Observations scientifiques, biais idéologiques et choix politiques
Par Jean-Yves Le Gallou. Colloque du samedi 15 avril 2023.
« C’était mieux avant » est une vieille antienne. Parfois, mais pas toujours, justifiée. C’est pour cela que nous avons voulu objectiver la question du déclin anthropologique. Une équipe d’auditeurs de l’Iliade a mis sa formation scientifique au service du colloque pour dresser un état des lieux. Implacable.
Dépression et burn-out en progression.
Consommation de drogues et d’opiacés en forte expansion.
Augmentation considérable de la présence devant les écrans et diminution du temps de concentration.
Baisse du quotient intellectuel et du niveau scolaire.
Épidémie d’obésité.
Chute de la testostérone chez les hommes et baisse globale de la fertilité.
Le bouleversement anthropologique de l’homme européen – et plus largement de l’homme occidental – est manifeste. Il est en tout cas observable et quantifiable. Recherches ciblées et méta études le confirment.
Peut-on qualifier cette mutation de déclin anthropologique ? C’est notre appréciation. Ce n’est pas la science qui peut nous dire s’il faut préférer ou non l’intellectuel qui entraine son cerveau et cultive son esprit à l’oisif passif ou si l’homme qui parcourt un chemin de randonnée est meilleur ou pire que celui qui reste assis derrière son écran. On peut aussi trouver du bien fondé à la thématique de l’alternance chère à Henry de Montherlant.
Il s’agit là de choix politiques comme de préférences esthétiques. De choix individuels dans lesquels il y a du commun.
Ceci posé, de nombreux travaux scientifiques permettent d’approcher les raisons de ce que nous avons choisi de qualifier de déclin anthropologique ou plus exactement d’établir certaines corrélations qui peuvent être aussi des causalités : par exemple, entre omniprésence des écrans et baisse du niveau scolaire ou entre prolifération des perturbateurs endocriniens et baisse de la fertilité.
Au cours du colloque, de nombreuses références à des études scientifiques seront utilisées pour adosser nos raisonnements sur les faits. Cet ancrage dans les exigences de la rigueur ne doit pas nous faire oublier que « la science » n’est pas neutre.
Ni dans son approche, ni dans sa pratique.
Ni dans son approche qui privilégie souvent un point de vue analytique plus que synthétique et se polarise sur ce qui est quantifiable au détriment des autres aspects de la réalité.
Ni dans sa pratique : le travail scientifique est le fait d’hommes et de groupes d’hommes qui ont leurs préjugés et défendent des intérêts de corps, d’idéologies, d’ego ou tout simplement matériels.
À l’exception de (rares) grands esprits indépendants les scientifiques répondent aux questions qui leur sont posées et ce dans le cadre d’études qui sont financées ; études qui ne concernent qu’une petite partie du champ des possibles.
Les travaux scientifiques peuvent aussi faire l’objet de biais dans leurs orientations ou leur présentation: censés garantir le sérieux, les « comités de pairs » sont de puissants facteurs de conformisme. Et surtout toutes les études raisonnablement envisageables ne sont pas réalisées car certaines sont trop « touchy » : en clair, leurs conclusions risqueraient de bousculer des points de vue établis ou des intérêts bien assis.
Méfions-nous de ce que Nathalie Heinich appelle dans un ouvrage récent le « militantisme académique ». Ainsi dans notre domaine il n’est pas forcément évident de conduire de larges études sur certains sujets plus sensibles que d’autres tels que :
- Le rôle éventuel des œstrogènes de synthèse dans la féminisation des jeunes hommes.
- L’évolution des quotients intellectuels à population d’origine standardisée (pour neutraliser les effets éventuels des changements de population sur les résultats).
- Le rôle éventuel des méthodes pédagogiques dans les performances scolaires.
- La prégnance de l’obésité selon l’exposition publicitaire et le contenu des publicités.
- L’effet des politiques publiques sur les données anthropologiques : à cet égard le recul de l’alcoolisme et du tabagisme semble monter l’efficacité des politiques couplant répression et propagande.
Deux points méritent particulièrement réflexion : les boucles de rétroaction et les phénomènes complexes.
