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Loin du confort, se préparer à des temps troublés…

Par Lionel Rondouin. Colloque du samedi 15 avril 2023.

Loin du confort, se préparer à des temps troublés…

Voilà un sujet pour un survivaliste ! “Comment survivre à l’effondrement ?” Les survivalistes ont mauvaise presse en France: on les présente comme des paranoïaques, obsédés par la fin du monde, affairés à la constitution de stocks de boîtes de conserves, d’armes et de lampes de poche.

J’ai bien dit en France, car le gouvernement suédois recommande que chaque ménage dispose de réserves de nourriture, d’eau potable, etc… pour faire face à des désastres de toute nature. J’ai bien dit en France, car sur la Californie plane le spectre du “big one”, ce séisme géant qui coupera l’eau, l’acheminement des vivres et des secours pendant des jours entiers, provoquera des incendies monstrueux et livrera la population aux violences de bandes criminelles d’autant plus déchaînées qu’il n’y aura plus d’État. À Los Angeles et à San Francisco, environ 20% des “gens normaux” partent le matin à leur travail avec un petit sac à dos qui contient au minimum : de l’eau, des vivres énergétiques de survie, un couteau, une lampe, un pistolet automatique avec des chargeurs de réserve. Et ce sont des “gens normaux”, pas des épaves sociales, pas des racailles. Ces gens ont une famille, un logement et un emploi. C’est vous, c’est moi… Mais ce n’est pas mon sujet du jour.

Il existe une école de pensée survivaliste de très haute qualité intellectuelle, qui a développé une méthodologie pour comprendre l’effondrement, temporaire ou définitif, des systèmes sociaux. On appelle “effondrement” une rupture de la “normalité”, qu’elle soit économique, politique, énergétique, climatique, etc…

Cette méthode rationnelle s’apparente à celle qu’utilisent, par exemple, les “ingénieurs qualité” dans l’industrie lorsque l’on constate un défaut de fonctionnement majeur dans la production, lorsque les pizzas sont contaminées à la salmonelle, par exemple.

Cette méthode comporte trois étapes : constat / diagnostic / action.

Appliquons, de manière très succincte, cette méthode d’ingénieurs qualité à l’état de notre société.

D’abord, constat !

La question posée est : “quoi ?”, qu’est-ce qu’on observe ?

Chacun, intuitivement, constate un déclin de la normalité. “Tout fout le camp…”, dans tous les domaines, en Occident.

Cependant, pour affiner ce constat, il convient de poser des questions subsidiaires.

Qu’est-ce que la “normalité” ?

C’est ce à quoi on est habitué, ce qu’on a toujours connu dans sa vie d’homme, ce qui “va de soi”.

Et là, il faut nuancer l’analyse en fonction du temps long et en fonction d’une hiérarchie des statuts et des besoins.

On peut considérer, par exemple, que c’est une catastrophe de ne pas avoir d’eau courante, pendant trois ou quatre jours. La disponibilité ininterrompue de l’eau courante est normale. Soit ! Depuis quand ? Dans le village de mes grands-parents, c’est en 1966 seulement que nous avons été raccordés au réseau public. On avait vécu avant, on n’était pas tous morts de fièvres malignes et on avait même réussi à se reproduire.

Le traitement judiciaire favorable dont profitent les délinquants au détriment des victimes date en gros des années 1990.

L’immigration non-européenne de peuplement commence dans les années 70 ; à l’échelle de l’histoire, c’est hier.

En revanche, il existe des normalités anthropologiques intemporelles, parce que naturelles, biologiques, ou des normalités culturelles et sociales de très long terme héritées de la révolution néolithique, normalités que l’on n’aurait pas imaginé pouvoir se dégrader, voire disparaître, même dans le temps très long de l’histoire. Par exemple le principe de la différence et de la complémentarité sexuelle et sociale des sexes, le statut central de la famille dans l’organisation sociale, le caractère sacré des enfants qu’il convient de protéger contre les prédateurs, l’imprégnation de la société par une spiritualité qui dépasse la succession ou l’évolution des diverses religions, la transmission d’une génération à l’autre de savoirs et de traditions, etc… Ces normalités-là relèvent de la nature et de la civilisation, au-delà du “progrès” ou des mutations techniques.

Ensuite, tout effondrement est-il brutal, catastrophique au sens littéral du terme ?

À l’évidence non. Le modèle du tsunami qui revient en boucle dans les films catastrophe est une exception.

L’effondrement est un process, souvent long, qui se manifeste par des signes précurseurs, se déroule sur une période variable et peut se terminer par une catastrophe brutale qui le parachève.

Notre vision de l’effondrement est déformée par le récit romanesque ou le cinéma, mais c’est la loi du genre.

Guerilla, de Laurent Obertone, décrit un effondrement de la société française en trois jours. La démonstration est implacable, tout est plausible, sauf la temporalité du récit. C’est la réduction spectaculaire, sur trois jours, d’un processus long et parfois insidieux qui s’étale et va s’étaler encore, en réalité, sur quarante ans, 1990-2030.

