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Du déclin à la renaissance, vivre en Européen

Par Pierluiggi Locchi. Colloque du samedi 15 avril 2023.

Du déclin à la renaissance, vivre en Européen

« Nous sommes à un tournant entre deux époques. Un tournant dont la signification est comparable à celle du passage de l’âge de pierre à l’âge des métaux. »

Ce constat n’est pas de moi, il est d’Ernst Jünger. D’un Ernst Jünger tout juste sorti des orages d’acier de la Grande Guerre mais qui déjà pressentait l’importance du bouleversement que nous vivons aujourd’hui. Ce qu’il ne pouvait alors prévoir, c’est que ces bouleversements majeurs s’accompagneraient d’un empoisonnement des âmes quand ce n’est déjà, pour une partie de la population ici en Europe, du grand suicide ethnique et culturel que nous combattons.

Heureusement, si je puis dire, l’Institut Iliade est Institut pour la longue mémoire européenne. Et que nous dit notre longue mémoire ?

Elle nous dit que nous avons déjà vécu ce moment, et que nous en sommes sortis vainqueurs. Plus exactement, elle nous rappelle que nos ancêtres ont vécu un moment en tout point comparable à celui que nous vivons aujourd’hui, et qu’ils ont su triompher de difficultés qui furent, par leurs effets dévastateurs, du même ordre que celles que nous connaissons.

De quoi s’agit-il ? Aussi longtemps qu’ils furent chasseurs cueilleurs nos ancêtres connurent un mode de vie immuable, progressivement perfectionné mais en définitive toujours le même, pendant des dizaines et des centaines de milliers d’années, comme nous le rappelait Baptiste Rappin ce matin. Puis, en l’espace de quelques générations ils ont dû appréhender un tout nouvel environnement, de nouveaux repères, de nouveaux liens sociaux. Exactement comme nous, dont le mode de vie a plus changé en trois ou quatre générations que depuis des milliers d’années.  

Nos ancêtres vécurent la révolution néolithique – nous, nous vivons la révolution technologique. Dans les deux cas, il s’agit d’une véritable révolution anthropologique.

Nous avons vu, dans la vidéo qui a précédé cette intervention, comment l’homme est ouvert au monde, comment, non « programmé » par son espèce, il se programme lui-même en se dotant de ce qui lui manque, façonnant à la fois soi-même et son milieu par la culture.

J’ajouterai une chose : depuis son apparition, c’est-à-dire depuis ce qu’on appelle l’homination, jusqu’à la révolution néolithique, ce premier homme chasseur-cueilleur aura suivi un même parcours anthropologique, se retrouvant à chaque nouvelle génération à la fois sujet et objet de sa propre domestication, domestication étant ici entendue à la fois comme mise en ordre de marche individuel et projet de vie collectif. Or ce qui a fait le bouleversement total de la révolution néolithique, est qu’en plus de ce travail de reconquête continue de sa propre humanité par la transmission et la culture, l’homme ajoute à ce moment précis la domestication de la nature vivante. L’invention de l’élevage et de l’agriculture impose la fin du nomadisme et installe la sédentarité, l’urbanisation, la hiérarchisation. Des spécialisations apparaissent qui n’existaient pas jusqu’alors, et la communauté se découvre des parcours anthropologiques différenciés, qui s’exprimeront dans des fonctions sociales spécifiques – les trois fonctions mises en lumière par Georges Dumézil.

Aujourd’hui, rebelote. L’homme s’attaque à la matière-énergie. Mais cette fois, seul l’homme européen est à l’origine du phénomène, même si ce dernier, depuis, s’est étendu sur tous les continents, bouleversant le mode de vie de tous nos contemporains.

La domestication de la matière-énergie a engendré la révolution technologique, une révolution qui modifie notre milieu, transforme la société et par effet de retour, exactement comme lors de la révolution néolithique, provoque des changements radicaux dans l’ordre social et dans les liens entre les hommes. Avec encore plus de spécialisations, encore plus de parcours anthropologiques différenciés et une compartimentation accrue de la société en groupes et sous-groupes extrêmement différenciés et souvent ignorants de tout ce qui concerne les autres.

Nous sommes au pied du mur, et c’est le moment ou jamais de nous souvenir que c’est justement du triomphe des bouleversements dus à la révolution néolithique qu’est née notre civilisation européenne. Sans la volonté de dépassement de nos aïeux nous ne serions pas ce que nous fûmes et que nous sommes : sans leur acceptation des nouvelles conditions de vie, pas de sens tragique de l’histoire ni d’épopée civilisationnelle européenne.

