Institut ILIADE
Institut Iliade

Le bon grain et l’ivraie

Ce texte de Bruno Favrit a été publié dans le numéro spécial de la revue Livr'Arbitres, à l'occasion du VIIe colloque de l'Institut Iliade "La nature comme socle, pour une écologie à l’endroit" le 19 septembre 2020.

Le bon grain et l’ivraie

La nature vérifie des principes que l’homme ne peut impunément dédaigner. Décideurs et dominants peuvent toujours se déclarer écologistes, s’ils persistent à les ignorer, ils ne doivent pas s’étonner de s’exposer à des sanctions. Aimer la nature et lui témoigner du respect est toujours le meilleur moyen de nous attirer ses faveurs. Encore faut-il s’y employer avec discernement, sans minimiser les réalités de son déterminisme.

Le bilan est lourd de conséquences et d’enseignements. Emballement des flux, financiers, matériels et humains, délocalisations des entreprises nationales, sous-traitance de la fabrication des produits à l’autre bout du monde constituent la figure la plus effarante de la mondialisation des échanges. Il n’est désormais plus contestable que ces mouvements incessants ont durablement déprimé les équilibres naturels. Aux dérèglements climatiques sont venus s’ajouter la propagation de virus mortels et la prolifération d’insectes parasites.

En se montrant insensible aux préoccupations sociales, à la morale, aux théories humanistes, la nature, dans son déterminisme, obéit à des principes peu égalitaristes et humanistes.

Pourtant, quand il est question de sauver la planète les avis sont unanimes. Quel que soit le niveau de décision, du politique à l’industriel en passant par l’intellectuel, il est urgent de prendre les mesures appropriées à la préservation de notre environnement. Seulement, la nature pour laquelle ils vont désormais témoigner leur meilleure sollicitation – après l’avoir si aveuglément saccagée –, porte en elle des vérités qui heurtent les valeurs morales modernes où les vertus du progrès se trouvent encore profondément ancrées. En se montrant insensible aux préoccupations sociales, à la morale, aux théories humanistes, la nature, dans son déterminisme, obéit à des principes peu égalitaristes et humanistes. Or, déroger à la règle instituée selon quoi rien ne doit se penser ou s’élaborer au détriment de l’homme n’est pas pensable. Celui-ci doit pouvoir, en effet, continuer à se déplacer et à se multiplier sans limite. On va donc plutôt s’intéresser aux énergies renouvelables et à la gestion des déchets. Et la cause principale du malaise, pas assez idéologiquement acceptable, sera laissée de côté. Un principe décrété supérieur qui voudrait commander à tout mais qui biaise considérablement le propos.

Dans cette même logique, les différences, qui soit-disant fécondent nos sociétés, sont conditionnées par l’impératif hypothétique selon quoi tout attachement à une communauté particulière serait une erreur, voire une obscénité. C’est pourquoi la disparition des spécificités ethniques et de leurs habitats ne viendront pas sensiblement heurter la conscience des écologistes ordinaires.

Seules la faune et la flore sont ici prises en compte. Pour ce qui est des richesses relatives à l’humain, nos « humanistes » patentés font l’impasse. Forcément, puisque, par définition, et selon leur logiciel, l’humain est Un.

Ces raisonnements sont lourds de conséquences. Puisque l’expérience a montré, dans les domaines politique et religieux, que toute entreprise d’égalisation mène à la négation des différences. On voit bien ce qu’il en est quand il s’agit d’évoquer la préservation de la biodiversité. Seules la faune et la flore sont ici prises en compte. Pour ce qui est des richesses relatives à l’humain, nos « humanistes » patentés font l’impasse. Forcément, puisque, par définition, et selon leur logiciel, l’humain est Un. Et si on les entend proclamer que les différences enrichissent, elles sont, selon eux, vouées dans un second temps à disparaître. Afin que race et espèce finissent par ne faire plus qu’une. Il ne s’agit, au final, que de se repaître du spectacle de « l’un illimité », une sorte d’oxymore qui dénote bien de la mentalité des élites et des décideurs, encourageant à toujours plus de fluidité et d’ouverture.

