Excalibur, Durandal, Joyeuse : la force de l’épée
Alors que la menace du sabre plane sur le vieux continent depuis le VIIe siècle, Martin Aurell distingue un objet d’unification culturel des Européens : l’épée. Une arme qui symbolise les vertus d’honneur et de gloire militaire ou spirituelle.
Après un excellent ouvrage sur Le Chevalier lettré dans lequel on apprend avec de nombreuses sources l’éducation et la conduite de la chevalerie au Moyen Âge central, Martin Aurell, professeur à l’université de Poitiers où il dirige le Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, aiguise sa plume sur l’épée médiévale. Objet qui a su au travers les siècles recouvrir différentes fonctions militaires, symboliques, sociales, pour devenir un véritable mythe. L’épée effraye, émerveille, enchante mais surtout réveille en chacun de nous comme un appel, un son de cor qui provient des confins de notre Europe intérieure.
Fort en tant qu’objet mais également en tant que symbole, l’épée est catalyseur de l’esprit du Moyen Âge central
Évoquant à la fois le monde des sagas scandinaves, des mythes gréco-romains et des récits bibliques, l’épée regroupe le passé d’un monde païen qui, sans s’effacer, se subsume mais dans le monde chrétien. Loin d’objectiver son sujet d’étude, l’historien s’intéresse à la main qui tient l’épée – qu’elle soit celle du forgeron, du combattant, des rois, des prêtres ou des femmes.
L’auteur référence abondamment ses ouvrages et rend la lecture agréable par de nombreuses citations de littérature médiévale, permettant ainsi au lecteur de découvrir certains passages méconnus.
L’épée est un attribut de justice, de puissance royale ou d’autorité seigneuriale : ce marqueur social revêt ainsi une importance pour son porteur et le jeu de représentation dans lequel il s’inscrit. A noter que contrairement à de nombreux faussaires de l’Histoire, Martin Aurell pare habilement l’écueil marxisant qui consiste à présenter l’épée comme le moyen de prédation et de domination d’une classe sociale sur une autre.
À la lecture de l’ouvrage, on saute agréablement du Conte du Graal aux Eddas poétiques, puis du récit historique de Saint Thomas Becket aux descriptions de la valeur esthétique de la poignée dans la poésie galloise du haut Moyen Âge. Cet ouvrage est donc un voyage dans l’ultrahistoire (chère à Georges Dumézil) où l’histoire s’entrechoque avec la littérature et l’archéologie.
Les vertus de l’honneur
En quête de repères, quoi de mieux que d’imiter nos héros des temps jadis, comme Gauvain, Lancelot, Charlemagne ou encore Godefroy de Bouillon, et de se mettre à l’écoute d’un maître de la littérature de l’époque médiévale ? Loin d’oublier l’aspect entièrement pratique et technique de l’objet, il nous rappelle la douce époque où l’Occident ne se distingue pas par le drapeau arc-en-ciel ou l’écriture inclusive, mais plutôt par les vertus d’honneur et de gloire militaire ou spirituelle.
Les épées souvent retrouvées dans les sépultures étaient perçues comme un « trésor dynastique », mais les héritiers que nous sommes sauront-ils transmettre, à défaut de l’objet, du moins la charge symbolique que cet ouvrage vient réanimer ?
L’ouvrage est recommandé à tout esprit bien né qui souhaite se saisir de l’épée de vérité par la garde de la tradition et du réenracinement.
Louis Chevalier – Promotion Don Juan d’Autriche
Martin Aurell, Excalibur, Durendal, Joyeuse : la force de l’épée, PUF, Paris, 2021, 316 p., 22 €.