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Napoléon : le gentilhomme et le révolutionnaire

L’excellente revue Éléments publie dans son dernier numéro, consacré au bicentenaire napoléonien, un article que Dominique Venner y avait écrit en 1980. Il n’a pas pris une ride. Nous le reproduisons avec l’aimable autorisation de la rédaction.

Napoléon : le gentilhomme et le révolutionnaire

Il est prodigieux que si peu de temps après le typhon révolutionnaire, il se soit trouvé un génie capable de réaliser la synthèse parfaite de l’ancienne société monarchique et des apports positifs de la Révolution.

Jamais peut-être dans son histoire, la France ne fut – et ne sera – aussi puissante, aussi respectée. Malgré les fautes des années suivantes, le poids d’une guerre sans fin, le joug d’une dictature personnelle étouffante, les invasions de 1814 et 1815, il restera de cette brève époque comme le souvenir d’un âge d’or. Le martyr de Sainte-Hélène fera oublier le souverain autoritaire et le conquérant insatiable. Sa fin cruelle sur un rocher solitaire battu par les flots fascinera les romantiques qui fourniront un support littéraire à sa légende.

La réussite fulgurante, la gloire immense

Balzac, Stendhal, Hugo, Musset, Berlioz ou Delacroix se sont formés sous l’Empire et leur imagination s’est enflammée à la lecture des Bulletins de la Grande Armée. Ils ont été les témoins de la mort d’un monde et de l’accouchement d’une société nouvelle. La société monarchique, société patriarcale, fondée, suivant le mot de Montesquieu, sur l’honneur, sur les valeurs du rang, liées à la naissance, ignorant l’ambition, immuable dans ses comportements, a été balayée par la soif d’égalité, la disparition du cloisonnement de caste, l’ambition insufflée à tous, la ruée aux places, les coalitions d’intérêt. Un monde sans limites s’est ouvert aux fils des anciens serfs, des boutiquiers et des clercs de basoche. Acquéreurs de biens nationaux, spéculateurs de guerre, accapareurs de grands emplois publics, ils sont devenus banquiers, notaires, préfets, juges.

D’autres qui n’étaient rien se sont fait un nom par les voies plus risquées de la guerre. Les sergents Augereau, Masséna ou Bernadotte sont devenus généraux de la Révolution, maréchaux d’Empire, duc, prince et roi ! Et au-dessus, leur maître en toutes choses, le ci-devant sous-lieutenant Bonaparte, symbole de la réussite fulgurante, de la gloire immense. Celui qui fera rêver des générations de jeunes ambitieux impécunieux.

Déchiffrer la loi du monde…

Stendhal avec Julien Sorel, Balzac avec Rastignac ont cerné ce type d’aventurier, d’arriviste de haute stature inspiré par le modèle napoléonien. « Depuis bien des années, Julien Sorel ne passait peut-être pas une heure sans se dire que Bonaparte, lieutenant obscur et sans fortune, s’était fait le maître du monde avec son épée. Cette idée le consolait de ses malheurs… » Rastignac médite la méthode de l’Autre : « Avoir la cervelle cerclée de fer dans un crâne d’airain, avoir assez d’énergie sur soi-même, et on marche sur l’humanité comme sur un tapis. »

En bons élèves de Napoléon, ils ont déchiffré la loi du monde. Froids, calculateurs, sceptiques, dissimulateurs, fermés aux sentiments, concentrant leur énergie pour l’action, ils sont prompts à saisir les rares occasions que la chance présente aux hommes. Ce sont les précurseurs de l’homme d’action moderne, dont la silhouette glacée se nimbe d’esthétisme. Ce sont les prédateurs sociaux cernés par Pareto, à la fois renards et lions. Ils annoncent, suivant la formule de Malraux dans sa postface aux Conquérants, « un type de héros en qui s’unissent l’aptitude à l’action, la culture et la lucidité ». La férocité de leur ambition peut susciter l’effroi, jamais le mépris. Ils ne sont pas asservis à l’argent, mais au goût de la conquête et de la gloire. Ils font leur la maxime de Napoléon : « La mort n’est rien, mais vivre vaincu et sans gloire, c’est mourir tous les jours. »

Hérédité et volonté

Bonaparte, en son temps, avait été tout cela. Tirant son pouvoir d’un coup d’État appuyé par des révolutionnaires fatigués, il ne pouvait renouer avec la légitimité rompue de l’ancienne monarchie. Il chercha donc dans le soutien populaire personnel, par le moyen du plébiscite, le fondement d’une légitimité nouvelle établissant ainsi une véritable alternative moderne à la monarchie héréditaire, le principe d’un pouvoir conciliant démocratie, autorité et continuité. Principe redécouvert après l’échec répété des tentatives de pouvoir parlementaire, par les fondateurs de la Ve République, à travers l’élection du président de la République au suffrage universel et le recours au référendum.

Il est tout à fait prodigieux que si peu de temps après le typhon révolutionnaire, il se soit trouvé un génie capable de réaliser la synthèse parfaite de l’ancienne société monarchique et des apports positifs de la Révolution. Peut-être le fait de réunir en lui l’hérédité d’un gentilhomme et l’ambition d’un révolutionnaire l’y a-t-il aidé.

Dominique Venner

Éléments n°35, 1980. À lire, actuellement en kiosque : Éléments n°189, avril-mai 2021, Vive l’Empereur et mort aux cons !

Photo : Bonaparte, Premier consul. Tableau de Jean-Auguste-Dominique Ingres (détail), vers 1803.

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