Il faut prendre en compte les boucles de rétroaction : la présence devant les écrans augmente l’exposition publicitaire et donc la consommation d’aliments favorisant l’obésité qui pousse à la sédentarité, sédentarité qui pousse à accroître le temps passé devant les écrans…
Quant à la chute démographique elle s’explique probablement par des causes multiples : politiques, culturelles, matérielles mais aussi biologiques. Dans la nature les populations animales s’auto régulent en fonction du territoire disponible et de l’abondance des ressources. Pourquoi l’homme qui appartient aussi au monde du vivant échapperait-il à la loi commune ? Même si nous identifions mal par quels mécanismes celle-ci opère. De ce point de vue il n’est pas surprenant que la transition démographique concerne la quasi-totalité des aires civilisationnelles à l’exception des mondes arabo-musulmans et africains qui bénéficient peut-être d’une prédation des ressources (espace, nourriture, soins médicaux) exercée à l’encontre des autres.
Il faut se garder du socio scientisme consistant à prendre pour vérité absolue toute étude présentée par un « expert », comme de l’hyper scepticisme consistant à rejeter tout travail scientifique. Il faut reconnaître que la transformation de l’alarmisme climatique et du covidisme en quasi religions séculières ne rend pas simple la recherche d’un juste équilibre. Que chacun doit trouver en exerçant son esprit critique aussi bien sur les thèses officielles que sur les options qui les contestent. Vous me pardonnerez bien ce moment de centrisme idéologique!
Enfin à supposer même qu’on connaisse les causes des phénomènes observés cela ne signifie pas nécessairement comment agir – ou non – pour les modifier. C’est ici que la politique – le politique – intervient. Dans le choix du bien commun comme de la manière de le mettre en œuvre.
Ce n’est pas la science qui nous dit s’il faut placer au premier plan l’utilité ou la beauté, le confort ou l’effort, la liberté ou la puissance.
Ce n’est pas la science qui nous dit s’il faut préférer l’homme svelte et élancé affrontant la nature à l’obèse avachi dans son fauteuil devant son écran.
Ce n’est pas la science qui nous dit s’il faut préférer l’homme européen à l’occidental déconstruit.
Ce n’est pas la science qui nous dit de veiller à l’équilibre démographique de nos peuples plus encore qu’à celui de la « planète », entité non politique.
Ce qui nous aide à trouver la réponse à tous ces choix c’est une vue du monde et une interprétation de l’histoire.
Le philosophe Giorgio Locchi, dont l’Iliade vient d’éditer ou rééditer deux œuvres, a mis en avant une conception sphérique de l’histoire. Une construction tridimensionnelle :
– le présent dans son actualité,
– une certaine vision du passé telle que construite dans le présent,
– et contribuant à rendre possible un certain devenir.
Telles sont les racines du futur.
Notre vision nous la puisons dans la longue histoire européenne. Nous sommes tradionistes. Voilà pourquoi l’autre face de ce colloque c’est vivre en Européen. L’observation et l’interprétation des faits le matin. Le recours au mythe l’après-midi.
Et là nous nous confrontons à une autre vision. Celle de l’extrême gauche. La déconstruction du passé : du passé faisons table rase, ou plutôt, ou pire, du passé évoquons une vallée de larmes dont il faudrait faire repentance. La mise en perspective d’une histoire mondiale de l’humanité prélude à la disparition des Européens. Une sous-culture artistique ignorant tout ce qui précède l’art contemporain et où Botero fixerait les canons de la beauté. Une déconstruction des races, des sexes, des cultures, selon la « French theory » revenue des États-Unis sous la forme du wokisme.
C’est vision contre vision car, entre l’extrême gauche et nous, il n’y a rien d’autre qu’une baudruche gélatineuse.
L’opposition est tranchée et la lutte sera rude.
Mais si notre conception de l’homme européen perdait la bataille alors il serait remplacé démographiquement, culturellement, économiquement. Par les masses africaines. Par l’islam conquérant. Par la dynamique chinoise.
Alors notre choix est clair : vivre en Européen plutôt que périr en occidental déconstruit.
Ressaisissons nous et écoutons l’appel d’Aragorn à la bataille des champs de Pelennor : « Hommes de l’ouest levez-vous ! »
Voir aussi
- Le déclin anthropologique. État de la littérature scientifique (Thomas Boris, Gwendal Crom et Vaslav Godziemba), 98 pp, 10 €