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Cinéma : The Northman

Depuis le 11 mai, The Northman, troisième film de Robert Eggers, est à l’affiche et nous offre l’occasion de retrouver le grand écran avec une œuvre mystique et symbolique digne du Conan de Milius et d’Excalibur de Boorman.

Cinéma : The Northman

Robert Eggers s’était illustré en 2015 lors de la sortie de son premier film, The Witch, marqué par la beauté de sa photographie, la fidélité de sa reconstitution du quotidien des puritains de Nouvelle Angleterre en 1630, l’humanité de ses personnages et l’intelligence de son traitement du fantastique. La forêt comme marge y tenait déjà un des rôles principaux, ses animaux étaient déjà véhicules d’esprits humains ou démoniaques. En 2019, The Lighthouse poursuivait cette veine mais dans un style plus rugueux, celui d’un huis clos masculin éthylique entre grossièreté et âpre poésie.

C’est aujourd’hui une adaptation de la geste du prince danois Amleth telle que rapportée par Saxo Grammaticus que nous livre le réalisateur, mais surtout un poème cinématographique imprégné de la mystique du sang et de la terre.

Le style d’Eggers résulte du mélange assez rare d’esthétisme, de symbolisme fantastique et de fidélité historique. On pourrait décortiquer ses références archéologiques et mythologiques en plusieurs pages, des passionnés l’ont fait sur Youtube (sur la chaîne de The Welsh Viking, par exemple), mais rien de tout cela n’est nécessaire pour appréhender la puissance de ce film qui s’adresse directement à notre âme en parlant en sa langue natale : celle des mythes et des archétypes.

Le scénario même n’a guère d’importance : au Xème siècle, le fils d’un roi assassiné par son frère entreprend de venger son père, tuer son oncle et sauver sa mère de ce qu’il pense être une servitude involontaire. Devenu un berserker anonyme, il est aidé par un oracle de Péroun/Svetovit  lors du pillage d’un village slave où il se lie à une jeune adepte de la magie tellurique en revenant, déguisé en esclave, sur les terres de son oncle usurpateur. Rien de nouveau sous le soleil, rien à divulgâcher si vous connaissez Amleth ou Hamlet.

Non, ce qui importe, ce sont les images qui vont frapper au cœur de notre imaginaire ancestral. C’est la musique inspirée de Wardruna et Heilung. Ce sont les discours du roi à son fils, et des oracles au jeune prince.

Yggdrasil prend la forme d’un arbre généalogique terrible, où les ancêtres sont des cadavres pendus, où le futur est visible sous la forme de deux jeunes enfants dont l’une deviendra une guerrière légendaire.

La valkyrie rassemble en elle tous les symboles des différentes époques que sa figure traverse en un hommage audacieux et non sans pertinence historique. Le temps s’annule et tout coïncide lorsque s’ouvrent les portes du Valhalla. Les snobs diront « kistch », les autres se laisseront porter dans ce voyage cosmique sur les ailes des corbeaux d’Odin.

Le temps s’annule aussi au sein de la lignée, comme un seul être, un seul arbre dont la sève est de sang, où passé et futur sont comme les organes d’un même corps.

C’est également le sens du tragique qui donne sa grandeur au film, en particulier à sa dernière scène : un duel à mort, primitif et éternel, entre deux guerriers quasi nus sur un volcan. La lave seule éclaire les muscles tendus et ruisselants, l’acier, le cuir. Cette image a une odeur : une odeur de puissance, de tragédie et d’énergie vitale dans la compréhension de, dans la tension vers, la mort. Les corps ressemblent davantage à des marbres antiques qu’à ce que devaient être ceux de guerriers des terres de glace, hommes forts plus que dessinés : c’est que la mimesis, la vraisemblance, ne porte plus sur le monde matériel mais bien sur les forces qui s’affrontent en nous.

La beauté est non seulement celle de la mise en scène, de la photographie, des visages (Alexander Skarsgard, Nicole Kidman, Björk…), de la musique, c’est aussi celle des paysages (Irlande et Islande principalement), des arbres, du ciel : elle est envisagée depuis le socle de la Nature.

Les évocations des cultes d’Odin, de Freyr, de Svetovit, de la transe berserker, des épées magiques et de leurs gardiens proviennent tout droit des sagas et de l’Edda, elles sont appuyées par la vraisemblance archéologique de l’usage et des formes des armes, des bijoux, des rites (reproductions de postures illustrées sur des objets rituels), des vêtements, des rôles sociaux. La brève apparition de la guerrière de Birka a ravi les enthousiastes de reconstitution historique. Les amateurs de théâtre élisabéthain, quant à eux, souriront à la reprise d’une célèbre réplique de l’adaptation shakespearienne de cette geste. Ce travail historique est le fruit de la collaboration d’Eggers avec des historiens et archéologues, un poète islandais, une célèbre chanteuse islandaise, son épouse, docteur en psychologie et passionnée par les mythes scandinaves : alchimie de l’excellence universitaire, de la poésie et de la passion.

Il importe qu’un tel film, véritable intru à notre époque dont il est l’exact opposé, trouve son public. Bien sûr la magie opère idéalement sur grand écran, mais il est également disponible en VOD : le bouche à oreille doit fonctionner.

Vous avez eu Conan, offrez The Northman à vos ados !

Mahaut Hellequin – Promotion Patrick Pearse

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