Le Camp des saints de Jean Raspail relève de la même logique de compression romanesque du temps. L’action ne devrait pas durer quelques mois, mais deux générations.

Retenons que la durée de ces process et l’existence de signes avant-coureurs sont plutôt une bonne nouvelle. Cela permet aux guetteurs conscients d’anticiper et de s’organiser.

Autre bonne nouvelle intellectuelle, l’existence d’effondrements, même partiels, tord définitivement le cou à la notion de progrès. On nous avait vanté des sociétés orientées indéfiniment vers un mieux-vivre, un mieux-être, un confort croissant, le long d’un temps linéaire. Or, aujourd’hui, le “progrès” est de plus en plus ressenti comme précaire. Se rejoue en ce moment sur notre continent si bien protégé un remake de la guerre de 14-18. Sans même parler de la guerre industrielle, phénomène cataclysmique s’il en est, ne constate-t-on pas des inversions de tendance sur les courbes d’espérance de vie ? L’augmentation de l’espérance de vie est réputée l’un des indices du “progrès”. Or elle est en baisse constante aux États-Unis depuis 2014, sous les effets de facteurs endogènes propres à l’évolution de la société nord-américaine et des modes de vie. De même, l’espérance de vie des Russes avait baissé de 4,5 ans en seulement cinq ans, de 1989 à 1994, à cause de l’effondrement du système économique, puis de la purge libérale des années Eltsine, véritable génocide social. Donc, rien n’est acquis et rien ne va absolument “de soi”.

Conclusion rapide de ce constat. Il n’y aura pas demain un effondrement de nos sociétés. Sous de nombreux aspects, l’effondrement est déjà en cours ; il a commencé il y a quelques années ou dizaines d’années ; il n’est pas achevé.

Deuxième partie : de la méthode d’analyse des ruptures de la normalité, questions

“Qui” a fait quoi ? “Où” cela s’est-il déclenché ? “Quand” ? “Comment” ? “Pourquoi” ?

Je ne vais pas traiter cette partie car chaque aspect de l’effondrement requiert une analyse individualisée. Retenons que les domaines intellectuels qu’il faut mobiliser sont nombreux et variés : histoire événementielle ou histoire des idées, sociologie, économie, sciences dures et techniques, etc…

Troisième partie : le plan d’action

Maintenant, “que faire” ?

La première décision à prendre, c’est de se prendre en main et de renoncer au confort.

Il nous appartient de nous affranchir du confort intellectuel. Pour ce qui est du confort matériel, la réalité extérieure s’en chargera.

Le confort intellectuel est un danger aux facettes multiples.

Le premier danger, c’est le déni de réalité, “c’est passager, ça s’arrangera” ! L’aveuglement est confortable mais mortel, car ce ne sont pas les optimistes qui survivent, ce sont les pessimistes. Le meilleur exemple historique en est donné par l’histoire contemporaine du peuple juif allemand. Au tournant des années 30, il y avait les optimistes qui pensaient que ça s’arrangerait. Ils sont donc restés en Allemagne et ont fini comme on le sait. Les pessimistes ont pris la décision de partir tant qu’il en était temps; les plus pessimistes sont partis aux États-Unis, ils ont survécu et certains ont même fait fortune à Hollywood, ou dans le business des delicatessen à New-York. Un juif américain, c’est le fils d’un pessimiste.

La deuxième erreur “confortable” est de s’illusionner en pensant qu’on peut freiner les tendances lourdes, tout en respectant les règles du jeu et la respectabilité politiques. Le meilleur exemple en est le conservatisme politique et social qui vise à “sauver les meubles”. Un conservateur ne vise qu’à arrêter la marche du monde au dernier stade connu de la décadence. Un député conservateur, c’est un homme qui aurait reculé sur à peu près tout face au wokisme, mais se vanterait d’avoir fait voter une loi qui interdirait l’IVG à partir du onzième mois de grossesse, parce que “c’est mieux que rien”…

Il existe aussi une chimère “confortable”, la tentation réactionnaire. Je serai le premier à défendre l’idée que notre société, doit se “ressourcer”, faire le tri dans la tradition et retrouver les éléments d’une perpétuation de notre espèce et de notre civilisation. Mais cette perpétuation sera, par définition, “post-moderne” car des pans entiers de la société actuelle vont subsister, notamment dans le domaine technique.

Le monde post-moderne européen verra sans doute des régressions massives du niveau de vie des populations, connaîtra des ruptures d’alimentation en énergie, des violences civiles, mais il y aura toujours des entreprises et du commerce, Internet ne disparaîtra pas et l’intelligence artificielle continuera de se développer. Le monde post-effondrement ne sera pas le monde d’avant 1789. En son temps, Guillaume Faye en avait eu l’intuition dans son livre sur l’Archéofuturisme, plus que jamais d’actualité.

Ce sera sans doute la fin de notre monde, du monde que nous avons connu. Ce n’est pas pour autant la fin du monde.

