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Les Cosaques, de Léon Tolstoï

Au-delà d’un témoignage sur les us et coutumes de ce peuple aux marches de l’Europe, l’ouvrage appelle au ressourcement par la confrontation d’Olénine avec la nature.

Les Cosaques, de Léon Tolstoï

Léon Tolstoï publie Les Cosaques pour la première fois en 1863 dans Le Messager Russe. Inspiré de la carrière militaire de l’auteur, le récit nous plonge dans la peau d’Olénine, un jeune Russe de vingt-quatre ans, accompagné de son valet Vania et de ses récurrentes expressions dans la langue de Molière qui a tant inspiré Tolstoï. Notre protagoniste s’engage comme officier chez les Cadets Fahnenjunker et part pour le Caucase, cherchant à s’éloigner des dérives qu’engendre la vie à Moscou. Il ira s’immerger dans la vie d’une stanitsa, un village cosaque auquel est affecté son régiment.

Le récit d’un protagoniste qui s’extrait d’un milieu confortable incitant au vice pour se porter vers une vie plus dure et plus pure n’est pas un procédé neuf dans la littérature ; on le rencontre dans bon nombre de récits de fictions. Pourtant, dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une fiction, mais bel et bien d’une part de la vie de l’auteur qui transparaît à travers les pérégrinations d’Olénine. En effet, Léon Tolstoï lui-même, à l’instar de son personnage, avait fui l’oisiveté de sa vie moscovite en 1851 afin de devenir artilleur dans le Caucase et combattre les montagnards tchétchènes. C’est donc, en quelque sorte, un récit autobiographique qu’il nous livre dans cet ouvrage à travers les yeux d’Olénine.

Plus qu’une affectation militaire ou qu’un désir de se « mettre au vert », le personnage de Tolstoï cherche les hautes montagnes proches des rives du Terek, dans les terres reculées de la « Sainte Russie ». Ce départ ne mène pourtant pas à des aventures extraordinaires emplies de péripéties inattendues. En effet, le réalisme coupe court aux projections fantasmées d’un lecteur habitué aux récits héroïques, et l’ouvrage se concentre d’abord sur la découverte du quotidien des Cosaques : un quotidien guerrier, cavalier, familial, et communautaire. On n’y rencontre ni atamans ni conflits démesurés, ni escarmouches ou enjeux politiques majeurs. Ces Cosaques ne sont que des gardiens, des guerriers-frontaliers protégeant le Caucase des incursions tchétchènes.

Au-delà d’un témoignage sur les us et coutumes de ce peuple aux marches de l’Europe, l’ouvrage appelle au ressourcement par la confrontation d’Olénine avec la nature. En effet, des évènements pousseront le protagoniste à retourner à une condition de « chasseur-buveur » pour suivre les pas de l’oncle Erochka, ancien guerrier notoire de la stanitsa, principal instigateur du retour à la forêt – et à l’alcool – d’Olénine. Erochka accompagnera notre protagoniste dans ses réflexions, lui enjoignant de pratiquer la chasse pour renouer avec l’ordre naturel des choses. L’ouvrage plonge le lecteur tantôt dans la peau du jeune soldat cosaque, tantôt dans la contemplation de la vie de la stanitsa, de ses fêtes, de ses chagrins, de son hospitalité, de ses journées rythmées par les incursions ennemies, ou dans les pas de la belle Marianna. La stanitsa prend ainsi vie sous nos yeux et dans nos esprits. Ce peuple majoritairement slave, grâce à Tolstoï, devient plus familier et l’ouvrage étoffe la conception classique que l’on a souvent des Cosaques, trop souvent résumée par le chant de veillée éponyme : ce sont certes des guerriers, des buveurs et des cavaliers. Mais on les découvre également empreint de « pofigisme », cette attitude décrite par Sylvain Tesson qui pousse à une « résignation joyeuse, désespérée face à l’absurdité du monde ». Enfin, ces combattants farouches sont accueillants, malgré un premier abord difficile et un caractère trempé, aiguisé par la rudesse de la vie du sud du Caucase.

Les Cosaques de Tolstoï apporte au lecteur une bouffée d’air frais. Sa lecture est un véritable repos pour l’esprit. L’ouvrage reste une lecture accessible, et l’on prendra plaisir à s’égarer aux côtés d’Olénine dans la forêt, près d’Erochka et de ses cuves de vodka, au bord du fleuve Terek avec les gardes militaires ou dans les chemins de la stanitsa après un vol de chevaux. L’on se surprend à souhaiter accompagner notre héros dans son récit et à vouloir apprécier l’authenticité de cette vie profondément enracinée, proche d’une retraite monastique sauvage.

 Marc Senan – Promotion Léonard de Vinci

Photo : Léon Tolstoï en 1856