C’est cette attitude que nous faisons nôtre aujourd’hui : de même que la révolution technologique est advenue et qu’elle est irréversible, de même le déclin anthropologique est réel mais n’a rien d’inéluctable – sauf … sauf si nous confondons déclin et mutation anthropologique, ce qui de nous priverait des clés permettant de relever le défi de la modernité et de construire un avenir conforme à notre vision du monde et à l’esprit de nos pères, esprit que je rappellerai brièvement.

Je reviens à la case néolithique – c’est la dernière fois. J’y reviens, car c’est à ce moment que l’homme prend conscience de sa dimension historique – tout simplement parce que domestiquer la nature vivante, c’est prévoir une récolte, c’est compter sur les fruits d’un cheptel, et ça, ça vous projette d’office dans l’histoire. Mais nos ancêtres ont fait plus : ils ont accepté d’être-pour-l’histoire (pour le dire à la manière de Heidegger). Non seulement l’homme européen a assumé son être-pour-l’histoire mais il l’a même en quelque sorte revendiqué, en projetant le nouveau mode de vie dans son propre panthéon : c’est ce que Georges Dumézil nommera l’idéologie trifonctionnelle des peuples indo-européens. D’autres peuples, sous d’autres latitudes, ont fait un choix inverse, ont rejeté idéalement ce deuxième type d’homme et se sont construits dans la nostalgie du premier. En témoigne par exemple l’Ancien Testament : dans cette conception du monde, le passage à la sédentarité et la précipitation dans l’histoire représentent une chute, un péché originel. L’histoire ici est une parenthèse malheureuse dont il convient de sortir et ne se conçoit que comme un long chemin vers une rédemption.  

Si je vous parle d’histoire, c’est parce que les différentes conceptions de l’histoire se retrouvent au centre des questions qui nous préoccupent, surtout depuis qu’acceptation et refus de l’histoire sont entrés en contact et en opposition, y compris dans l’attitude à adopter face aux bouleversements actuels. Nombre de nos contemporains voient ainsi dans l’histoire la conséquence du reniement d’un état de nature où l’homme est naturellement bon, où l’injustice sociale et les conflits n’existant tout simplement pas, où tous les hommes sont égaux. Dans cette optique, l’histoire doit nous conduire à retrouver ces mêmes conditions idéales perdues, le bonheur et l’équilibre ainsi instaurés signant du coup également la fin de l’histoire elle-même. Nous retrouvons là aussi bien les utopies marxistes que les buts revendiqués de la gouvernance mondiale promue par l’élite mondialiste libérale.

Je constate que le fossé se creuse toujours plus entre ces nostalgiques d’ud’une fin de l’histoire présentée comme un progrès – et ceux pour qui cette fin n’est autre qu’un retour à l’éternel présent de l’espèce biologique et qui luttent en Europe pour perpétuer et prolonger une civilisation qui à leurs yeux ne demande qu’à renaître, renouvelée et régénérée.

S’i y a une chose à retenir de cette intervention, c’est celle-ci : l’actuel déclin anthropologique ressort exclusivement de la gouvernance de ceux que l’on pourrait qualifier de nostalgiques du chasseur-cueilleur et de la fin de l’histoire, qu’ils en soient conscients ou non. Ceux qui provoquent le déclin sont les mêmes qui s’opposent à l’homme européen et se servent de ses créations contre lui pour mettre fin à toute volonté d’histoire. Et l’on assiste à une curieuse alliance : celle d’une élite égoïste et assoiffée de richesses qui après s’être emparée des nouvelles technologies a trouvé à s’allier avec les promoteurs d’une idéologie visant à mettre un terme à tout ce qui a fait la civilisation européenne.  Finance et mass-media sont ainsi devenus le bras armé des tenants de l’abolition de l’histoire – Dow Jones et wokisme, même combat !

Mais j’imagine que je ne vous apprends rien sur la superclasse qui sous prétexte de progrès, instrumentalise les naïfs et ravale le reste de l’humanité à une animalité hédoniste.

