La musique doit être enseignée et non consommée
Au lieu de défendre et transmettre un patrimoine culturel admiré depuis des générations dans le monde entier, l’industrie musicale occidentale travaille à le remplacer.
« Toutes les musiques se valent ». Ignorance, provocation ou déconstruction, cette déclaration de la ministre de la Culture (Rima Abdul-Malak, France Culture, 01/09/2022) est significative de l’effondrement de la musique en France. Et ce n’est pas le Président qui risque de la contredire, il suffit de regarder la programmation de la fête de la musique à l’Élysée pour mesurer l’étendue des dégâts. L’absence générale de réactions reflète un dramatique consensus.
Avec cette platitude la ministre conforte les esprits paresseux, ceux qui s’en tiennent à une affaire de goût, comparant Johnny à Booba. Si un ministre doit toujours caresser l’électeur dans le sens de son vote, Rima est bien placée pour connaître le rôle de la musique, c’est elle qui finance. En effet, attribuer une valeur à la musique est une démarche de commerçant. À l’époque où la musique est mise à disposition gratuitement, les musiciens sont condamnés à dépendre de l’État. Il faudrait se poser la question de savoir qui finance l’industrie musicale, car la composition, l’enregistrement et la diffusion de chansons ont un coût et la gratuité ne favorise pas l’indépendance.
La musique n’est plus enseignée
Cette déclaration n’est pas surprenante puisqu’elle s’inscrit dans la politique musicale poursuivie systématiquement depuis des décennies par tous les gouvernements. Avant d’être une affaire de goût, la musique est une affaire de compétences. Depuis l’entrée dans l’ère de l’enregistrement, n’importe qui peut écouter ce qu’il veut. Au long apprentissage nécessaire pour maîtriser un instrument, s’est substituée la musique gratuite. Un régime totalitaire préférera à des citoyens éduqués, une masse ignorante, incapable de distinguer une composition de qualité d’un rythme de transe. Non toutes les musiques ne se valent pas, mais pour le savoir il faudrait que la musique soit enseignée au lieu d’être bêtement consommée.
La musique n’ayant pas de frontière, l’orchestre de l’Opéra — un des plus anciens de France — est maintenant dirigé par un chef vénézuélien. Il avait été fondé en 1669 par Lully, Italien d’origine et formé par des musiciens français. Aujourd’hui les conservatoires français ne sont plus capables de former le chef d’orchestre de l’Opéra, car il y a longtemps que le solfège n’est plus enseigné dans les écoles. L’éducation musicale française est surclassée par celle du Venezuela. Ce serait l’occasion pour la ministre de s’intéresser à El Sistema, le programme social à l’origine de cet intéressant résultat. Tous les musiciens ne se valent pas.
Un mépris du patrimoine
La France a pourtant un passé musical considérable, délibérément ignoré par l’affirmation ministérielle. Au-delà de la normalisation du grégorien par les carolingiens, la polyphonie naît dans l’École de Notre-Dame de Paris, pour se développer dans l’École franco-flamande. Le Te Deum de Charpentier est toujours le générique de l’Eurovision et l’on dit même que Lully a composé la mélodie du God Save The King. Au XIXe, la France met au point l’orchestre de plein air qui va diffuser la musique européenne sur toute la planète. Puisque la seule écriture musicale est européenne, c’est un Français qui enseigne le solfège aux Perses, un autre aux Japonais et les Chinois utilisent une écriture musicale (jianpu) issue d’un système français (Galin-Paris-Chevé). Traduisant la décadence, après la 2e guerre mondiale, la France se distingue par son soutien aux “musiques atonales” et autres compositions inaudibles. Temple de ces productions que personne n’écoute (les droits d’auteur en attestent), l’IRCAM ne survivrait pas sans subventions. Traduisant les préférences des politiques, certaines musiques sont plus subventionnées que d’autres.
Il n’est évidemment pas question d’empêcher les mélomanes de choisir la musique qu’ils préfèrent écouter, toutefois il serait bon que l’on se pose la question de savoir pourquoi l’on sélectionne ce que l’on écoute. En ce sens, l’offre mise en place pour conditionner ces choix n’est jamais neutre. Si le rap est devenu la musique la plus écoutée, c’est avec l’aval des autorités publiques, confortant ainsi le message de violence, pour ne pas dire de haine et de racisme qu’il véhicule, confirmé par les condamnations judiciaires.
Démondialiser la musique
La musique rend compte de l’harmonie des sociétés qui la produisent. Ainsi, la musique devrait être intégrée aux fonctions régaliennes. Dans la Chine ancienne, l’empereur détenait le diapason et toute déviance était signe précurseur de conflits sociaux. Aujourd’hui, les concerts doivent obtenir une autorisation préfectorale et ce n’est pas pour leurs musiques que les rave parties sont contrôlées par les gendarmes. La censure est constante et s’est récemment exercée à l’encontre des musiciens et compositeurs russes. En 2019, des chanteuses étaient convoquées devant l’Assemblée nationale. Les antifas dénoncent les groupes identitaires aux préfets. Certaines musiques sont persécutées et pas d’autres, toutes les musiques ne se valent donc pas car la ministre de la Culture conduit cette politique sélective : seules sont autorisées, les musiques agréées par le pouvoir, celles qui servent à conditionner les populations.
L’absence de réactions qu’elles soient culturelles ou politiques ne traduit qu’une unanimité, celle du totalitarisme culturel actuel. Au lieu de défendre et transmettre un patrimoine culturel admiré depuis des générations dans le monde entier, l’industrie musicale occidentale travaille à le remplacer. Comme dans bien d’autres domaines, il devient indispensable de démondialiser la musique, c’est justement le titre d’un ouvrage en instance de publication à la Nouvelle Librairie.
Thierry Decruzy
À paraître aux éditions de La Nouvelle Librairie en collection Iliade, Démondialiser la musique. Une réponse au naufrage musical européen, par Thierry Decruzy.