (à cheval à gauche) et Eugène prince de Savoie (à cheval à droite). Huile sur toile de Benczúr Gyula (1896) exposée à la galerie nationale hongroise, Budapest. Crédits : Creative Commons.

En 1687, l’armée impériale commandée par Charles de Lorraine affronte les Turcs commandés par le grand vizir Sari Süleyman Pacha à Harsan et à Siclos lors de la deuxième bataille de Mohács. Les deux armées comptent 60 000 hommes. La bataille est gagnée par l’action de la cavalerie impériale sous le commandement d’Eugène, qui aura son cheval tué sous lui et sera blessé à la main par une flèche. Les pertes ottomanes s’élèvent à 10 000 hommes alors que les Impériaux ne comptent que 600 morts.

Cette victoire permet une libération presque totale de la Hongrie et provoque une grave crise dans l’Empire ottoman. Le grand vizir Sari Süleyman Pacha est exécuté et le sultan Mehmed IV est détrôné au profit de son frère Soliman II.

La campagne de 1688 a pour objectif de s’emparer de la forteresse de Belgrade. Le siège est en partie dirigé par Eugène. La Sainte-Ligue est aidée par les Serbes orthodoxes qui se révoltent contre leurs oppresseurs musulmans. Malgré une résistance acharnée des Turcs, la ville finit par être prise. Eugène est blessé au cours d’une attaque qu’il conduisait. Frappé à la tête par un janissaire et protégé par son casque, il a d’un coup d’épée transpercé son agresseur mais a alors été touché par une balle de mousquet au-dessus du genou. On craint l’amputation et il est évacué vers Vienne. Trois mois après sa blessure, la balle et les éclats sont enfin extraits de sa jambe, ainsi sauvée de l’amputation.

La prise de Belgrade soulève un grand enthousiasme en Europe. Le pape rêve de la libération des peuples européens sous domination ottomane, voire de la prise de Constantinople, la restauration de Byzance et la Croix trônant à nouveau sur Sainte-Sophie.

Entrée en guerre de la France – Début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg

Quatre jours après l’annonce de la prise de Belgrade, Louis XIV profite de la concentration des forces de l’Empire à l’Est pour faire franchir le Rhin à ses troupes et envahir le Palatinat sans déclaration de guerre. Son but est d’annexer le Palatinat, dont le prince-électeur vient de mourir sans héritier direct.

Cette agression oblige le Saint Empire à déclarer la guerre à la France. L’Angleterre et la Hollande, dirigées par Guillaume d’Orange choisissent de s’allier aux Impériaux pour s’opposer à l’expansionnisme français et maintenir la balance du pouvoir en Europe.

C’est le début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg qui oppose le Saint Empire, l’Angleterre, la Hollande, la Savoie, l’Espagne et la Suède à la France.

Désormais, une guerre sur deux fronts commence pour l’Empire : le front ouest face à la France avec les alliés de la Ligue d’Augsbourg et le front est avec la Sainte-Ligue face aux Turcs.

Sur le front occidental, les combats ont lieu sur le Rhin, en Belgique et en Italie, et les meilleures troupes, dont celles d’Eugène, y sont envoyées. Des combats ont aussi lieu sur mer entre les marines françaises et anglaises, et dans les colonies. Sur le front oriental, les Impériaux doivent se résigner à adopter une stratégie défensive.

Eugène sera d’abord chargé de couvrir la ligne entre le Rhin et Baden-Baden avant d’être envoyé sur le front italien en Savoie.

La guerre de la Ligue d’Augsbourg durera de 1688 à 1697. Pendant ces neuf ans de campagne, Louis XIV et les alliés évitent les grandes batailles décisives et les fronts bougent assez peu.

À l’Est, les Ottomans dirigés par le vizir Mustafa Köprülü profitent de leur supériorité numérique et du soutien financier de Louis XIV pour remporter une série de succès et reprendre une partie des territoires perdus depuis le siège de Vienne. Jean Sobieski meurt lors des combats en 1690. La même année, Belgrade est reprise par les Ottomans et trente-six mille familles serbes craignant les représailles vont chercher refuge en Hongrie et en Croatie, un épisode appelé le Grand Exode serbe.

Le sultan Soliman II meurt d’hydropisie en 1691 et Ahmed II lui succède. L’avancée turque est stoppée par le margrave Louis de Bade lors la victoire de Slankamen en 1691, au cours de laquelle le vizir Mustafa Köprülü trouve la mort.

Paja Jovanović (1859–1957), La migration des Serbes, 1896, huile sur toile, Pančevo Museum.

En 1692 a lieu la bataille de la Hougue, qui voit la marine française sévèrement battue par la flotte anglo-hollandaise.

En 1695, le Sultan Ahmed II meurt après seulement trois ans et sept mois de règne. Moustapha II lui succède.

En 1696, le tsar Pierre le Grand lance une campagne contre les Tatars de Crimée, alliés aux Ottomans. Pour s’emparer de la ville d’Azov, port important de la mer Noire, il fait construire la première flotte de guerre russe. La ville est prise la même année.

Retour d’Eugène sur le front est et bataille de Zenta

En 1697, Eugène demande à partir pour le front est : il est nommé pour la première fois général en chef de l’armée impériale en Hongrie. Il y trouve une armée dans un état effroyable, proche de la révolte, avec de nombreux malades, peu de réserves de nourriture et des soldes impayées depuis de nombreux mois. L’empereur lui interdit toute offensive. Sa priorité est de tenir ses positions et de remettre l’armée sur pied physiquement et moralement.