Dans son livre L’Homme nomade, paru il y a déjà vingt ans, Jacques Attali écrivait ceci : « Les hyper nomades (artistes, détenteurs d’un actif nomade, brevet ou savoir-faire) sont les maîtres de cette troisième mondialisation. Sans attache sédentaire, ils […] forment une hyper classe, ils constituent le réseau gouvernant le monde, à la recherche de nouvelles conquêtes, de nouvelles colonies […] Si la mondialisation l’emporte, le Marché lui-même, devenu empire d’un genre nouveau, hyper empire mondial, nomade, dégagé des exigences et servitudes dune nation, doté de sa propre armée privée, de son système juridique et de ses propres institutions, sera l’aboutissement du capitalisme planétaire. »

Voilà qui éclaire sur l’orchestration d’un déclin qui n’est pas pour tout le monde.

En ce qui nous concerne, le renversement du déclin ne peut se concevoir sans la maîtrise du nouvel environnement que nous avons créé, et sans l’instauration de nouvelles règles, de nouveaux objectifs correspondant à notre vision de l’homme et de la société comme le rappelait Anne Trewby ce matin.

Est-ce encore possible ? Et si oui, comment s’y prendre ? Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve, nous rappelle le poète Friedrich Hölderlin. Et il n’est pas un effet délétère de la technologie qui ne soit susceptible d’être contrecarré et transformé en opportunité – à condition que ceux qui la pilotent soient nourris d’une vision du monde enracinée … comme le rappelait Lucy, la cybercompagne d’Hubert Calmettes ce matin. Lucy, dont les conclusions, en définitive, se rapprochent de celles d’un Martin Heidegger, lorsqu’il ne considère pas « la situation de l’homme, dans le monde de la technique planétaire, comme un malheur inextricable et inévitable ».

Abordons la question d’un point de vue philosophique.

Et c’est encore Heidegger qui nous indique surtout la marche à suivre en insistant sur la nécessaire conversion de la pensée que la révolution technologique nous impose.

Le défi de la révolution anthropologique à laquelle nous sommes confrontés, explique-t-il, ne peut être relevé qu’à partir (je cite)  « du même “point ortif” du monde qui a vu naître le monde technique moderne. » Ce pourquoi il ajoute, je cite encore : « La conversion de la pensée a besoin de l’aide de la tradition européenne et d’une nouvelle appropriation de celle-ci. La pensée ne peut être transformée que par une pensée qui a la même origine et la même intonation. »  

En d’autres termes : seule une nouvelle approche permet de penser le monde d’aujourd’hui, à condition qu’elle se fonde sur l’identité de ceux qui l’ont transformé – sur cette « même intonation ». Assumer le bouleversement anthropologique et contrecarrer ses effets délétères est donc possible par une nouvelle appropriation de la tradition européenne, consistant à retrouver dans notre propre passé revisité la voie suivie par nos aïeux.

Cette nouvelle origine revendique naturellement la continuité, l’appropriation de notre héritage européen, mais nécessite aussi son dépassement. Cette nouvelle origine – et la perspective d’un Giorgio Locchi prend ici tout son sens – apparaît sous la forme d’un mythe – le mythe évoqué ce matin par Jean-Yves Le Gallou. Et tout comme l’œuvre d’Homère, l’Edda germanique et plus généralement la mythologie indo-européenne incarnent la vision- européenne du-monde-du-Deuxième-Homme, le mythe surhumaniste, tel qu’il a été représenté par Richard Wagner, formulé par Friedrich Nietzsche et systématisé par Martin Heidegger participe de la vision du monde du Troisième Homme européen.

Faute de temps je ne peux que renvoyer ceux que ça intéresse au livre de Giorgio Locchi, Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste, récemment publié par l’Institut Iliade.

J’indiquerai cependant que c’est le mythe qui, consciemment ou inconsciemment, nous fait déjà vivre notre présent au passé, et nous fait refuser cette fin de l’histoire voulue par un occident qui court à sa perte ;

C’est le mythe qui fait de notre passé l’inspirateur de notre avenir, c’est le mythe qui nous fait revivre l’attitude créatrice et triomphante-de-l’adversité de nos ancêtres ;

Et c’est encore la force du mythe qui nous fait vivre notre avenir au présent, à savoir : créer des communautés de destin au sein d’une société atomisée ; opposer une éducation enracinée à l’éducation hors-sol dominante ; et pour chacun d’entre nous donner l’exemple à ceux qui nous entourent, et collectivement, œuvrer pour fédérer progressivement dans l’Europe entière tous ceux dont l’instinct vital n’a pas été réduit à néant.

Voulons-nous transformer le déclin anthropologique en renaissance ? Alors « chevauchons le tigre », renouons avec notre destin européen et œuvrons à la régénération de l’histoire.