On devra aussi faire le deuil d’un confort à la fois intellectuel et matériel, la victimisation et l’assistanat. “Ce n’est pas ma faute, la collectivité doit me défendre”. “J’y ai droit!”, le mantra de la victime, nouveau héros de la société contemporaine. L’État n’existera plus, au moins dans ses dimensions actuelles, il n’y aura plus d’argent, vous serez seul au monde dans le monde en cours d’effondrement. Les victimes seront trop nombreuses pour qu’on affecte chacune d’entre elles à une “cellule psychologique”, qui n’est jamais qu’un luxe de riche. Croyez-vous que le gouvernement ukrainien a les moyens de créer une cellule psychologique pour chaque famille des 300 à 500 citoyens qui meurent chaque jour ?

Cessez de croire en l’État-Providence. Vivez malgré l’État, en attendant le jour où vous serez obligés de vivre contre lui. Pierluigi Locchi, que vous avez écouté tout à l’heure, et moi avons fréquenté ensemble l’Italie des années de plomb, dans les années 70, une période d’effondrement politique et économique du pays. Les Italiens s’en sont sortis parce qu’ils ont vécu malgré l’État mafieux, et souvent contre lui, notamment en matière fiscale.

Être autonome ne signifie pas être solitaire, bien au contraire, et j’en arrive à quelques principes de survie dans des temps troublés.

La préparation à des temps difficiles est, dans un premier temps, une affaire individuelle. Il appartient à chacun de faire son deuil du confort superfétatoire, et notamment de la société de consommation qui réduit l’être humain à sa dimension d’homo oeconomicus contemporain. On devra faire son deuil de son confort intellectuel, comme nous l’avons vu. On devra enfin mobiliser son capital spirituel en renonçant aux délices de la passivité morale, des séries Netflix, de l’abrutissement de l’homo festivus qu’a décrit Philippe Muray. Survivront ceux qui trouveront en eux des ressources vitales, instinct de survie, volonté de faire survivre leurs enfants et de perpétuer la civilisation, foi religieuse, désir réfléchi de vaincre la tyrannie des nomades de Jacques Attali.

Mais, ce premier stade acquis, même si on est autonome “dans sa tête”, on ne survit pas longtemps seul. Il y manque les notions d’entraide et de solidarité, qui sont indispensables pour s’inscrire dans la durée. La communauté est une dimension fondamentale du survivalisme. Elle doit, autant que possible, être locale, proche. Elle vise à assurer une production de biens et de services, la protection de la propriété des biens, l’éducation des enfants et la transmission des savoirs. Elle peut dès aujourd’hui s’inscrire dans la création d’entreprises visant à produire des biens qui répondent aux besoins fondamentaux de l’homme: se loger, se nourrir, se vêtir. Des entreprises de service, aussi, notamment autour de l’éducation et de la transmission des valeurs, ou bien des entreprises de communication pour la diffusion de nos idées.

Ces communautés d’esprit, de vie ou de travail, devront être exclusives, c’est à dire sélectionner leurs membres selon des affinités sélectives. On n’aidera pas tout le monde dans des temps troublés, et l’on ne tolérera pas les parasites, ce qu’on appelle en économie les “passagers clandestins”.

Pour finir, on évoque souvent la baisse du quotient intellectuel moyen des populations, comme élément visible de notre déclin. Je voudrais revenir un instant sur cette question de QI.

Le quotient intellectuel est un élément de la capacité d’adaptation à des temps troublés, mais ce n’est pas le seul, et de loin, et même pas le plus important. Je me méfie du “tout intellectuel”.

Ce qui nous intéresse, c’est le quotient que j’appellerai QCSA, le Quotient de Capacité à la Survie et à l’Adaptation.

C’est une combinaison de trois formes de savoirs, diversement répandus dans la population. Pour nous, c’est du “savoir”, mais la langue anglaise se révèle pour une fois plus riche et plus précise que le français.

Premièrement, les savoirs, au sens académique du terme. Les Anglais disent knowledge.

Deuxièmement, les savoir-faire de toute nature, dont la combinaison permet de vivre matériellement, d’agir, de réaliser des choses. Ce sont des skills.

Troisièmement, les savoir-être, la manière de se comporter en société, mais aussi le caractère de l’individu, qui révèle ou non de la volonté. C’est le behaviour.

Je pense que la clé du succès dépendra de notre capacité collective à sélectionner et agréger à notre communauté des individus complémentaires les uns par rapport aux autres en termes de savoirs et de savoir-faire. Après tout, il n’est pas nécessaire à notre entreprise que nous sachions tous cultiver un potager,  réparer de la plomberie, ou exposer la théorie de la tripartition indo-européenne.

En revanche, une vraie communauté confrontée à des temps troublés ne peut exister en dehors d’une communauté de savoir-être, faite de solidarité, de volonté et de persévérance. Ce doit être le point-clé de notre sélection.

Lionel Rondouin