Eugène met son armée en marche le 27 juillet vers Peterwardein. Le 17 août, il apprend que le sultan Moustapha II avec son armée a franchi le Danube près de Pancevo, à l’est de Belgrade. Eugène n’a pas le choix : sa priorité est de barrer la route du Nord au sultan car son avancée dans cette région pourrait mener à la perte de toute la Hongrie. Une course-poursuite vers le nord s’engage entre l’armée du sultan et l’armée d’Eugène, dans une région marécageuse coupée par le Danube et la rivière Theiss et dont les ponts ont été détruits par les cavaliers turcs pour ralentir l’avancée d’Eugène. Moustapha II trompe Eugène en dirigeant son armée vers le nord avant de rebrousser chemin, de franchir la Theiss et de prendre le château de Titel. L’armée ottomane menace maintenant de remonter le Danube. Pour s’y opposer, Eugène fait faire demi-tour à son armée et parvient par une manœuvre audacieuse à doubler l’armée du sultan en la longeant pendant trois kilomètres sans que celui ne s’en aperçoive, cela dans le but de se positionner pour protéger la forteresse de Peterwardein. Les Turcs sont sidérés de trouver l’armée impériale face à eux alors qu’elle était signalée beaucoup plus au nord. Le sultan décide alors de diriger son armée vers le nord par la rive droite de la rivière Theiss.

Eugène le poursuit sur la rive gauche. La capture d’un prisonnier turc permet d’apprendre que le sultan a décidé de franchir la Theiss à Zenta. Eugène fait marcher son armée vers Zenta, où il surprend l’armée turque au moment même où elle franchit la rivière. Il est déjà deux heures de l’après-midi, il ne reste alors plus que trois heures trente avant le coucher du soleil. L’armée d’Eugène va combattre à un contre trois.

Eugène déploie son armée de manière à encercler la tête de pont des Turcs. Mais soudain près de deux mille spahis (les cavaliers turcs) attaquent dans le but d’empêcher l’armée impériale de terminer sa manœuvre d’encerclement. Eugène prend la tête des dragons et se lance sur les spahis qu’il refoule dans leurs retranchements.

Il commande ensuite à son aile gauche de se retourner vers la droite et à son aile droite d’agir de même vers la gauche. L’attaque impériale a lieu sur la tête de pont turque.

Aux deux ailes, des bancs de sable permettent aux Impériaux de prendre sous leur feu l’arrière de la tête de pont. Il en résulte une panique dans l’armée turque. L’unique pont est vite encombré : les uns se jettent à l’eau et se noient, les autres sont massacrés. Les soldats d’Eugène se mettent alors à avancer et, après un féroce corps à corps, ils franchissent les tranchées ottomanes. Le flanc droit d’Eugène parvient même à s’infiltrer entre le flanc gauche des Ottomans et le pont, coupant ainsi leur retraite.

Karl von Blaas, Die Schlacht bei Zenta 1697

Ci-dessus : deux tableaux représentant la bataille de Zenta. Celui du haut, auteur inconnu. Celui du bas, Karl von Blaas (1863, Kunsthistorisches Museum, Vienne).

Le carnage dure jusqu’à dix heures du soir. À l’aube, on se rend compte de l’étendue de la victoire. On évalue le nombre des tués de l’armée turque à plus de trente mille dont le grand vizir, alors que les Impériaux ne comptent que cinq cents tués. Moustapha II a pris la fuite vers Belgrade avec deux mille rescapés. Le butin trouvé dans le camp turc est considérable.

Conséquences de la bataille de Zenta : Traités de Ryswick et de Karlowitz

Eugène entre de plain-pied dans la gloire. Il a réussi à restaurer l’ordre et la discipline et à rendre confiance à ses soldats, et il a exploité l’unique occasion de détruire une armée plus nombreuse que la sienne au prix de pertes minimales. Il devient un héros dans l’Empire. Prenant soin de ses soldats, il réclame avant toute chose que leurs soldes soient versées. L’empereur Léopold Ier le récompense malgré sa désobéissance à ses ordres.

Cette campagne aura aussi permis à soixante-seize mille familles chrétiennes de Serbie d’échapper au joug des Turcs en rejoignant la Hongrie lors d’une deuxième grande migration serbe.

Le 21 septembre 1697, le traité de Ryswick met un terme à la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Louis XIV doit restituer tous les territoires réunis mais garde Strasbourg. Il suspend son alliance de revers avec les Turcs.

La victoire de Zenta et la fin du soutien de Louis XIV permettent à la Sainte-Ligue de négocier en position de force le traité de paix de Karlowitz en 1698. Ce traité contraint la Sublime Porte à renoncer à la Hongrie, occupée depuis presque deux siècles, ainsi qu’à la Transylvanie qui reviennent à l’Empire, à la Podolie qui échoit à la Pologne, et au Péloponnèse qui revient, lui, à Venise.

La Russie signera la paix deux ans plus tard par un traité qui lui permettra d’obtenir les villes d’Azov et de Taganrog.

En 1698, l’Empire connaît enfin la paix mais elle sera éphémère.

Alexandre de Salvert – Promotion Roi Arthur