Il ne faut pas désespérer pour autant. Car, face à la culture planétaire dominante, une véritable prise de conscience est en train de se faire. Et c’est de la base plutôt que des élites et des décideurs que cette initiative est partie. Le bas de la hiérarchie, autrement dit le peuple, relève la tête à force d’avoir été bafoué et méprisé par ses dirigeants, et il décide de s’opposer aux injonctions mondialistes. Dès lors, après tant d’errements cosmopolites, les signes d’un réenracinement émergent nettement. Il est question d’agriculture vivrière biologique, de marchés de proximité, de paniers paysans, de consommation de produits locaux, de soin par les plantes, de réintroduction de semences en voie de disparition… Ce n’était peut-être pas mieux avant, mais il y a certainement à prendre des enseignements du côté des pratiques de nos ancêtres. Plus significatif encore est cet intérêt croissant pour la généalogie, pour l’origine géographique. On a beau vouloir se détacher du socle, il se rappelle toujours à nous. Ne pas renier cette réalité c’est ne pas renier sa propre réalité. Il importe de se connaître sans avoir à se référer aux théories universalistes érigées en principes incontournables par ceux qui décident hors tout processus démocratiques, et qui croient qu’être « en phase avec son époque » autorise migrations, hybridations et mutations… Comme si s’efforcer de garder en l’état ne pouvait être dans l’air du temps. Comme s’il valait mieux être de son temps plutôt que de chercher à sauver ce temps.

On peut ne pas se limiter à la consommation de produits locaux ou à la recherche de ses ascendants. Sans pour autant s’enfermer dans des pratiques « archaïques », contester le changement et l’innovation, institués comme règles immuables dans nos sociétés, est un moyen de se comporter en véritable écologiste. À cet effet, il faudra commencer par creuser la distance avec ces entreprises d’endoctrinement, par médias et écrans interposés, qui mettent hypocritement en avant leur conscience écologique sans pour autant renoncer à leurs préoccupations matérialistes. Donc, pour certains, se résoudre à clairement relâcher le lien que tend à imposer le confus caquetage des réseaux, l’actualité en boucle et, plus généralement, une débauche numérique à vocation universaliste. On trouvera une motivation supplémentaire à cette distanciation (une sorte de geste barrière) si l’on sait que, de surcroît, la pollution générée par internet en énergie et gaz à effet de serre est considérablement élevée. Mais la Toile est aussi une pollution pour l’esprit, tant elle participe d’une vaste entreprise de domestication qui sollicite l’internaute au point qu’il se trouve dépossédé de son être profond et, partant, de ses intuitions originaires.
N’être plus soi c’est aussi demeurer étranger à soi-même, à sa terre. Il est facile, dans cette dépendance où sait tellement bien nous entretenir Internet, de ne plus faire cas de ces deux éléments qui sont l’identité et l’appartenance. On se retrouve facilement dans la peau d’un de ces éléments interchangeables, communément qualifiés de « citoyens du monde ». Davantage, du reste, par facilité et mimétisme que par conviction. Mais tout de même identifié à ce qui n’a plus d’identité.

Dans le cadre des discours dits écologiques, il est souvent question de la terre. Cependant, celle-ci peut être vue comme un élément général ou particulier. Nous avons à la considérer dans ce qu’elle révèle en nous de significatif et de déterminant. Elle est le lieu qui nous a vu venir au monde, ou avec lequel nous nous sentons des affinités. Ce sentiment d’attachement à une terre ne s’explique pas nécessairement, il est en nous. La terre peut être transcendée. Et ce qui nous vient d’elle est chargé de sens. Si nous ne savons pas dire pourquoi c’est parce que les mots manquent, que l’instinct parle plus fort, l’instinct et les évidences qui, pourtant, devraient s’imposer à chacun de nous.

Apprendre à se connaître par ces immersions au sein des terres connues, privilégier la fréquentation de ces espaces et se laisser investir par toutes les forces qui courent sous la surface et convergent depuis les infinités cosmiques. Le silence et la contemplation, le dialogue avec le tréfonds des choses et leur côté inexorable tiennent éloigné de la rumeur des propagandes.

Indéniablement, l’expérience et la fréquentation de la nature nous fortifient et constituent une réponse appropriée aux idéologies mortifères, à cette vision nominaliste de l’homme corrélée à celle d’un monde idéalement cosmopolite. Aimer cette terre et la respecter dans ses manifestations, si imperceptibles soient-elles, c’est recevoir l’assurance qu’elle nous manifestera en retour de la bienveillance. Ici sont les vérités d’aujourd’hui et de toujours. Ici s’élabore la plus authentique écologie.

Bruno Favrit
Source : Livr’Arbitres, numéro spécial “La nature comme socle”, septembre 2020